23/03/1944 – 2014 : hommage au résistant Lucien Sportisse

vendredi 11 avril 2014

Plaque d'hommage à Lucien Sportisse dans la ville de Lyon en France {JPEG} Le Front National dont il est question
est l’organisation de résistance créé par le PCF.

Le 24 mars 1944 tombait, sous les balles de la Milice vichyste, Gestapo française au service du nazisme, Lucien SPORTISSE, mon oncle. Et qu’à cause de cela, je n’eus pas la chance de connaître. Toutefois, grâce à ma famille – en particulier, William, mon père – sa mort ne fut pas vaine. Pour mon père, il demeura un exemple. Et je crois qu’à travers ses actes et ses prises de position, William n’a cessé de penser à ce grand frère aîné qu’il ne vit qu’à peine.

J’avoue que l’émotion m’étreint lorsqu’il me faut évoquer le parcours de Lucien. Car, sa vie fut souvent difficile. Mais, le combat qu’il menait contre le colonialisme, prolongement naturel du capitalisme, puis contre le fascisme et pour l’avènement d’une société fraternelle comptait avant toute chose.

 ? » [...] cet homme faisait partie de ces êtres dont l’âme, la beauté intérieure, transfigurent l’apparence. Juif de Constantine, il avait été instituteur à Akbou et était également un partisan des méthodes éducatives de Célestin Freinet. En 1934, il avait été révoqué de l’enseignement pour propagande communiste parmi les indigènes. Le 1er mai 1934, à Bougie – petite digression pas très heureuse : nous eûmes avec mon père un accident d’automobile trente années plus tard, à Ziamah Mansouriah, et ma mère, grièvement blessée fut transportée d’urgence vers l’hôpital de Bougie, et c’est ainsi que je découvris cette ville – il avait pris la parole devant deux mille travailleurs, indigènes pour la plupart, et avait dénoncé le vol des terres des fellahs par les gros agrariens. Pour vivre, Lucien avait alors travaillé comme maçon (plus exactement en tant que coffreur-ferrailleur). En 1935, il avait été emprisonné pour « provocation d’individus à la révolte contre la souveraineté française ». Animateur du syndicat CGT du bâtiment d’Oran – dans cette ville, il fera la connaissance d’ Alice Cremades, sa future épouse et qui sera députée communiste d’Algérie -, il devint permanent syndical et consacrait sa vie à son idéal », écrivit plus tard Lisette Vincent, militante anticolonialiste. (in : Jean-Luc Einaudi : Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie, Editions Dagorno, 1994)

Jeune, il ambitionnait d’être professeur. Là, encore, les différences sociales qui accablaient l’Algérie coloniale l’en empêchèrent. Mais, dans l’exercice de son métier d’instituteur et, malgré les entraves de l’administration coloniale, il déploya avec énergie et ferveur une pédagogie exemplaire qu’il dispensait, par ailleurs, sans discriminations. Un de ses anciens amis qu’il connut à Lyon, et qui était à présent médecin, me confia qu’il manifestait à l’égard des adolescents une empathie sans limites. Et, de toute façon, ceux qui ont lu ou liront « William Sportisse – Le Camp des oliviers. Parcours d’un communiste algérien » n’en seront guère surpris. « C’était un idéaliste… », me dit-il à cette époque. Avec une once d’amertume…

Oui, c’était un idéaliste, si l’on entend par là qu’il était un homme fortement attaché à un idéal. Mais, il ne l’était point, si on l’envisageait du point de vue philosophique. Et surtout, si l’on pense faussement qu’il se raccrochait à des chimères ou se nourrissait de projections messianiques. Sa foi et sa confiance reposait sur cette réalité intangible : la lutte des classes comme moteur de l’histoire humaine. Je cite volontiers, à ce sujet, la célèbre formule d’Antonio Gramsci : « Je suis pessimiste par mon intelligence et optimiste par ma volonté ». Relisez aussi ce que disait Marx de la Commune de Paris, à qui j’ai récemment, avec tant d’autres hommes et de femmes, rendu hommage. Relisez aussi « Le Manifeste du Parti communiste » de Marx et Engels datant de la fin du XIX e siècle. Il y est écrit :
«  Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd’hui contre la bourgeoisie elle-même. Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort : elle a aussi produit les hommes qui manieront ces armes, – les ouvriers modernes, les prolétaires. »
Et même si les conditions de l’exploitation ne sont plus, de nos jours, identiques à celles de jadis, la férocité de l’exploitation de l’homme par l’homme est rendue plus manifeste aujourd’hui qu’hier.

Enfin, Lucien était d’abord Algérien parce qu’il luttait pour une Algérie plurielle, fraternelle, socialiste dans lesquelles les tares liées au système colonial ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. Cela ne l’empêcha pas de se battre pour libérer la France du fascisme. Ici, je cède volontiers la parole à mon père :

« Mon frère est mort pour une cause : la lutte antifasciste. Dire que les résistants sont « morts pour la France », c’est une manière de falsifier l’histoire. Cela cache les motivations réelles de nombreux résistants qui luttaient contre l’occupation fasciste de la France en sachant bien que le fascisme est un produit du capitalisme. L’expression « mort pour la France » est employée aussi bien pour les morts de la Première Guerre mondiale que pour les résistants de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, les premiers ont été mobilisés pour défendre la bourgeoisie de leur pays et sont morts pour la France capitaliste, alors que les seconds se sont battus de leur plein gré pour une cause, et souhaitaient majoritairement voir l’établissement d’une société meilleure après la guerre, comme le prouve le programme du Conseil National de la Résistance (CNR), qui remettait en cause le capitalisme. [...]

Lucien ne pouvait tolérer qu’un peuple opprime un autre peuple, il n’avait pu le tolérer en Algérie et il ne pouvait le tolérer en France. »

Juif algérien, résistant, communiste, Lucien SPORTISSE incarnait tout ce que l’ultra-réaction abhorrait au plus haut point. Les circonstances de sa mort – pour tragiques qu’elles aient été – symbolise néanmoins à elles seules cette haine viscérale d’hier, d’aujourd’hui et de demain que nourrissent les tenants de l’extrême-droite à l’égard des idées socialistes. Cela, ne l’oublions jamais. Le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Lucien SPORTISSE (1905-1944) et à des millions d’autres résistants, femmes et hommes morts dans la lutte contre l’hydre fasciste, c’est de poursuivre leur combat. Pour en finir définitivement avec le fascisme, le racisme et les guerres. Mais, pour cela, il nous faudra abattre le capitalisme, père du fascisme, du racisme et des guerres. Nécessairement.

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M Sportisse

in Initiative communiste

le 24 mars 2014