1961, baie des Cochons, défaite des USA à Cuba (extrait)

jeudi 14 avril 2011

1961, baie des Cochons, défaite des USA à Cuba

Il y a cinquante ans se produisait à Cuba un événement d’une portée immense, non seulement pour les peuples sud américains mais pour l’ensemble de ceux qui se battaient, qui se battent toujours pour leur souveraineté et leur droit d’instaurer le régime de leur choix. Comme les jeunes générations de notre pays l’ignorent, il est nécessaire de leur faire connaitre- il faut aussi rafraîchir les mémoires courtes de ceux qui se proclamaient alors révolutionnaires - car nos médias nationaux ne font pas état de cet événement qui marqua l’histoire de l’ile. Nous reproduisons ci-dessous un article de Hernando Calvo Ospina publié par le MD à l’occasion de cet anniversaire mémorable :

Mettre un terme à la révolution cubaine, qui vient de triompher le 1er janvier 1959 : l’objectif est très vite devenu prioritaire pour Washington. Dans son ouvrage de référence, Haines Johnson rapporte : « le 17 mars 1960, le président Eisenhower accorda à la Central Intelligence Agency (CIA) l’autorisation d’organiser, d’entrainer et d’équiper des réfugiés cubains pour constituer une force anticastriste  » [1]. Pour cela expliqua Tim Weiner, lauréat du prix Pulitzer, la CIA recrute ceux-là mêmes qui ont renversé le gouvernement ( de Jacob Arnenz) au Guatemala [2]en 1954.

Le 3 janvier 1961, Dwight David Eisenhower rompt les relations avec la Havane. Le 20, John Fitzgerald Kennedy le remplace à la Maison Blanche. L’un des premiers ordres qu’il donne est d’accélérer les préparatifs de l’invasion – tout en répétant publiquement qu’aucune agression ne sera lancée contre l’île des Caraïbes. Mais le projet n’est plus un secret. « L’invasion devait avoir lieu et à Cuba, tout le monde le savait. De Fidel Castro jusqu’au plus humble guajiro (paysan) dans les champs.  » Observe Johnson. Qui poursuit : « Moscou et Pékin demandent instamment à Washington de ne pas passer à l’acte, tandis qu’à Londres comme à Paris, à Bonn comme à Rome, une tension extraordinaire apparaît et ne cesse de monter. Le monde entier s’interroge, les yeux tournés vers Cuba »

Le 15 avril, la CIA envoie huit avions B26 – sur lesquels avaient été peints les insignes cubaines – bombarder les sites où sont parqués les appareils des Forces aériennes révolutionnaires. La moitié des trente six avions sont détruits. Un ouvrage cosigné par Fidel Castro – l’un des rares à privilégier la version cubaines des faits – rapporte les instructions du commandant en chef à la population dès le lendemain : « Chaque Cubain doit occuper le poste qui lui revient dans les unités militaires et les centres de travail, sans interrompre ni la production ni la campagne d’alphabétisation [3]. » le même jour, lors de l’enterrement des victimes des bombardements, le dirigeant déclare : « Voilà ce qu’ils ne peuvent pardonner (…) , que nous ayons fait une révolution socialiste sous le nez des Etats-Unis !  » C’est la première fois qu’il associe, officiellement, la révolution socialiste cubaine au projet socialiste.

Entrainés au Guatemala et partis du Nicaragua, les membres de la brigade 2506, constituée de 1511 hommes, commencent ? débarquer à Playa Giron, le 6 avril à 23h45. En moins de soixante-dix heures, la brigade doit s’avouer vaincue : 1197 brigadistes ont été faits prisonniers et 114 sont morts. Aucune tentative de soulèvement intérieur n’est observée. Weiner précise : « La CIA ne tint pas compte d’un sondage réalisé à sa demande, et qui révélait que l’immense majorité des gens soutenait Castro.  » Le chercheur Howard Jones affirme que « la CIA savait que, sans une insurrection de masse, la force d’invasion aurait besoin d’au moins cinq mille hommes pour occuper un secteur du pays [4] ».

Le 24 avril 1961, le président Kennedy reconnaît l’entière responsabilité des États-Unis dans l’invasion ratée. Victorieux M. Fidel Castro déclare : «  L’impérialisme yankee vient de subir en Amérique latine sa première grande défaite !  » William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, rapporte que suite à «  l’humiliation » infligée, Kennedy « s’avoua tenté dans sa colère de « répandre les cendres de la CIA aux quatre vents » [5] » Avec la livraison par Washington à Cuba de 53 millions de dollars en aliments et médicaments, le 22 décembre 1962, les prisonniers recouvrent la liberté. Le 29, au cours d’une cérémonie à Miami, ils remettent à Kennedy le drapeau de la brigade. « Je vous assure, déclare solennellement le président, que ce drapeau vous sera rendu dans une Havane libre. »

Quinze ans plus tard, l’association des anciens brigadistes demandait au musée Kennedy qu’il leur soit rendu, pour promesse non tenue. C’est par la poste qu’il leur fut envoyé.

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Hernando Calvo Ospina
in Le Monde Diplomatique
avril 2011


[1Haynes Johson, La Baie des Cochons, l’invasion manquée de Cuba, Robert Laffont, Paris, 1965

[2Tim Veiner, Des cendres en héritage, l’histoire de la CIA, Editions de Pallois, Paris 2009

[3Fidel Castro et José Ramon Fernandez, Playa Giron, Bay of Pigs Wasington’s First Military defeat in the Americas, editions Pathfinder, New York, 2007

[4Howard Jones The Bay Pigs, Oxford University Press, New York, 2010

[5William Colby, Trente ans de CIA, Presse de la renaissance, Paris, 1978