A Draa Ben Khedda les anciens des domaines autogérés résistent depuis 20 ans à la restitution des terres, confisquées en 1963, aux descendants des collaborateurs du colonialisme

mardi 13 novembre 2012
par  Alger républicain

Les bachagas et leurs maîtres au début du 20<sup class="typo_exposants">e</sup> siècle Cinquante années après l’indépendance les enfants de collaborateurs sévissent. Comme leurs parents durant la période du colonialisme ils utilisent la force, la corruption, détournent la loi et arrivent à mettre l’administration à leur service.

C’est ce qui se passe à Oued Fali localité à cheval sur trois communes, Tizi Ouzou, Draa Ben Khedda et Tirmitine. Localité où les Smaïl, trois caïds, un bachagha et un député ont exploité, sans partage jusqu’à la fin du colonialisme, un territoire de 2000 hectares. Tout juste au moment de l’indépendance, certains d’entre eux s’étaient sauvés en France, pour échapper à la vindicte populaire, assurent les citoyens. D’autres étaient restés.

En 1963 leurs terres, c’est-à-dire, les 2000 hectares, furent nationalisées dans le cadre d’une loi spéciale qui mit sous l’autorité de l’État les terres de ceux qui ont collaboré avec le colonialisme. Cela a permis la création des domaines autogérés. Ainsi les 2000 hectares, devenus propriété de l’État, ont pris le nom de ‘’Domaine Hamdani Amar ‘’ jusqu’à 1987, date à laquelle les domaines autogérés agricoles ont connu une restructuration (opération ayant pour but véritable de désagréger les terres de l’État pour amoindrir la résistance des travailleurs agricoles au projet de privatisation), au même titre que les coopératives agricoles créées dans le cadre de la révolution agraire. Cette restructuration a morcelé leurs terres en petites parcelles exploitées de manière collective (EAC) ou individuelle (EAI). Les 2000 hectares du domaine ont été restructurés en 1988 en douze EAC sans compter les attributions individuelles en EAI.

C’est le début des reformes qui ont conduit à la destruction de l’économie nationale. A son arrivée au gouvernement, Hamrouche a étendu ces réformes aux autres secteurs de l’économie en allant jusqu’à la restitution des terres nationalisées (loi foncière de novembre 1990) dans le cadre de la révolution agraire.

L’histoire racontée par les fellahs des EAC et EAI issues de la restructuration du Domaine Hamdani Amar montre à quel point ces reformes ont conduit jusqu’au reniement des idéaux pour lesquels un million cinq cent mille (1 500 000) Algériens ont donné leur vie de 1954 à 1962, idéaux que d’autres millions d’Algériens se sont attelés à concrétiser, après l’Indépendance, au prix de grands sacrifices.
Nous sommes partis à leur rencontre suite à des informations de presse aussi lapidaires que vagues et imprécises. Mais l’intuition s’imposait qu’il s’agissait d’une affaire qui remettait en cause les principes de la révolution nationale algérienne. Après quelques recherches, la rencontre a pu se faire avec huit paysans de ces coopératives qui tiennent tête courageusement depuis maintenant 20 ans à l’alliance des autorités avec les descendants des collaborateurs nationalisés en 1963.

Profitant du climat de peur instauré par le terrorisme, des pressions avaient été exercées pour restituer dans l’illégalité la plus totale les terres qui avaient été arrachées à l’emprise des collaborateurs de la colonisation. Le Wali de Tizi Ouzou prend en 1992 un arrêt de restitution alors qu’aucun texte ne l’autorisait à le faire.

En plein terrorisme, en septembre 1995 plus exactement, pendant que les paysans cherchaient à se protéger des tueurs du FIS-GIA-AIS, Zeroual promulgue en catimini une Ordonnance qui autorise la restitution de ces terres sur l’ensemble du territoire national. La décision passe inaperçue, étant donné que la priorité était de faire face aux escadrons de la mort organisés sous la bannière de la religion, sauf pour ceux qui, du jour au lendemain, sont sommés d’évacuer les terres sur lesquelles ils ont grandi et qu’ils ont arrosées de leur sueur. A quelle logique obéissait la décision de Zeroual ? Obtenir les appuis des nostalgiques de la féodalité et de la collaboration ? Montrer aux gens du FIS que lui et ceux qui l’avaient placé à la tête de l’État étaient eux-aussi des partisans convaincus de la restitution de toutes les terres nationalisées après l’indépendance ?

Le terrorisme camouflé sous l’étendard de l’Islam a bien assumé sa fonction de bras armé de la contre-révolution.

L’arrêté du wali de Tizi Ouzou est en principe frappé de nullité. Aucune justice ne devrait condamner des citoyens qui ne reconnaissent pas un acte dont l’illégalité est aussi flagrante. Aucun tribunal ne devrait donner suite aux requêtes des descendants des caïds nationalisés en 1963. Pour donner un semblant de légalité à un arrêté scélérat, les autorités devraient en prendre un autre en application de l’Ordonnance de Zeroual . Mais aucun wali n’ose le faire parce qu’il ne veut pas prendre la responsabilité d’endosser un forfait devant l’histoire. Alors on fait comme si le droit n’était pas du côté des travailleurs ou des enfants des travailleurs qui ont exploité ces terres depuis 1963.

On notera que les gros propriétaires fonciers avaient appuyé leurs pressions pour reprendre les terres qui leur avaient été confisquées par « l’engagement solennel » de mieux travailler la terre, qui auraient été « délaissées » par les attributaires, et de faire baisser les prix des produits agricoles. Ils avaient même promis la pomme de terre à 2 dinars ! Chacun peut constater de visu que les gens qui ont repris une partie des terres du domaine Hamdani Amar se sont dépêchés de les louer à des marchands de carrosserie d’occasion. Les terres restituées abritent aujourd’hui la plus grande casse de voitures d’Algérie, une casse qui s’étend sur des kilomètres, des deux côtés de la route !

AR



Alger républicain :

Nous avons appris qu’on veut vous expulser des terres que vous exploitez. Ces terres appartenaient à qui ?

Un des paysans

Casse<small class="fine"> </small>? <span class="caps">DBK</span> Ces terres appartenaient à des collaborateurs du colonialisme ils sont tous de la famille Smaïl, trois caïds, un bachagha et un député. Certains d’entre eux se sont sauvés en France avec les colons en 1962, d’autres sont restés ici. Leurs terres comme celles de tous les collaborateurs et des collons on été mises sous la protection de l’État par une loi de 1963. Ce sont les membres de cette de famille qui veulent nous chasser, aujourd’hui, de ces terres suite à un arrêté signé en 1992 en leur faveur par le wali de Tizi Ouzou.

Pourquoi c’est à vous qu’ils s’attaquent, alors que vous n’êtes que des usufruitiers ? Normalement ils devraient s’adresser à l’État.

C’est vrai, c’est l’État qui a nationalisé les terres, et c’est l’État qui a créé les domaines autogérés, c’est lui qui a structuré ces domaines en EAC et EAI et qui nous a attribué ces terres pour les exploiter. Mais c’est nous qu’ils ont attaqués en justice. Au moment de l’instruction de l’affaire, la justice à refusé de reconnaitre au service des Domaines, qui s’était rangé à nos côtés, leur qualité de plaignants.
C’est à n’y rien comprendre.

Est-ce que le wali est au courant ? L’avez-vous informé ?

Nous avons fait trois sit-in devant la wilaya. Nous avons présenté plusieurs demandes d’audience sans aucune suite. Nous avons les accusés de réception des demandes si vous voulez les voir.

Depuis quand les hostilités ont-elles commencé ?

C’est depuis 1992, depuis que le Wali Benmansour a signé les arrêtés de restitution des terres aux Smaïl, au mépris de la loi, que nous sommes soumis à des attaques de tous genres par les membres de cette famille sur laquelle des dossiers ont été constitués par l’ONM, pour témoigner sur leur passé de collaborateurs avec les forces colonialistes. Ces dossiers ont été transmis au wali et à la justice. Ils ont été ignorés.

Vous savez, les arrêtés du Wali Benmansour ne sont même pas enregistrés. Ils n’ont donc aucune valeur juridique, et pourtant c’est sur eux que la justice de Tizi Ouzou s’appuie pour décider de l’expulsion des terres que nous exploitons depuis des dizaines d’années. C’est sur cette base que les Smaïl ont reçu l’indemnité de 220 millions de dinars (!) que l’ENBT a versée, pour lui permettre de faire passer les conduites d’eau qui partent du barrage de Taksebt à Alger sur les terres des domaines.

Vos fermes sont-elles toutes en activité ?

Elles n’ont pas abandonné, mais certains exploitants ont peur, les Smaïl sont soutenus par beaucoup de responsables dans la région. Nous ne sommes pas tranquilles, c’est difficile de travailler dans ces conditions. Nous avons acheté des arbres pour les planter mais nous ne l’avons pas fait. Le procureur a envoyé les gendarmes pour nous expulser, nous avons refusé de quitter en exprimant notre volonté de nous défendre.

Ce n’est même pas une question de loi, parce que la loi est de leur coté, on vient de vous le dire les arrêtés du Wali ne sont pas publiés, parce qu’il faut d’abord annuler les arrêtés de création des EAC et des EAI. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils ne le peuvent pas. C’est pour cette raison que nous disons que les Smaïl ont utilisé l’argent qu’ils ont indûment reçu de l’ENBT pour gagner à tous les coups.

Est-ce la première fois que les gendarmes sont venus chez vous ?

Non, ils ont déjà fait sortir deux anciens moudjahid de leur EAI. Le premier s’appelle Akchiche Amar. Les gendarmes, accompagnés d’un huissier de justice l’ont sorti avec les armes lui et ses enfants. L’autre s’appelle Adem Meziane qui est monté au maquis tout jeune pendant la guerre de libération. Pendant son expulsion, il a été frappé par les Smaïl devant les gendarmes qui n’ont pas branché.

Bachaghas décorés par de Gaulle En 2006, les Smaïl sont venus en groupe dans notre EAC. Ils ont agressé un chauffeur de tracteur, un vieux, ils l’ont frappé avec une barre de fer à la tête. Il fallut 14 points de suture pour refermer la blessure, le médecin lui a donné 45 jours de maladie. Un autre travailleur en a eu pour sept jours et nos plaintes sont restées sans suite à ce jour. J’ai essayé de relancer l’affaire en 2010 elle a connu le même sort.

Est-ce que Direction du secteur agricole est avec vous ?

Au départ elle ne se sentait pas concernée. Mais dernièrement la justice lui refusé le statut de plaignant dans notre affaire. Nous leur avons demandé un plan parcellaire ils nous l’ont donné avec la mention terres restituées à la famille Smaïl. Dernièrement ils ont scotché un papier pour cacher cette mention.

La bretelle de l’autoroute est/ouest sur Tizi Ouzou passera sur ces terres. Au niveau de la réserve foncière le passage est inscrit au nom des EAC1 et AEC 2, là où les terrains sont cadastrés. Ailleurs, du coté de Tirmitine le litige persiste.

Les Tirmitine ont accaparé de force, à l’Aaziv Bwassif plusieurs parcelles de terrains, qu’ils ont louées à des particuliers pour stocker et vendre les casses de voiture, fabriquer du parpaing, faire de la restauration et pour d’autres activités sur plusieurs kilomètres le long de la route qui mène vers Boghni. Ces terrains appartenaient à l’EAC1 et à l’EAI d’où ils ont expulsé l’ancien moudjahid Akchiche Amar. Nous vous proposons d’aller visiter, vous verrez, c’est la plus grande casse d’Algérie, on y vient de partout.

Comment ont-ils pu faire ça ?

Ils ont des complicités partout. Pas besoin de vous faire un dessin.
Ils utilisent beaucoup la provocation mais nous essayons de rester calmes.

Un autre paysan intervient : « parle-lui des ouvriers qui sont sous mandat de dépôt ».

Nous étions en jugement avec eux, le 21 décembre de l’an dernier, nous devions nous présenter au tribunal pour le résultat. Ce jour-là, ils sont venus agresser les quatre travailleurs qui étaient dans l’orangeraie. Ils ont ramené du renfort, il y avait aussi des gens encagoulés. ils étaient tous armés de barres de fer, se sabres, de couteaux, etc. J’ai été informé pas les travailleurs. Je leur ai dit de couper la route avec des tracteurs. Le chef de daïra est venu, accompagné du chef de la sureté de daïra. Je leur ai montré les dégâts. Ils nous ont détruit trois cents (300) caisses de fruits non encore mûrs. Ils ont cassé des arbres. A la suite de ça, j’ai déposé plainte chez le procureur. Elle est restée sans suite à ce jour.

De décembre à février j’ai déposé 12 plaintes chez le procureur. Aucune n’a eu de suite. J’ai payé une caution pour une enquête par le juge d’instruction elle n’a pas connu de suite. Mais quand ce sont les Smaïl qui déposent plainte, la suite est immédiate.

Ils sont revenus plusieurs fois nous agresser. Ils nous envoient des bandits, parfois la nuit, parfois le jour. Le premier avril, ils sont venus nombreux. Deux d’entre eux ont franchi le portail, nous les avons pris et ligotés. Les autres, lorsqu’ils se sont aperçus que nous étions aussi nombreux, ils ont pris la fuite. Puis nous avons livré à la gendarmerie les deux assaillants que nous avions capturés. Ils nous ont reproché de l’avoir fait, alors que ce sont eux qui nous ont conseillé de le faire quand ils s’introduisent chez nous par la violence.

C’est ce qu’ils nous répétaient à chaque fois qu’on allait déposer plainte contre des agressions. Finalement ce sont deux des nôtres, ceux qui sont attaqués, deux travailleurs qui sont placés sous mandat de dépôt. Ils y sont à ce jour encore en prison et nous autres nous sommes sous contrôle judiciaire.

L’enquête est déjà terminée nous serons jugés ensemble dans les prochains jours. Quel que soit le résultat nous ne nous laisserons pas faire.

Avez-vous contacté l’UNPA ?

Non

Ne pensez-vous pas que vous auriez dû le faire ?

Si l’UNPA était de notre coté elle serait déjà venue. Comme se fait-il que vous à Alger vous êtes au courant et l’UNPA à Tizi Ouzou ne l’est pas encore ? Il y a plus grave, Said Smaïl un ancien journaliste d’El Moudjahid a écrit un livre où il insulte les moudjahidines de la région et l’État algérien. Tu sais il écrit ce livre pour ses propres intérêts. Il a édité une centaine d’exemplaires chez L’Harmattan qu’il a distribués ? ses soutiens et amis. Nous avons pu quand même nous en procurer un exemplaire. Dans ce livre, il avoue comment il a suggéré au wali Benmansour, qui n’avait pas trouvé une formule adéquate pour expulser les bénéficiaires des EAC et EAI, d’établir des arrêtés de restitution des terres des EAC et EAI à sa famille. Et c’est ce qui a été fait. Ils lui ont été remis à 19 heures.

Il faut se demander comment les Smaïl ont pu acquérir une telle superficie à l’époque du colonialisme. En cherchant dans l’histoire on trouvera qu’ils l’ont acquise pour services rendus à l’armée et à l’administration coloniales.

Collabos salués par de Gaulle

Est-ce que vous avez cultivé vos terres cette année ?

A l’EAC N°1 nous avons travaillé toutes nos terres, nous avons semé du blé et du foin. Nous allons d’ailleurs ces jours-ci faire la moisson, nous avons aussi une orangeraie de 11 hectares. Eux ont une cinquantaine de bovins

Nous ne sommes pas tranquilles, nous vivons des moments très difficiles. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons. Nous sommes en permanence harcelés.

Est-ce que vous avez bénéficié des crédits bancaires depuis que vous êtes constitués en EAC ?

Jusqu’en 1992, oui. Mais après l’établissement des arrêtés de restitutions nous ne bénéficions de même pas un dinar de crédit. Par contre, nous payons les droits de jouissance. Nous avons passé aussi des moments où nous n’avons pas pu travailler. Pour survivre nous étions obligés de vendre une partie de notre matériel.

Vous devez savoir que nous sommes poursuivis en justice par 72 personnes dont 20 sont décédées. Ils font exprès d’inscrire le maximum de personnes. C’est pour nous ruiner. A chaque notification je paie 130 000 DA.

Ils ont même essayé de faire pression sur nous en utilisant la gendarmerie. J’ai été voir le responsable de la brigade de Draa Ben Khedda, il m’a dit de voir comment nous arranger avec les Smaïl pour partager la récolte des oranges. Je lui répondu que c’est impossible, je ne vais pas partager ma récolte avec un fils de collaborateur. Je lui ai ajouté si demain le Français qui occupait ce bureau revenait, vous partageriez avec lui ce bureau ? Il s’est tout de suite fâché ‘’Je suis chef de brigade de la gendarmerie. Je représente l’État’’. Je lui ai répondu : ‘’Nous représentons tous les deux le pays. Toi en tant que chef de brigade avec les armes et moi avec la tchapa (pelle). Si vous nous forcez à partager le bien de l’État avec les descendants de collaborateurs de la France coloniale, le Français qui a occupé ce bureau reviendra lui aussi et alors là, soit vous lui cirerez les chaussures, soit vous deviendrez berger. Je vous demande alors de bien réfléchir à ce que vous faites."

Je suis allé voir l’adjoint du procureur général qui avait traité les gens des domaines d’opportunistes. Je lui avais écrit une lettre dans laquelle je lui ai posé cette question : ‘’Est-ce que le drapeau qui se trouve à la droite du juge est un drapeau algérien ou un drapeau étranger ? Un juge qui décide des biens de l’État, doit savoir qu’il se trouve lui même sur les biens de l’État. Aujourd’hui c’est moi qu’il fait sortir au profit d’un collaborateur, demain c’est lui qui sera à son tour éjecté dehors du tribunal’’.

C.P.