À la mémoire de la courageuse militante Jacqueline Guerroudj qui vient de nous quitter

mercredi 21 janvier 2015

Toutes celles et tous ceux qui l’ont connue et approchée peuvent témoigner qu’elle était, comme l’a écrit notre camarade Abdelhamid Benzine [1], «  le cœur et aussi la raison ». Il ajoute : « Ennemie de toutes les étroitesses sectaires, du mensonge et de la haine, elle servit la cause de l’Algérie indépendante et du progrès social. Sous tous les sigles : PCA-CDL-FLN-ALN ».

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Issue d’une famille bourgeoise française, Jacqueline Netter (son nom de famille) arrive à Tlemcen en 1947 en compagnie de son époux Pierre Mine, professeur de philosophie qui prend ses fonctions au lycée de Slane. Peu de temps après, Jacqueline se sépare de son époux. Institutrice, elle obtient en 1948 un poste d’enseignante à Négrier (Chetouane aujourd’hui) dans une école à deux classes dont le directeur Ahmed Triqui est un militant du Parti communiste Algérien. Domicilié à Tlemcen, Ahmed Triqui lui cède son appartement de fonction afin de la loger. Sa modestie et sa gentillesse apparaissent comme deux de ses qualités essentielles quand elle évoque dans son ouvrage « Des douars et des prisons » son démarrage difficile d’enseignante. Elle écrit à ce propos :
« Heureusement Ahmed Triqui m’a beaucoup aidée à surmonter ce démarrage difficile. Il était communiste et m’a aidée aussi à comprendre le phénomène colonial. Nous avions dans la cour de l’école, pendant l’inter-classes, de nombreux bavardages révélateurs confirmés par de nombreux amis. »

Mais sa prise de conscience, dit-elle, s’opéra en prenant connaissance des méfaits de Dolfuss, ce seigneur de la colonisation terrienne, propriétaire d’un immense domaine à Ismara et d’un aéroport privé. Ce Dolfuss exploitait à la fois les travailleurs espagnols et les ouvriers agricoles algériens mais maltraitait plus ces derniers auxquels il octroyait des salaires plus misérables.

A ce moment-là, écrit Jacqueline :
« mon entourage était essentiellement communiste, ce n’était pas le hasard, mais le jeu des affinités. J’étais d’accord avec l’analyse faite par mes futurs camarades qui, contrairement à ce qu’on dit souvent, posaient l’indépendance comme condition préalable à toute amélioration de la situation. J’étais d’accord aussi avec l’attention qu’ils portaient aux conditions de vie des plus défavorisés et j’appréciais la lutte constante et efficace qu’ils menaient à leur côté. »

Elle ajoute :
« je ne me rappelle pas exactement quand j’ai adhéré au Parti communiste Algérien, mais c’était à cette époque. Mon adhésion coulait de source : elle était le fruit de mes premiers contacts avec la réalité coloniale qui m’obligeait à prendre position pour ne pas être complice ».

Et courageusement elle a participé aux nombreuses réunions et combats des groupes paysans communistes de la région d’Ifri et Ouchba à la veille de l’insurrection armée de 1954 dont nous venons de célébrer le soixantième anniversaire. C’est pour cette raison qu’elle a dédié son ouvrage « Des douars et des prisons » entre autres à nos camarades paysans pauvres d’Ifri, aux chouhada Tahar Gomri et Moussa Hillali. Elle le dédiera également à d’autres chouhada : à l’ouvrier Fernand Iveton, auquel elle avait remis la bombe qu’il devait placer à l’usine à gaz du Hamma pendant la guerre de libération, à un petit commerçant Mohamed Arezki Bennaceur, à deux intellectuels engagés Ahmed Inal et Taleb Abderahmane. Deux d’entre eux appartenaient au PPA-MTLD et les quatre autres au PCA. Mais tous les six avaient combattu et sont morts en tant que FLN pour l’indépendance du pays et leur rêve était de faire régner dans le pays la justice sociale dans le pays au lendemain de sa libération.

Jacqueline fut aussi une combattante pour le droit des femmes à l’égalité. Son ouvrage des « Douars et des prisons » estime Jacqueline
«  a pour objectif … de porter témoignage sur la vie des femmes politiques dans les prisons coloniales d’après ma propre expérience. »

A ce propos Abdelhamid Benzine écrit de son ouvrage :
« Elle nous parlera avec tendresse de ses frères et encore plus de ses soeurs de prison. Elle nous fait connaître et aimer ses femmes de l’ombre, hier héroïnes, aujourd’hui soumises à un infâme code de la famille qui en fait d’éternelles soumises ».

Jacqueline avait également cette qualité de ne pas cacher ses opinions politiques et même si elle avait eu des appréciations différentes sur certaines réactions de la direction de son parti, elle savait rétablir la vérité, notamment concernant son attachement à l’idéal communiste. Il est bon à propos de l’application des accords PCA-FLN de citer ce qui suit contenu dans son ouvrage « Des douars et des prisons »

 : « Après avoir récupéré les groupes des CDL, le FLN en avait laissé la structure intacte, au lieu de les éparpiller en les incorporant dans ses propres cellules. Je n’ai jamais été informée des raisons de ce choix, mais je peux imaginer qu’à un souci d’efficacité (ne pas disperser des groupes opérationnels) s’ajoutait la crainte de l’influence, jugée négative, qu’ils auraient pu avoir sur les membres du FLN des cellules d’accueil. Je crois que la méfiance du FLN envers le PCA et tout ce qui en émanait restait vive [2].

En tous cas, ils ont exigé des militants ex-PCA, non pas une lettre de renonciation à toute appartenance et à tout contact avec le PCA jusqu’à l’indépendance, ce qui aurait été normal, mais une lettre de répudiation dans laquelle ils devaient motiver ce reniement par une critique de leur ancien parti pour pouvoir être intégrés dans le FLN. En ce qui me concerne, je tenais à conserver mon appartenance au FLN, qui avait fait l’objet, et d’un choix individuel d’efficacité, et d’un accord entre les deux partis (FLN/PCA), accord dans lequel cette clause n’était évidemment pas prévue. Mais je n’étais pas prête à signer un tel reniement. C’était un sujet d’une actualité brûlante au moment de mon arrestation qui tombait à point nommé pour m’éviter le dilemme ! "

La lecture de son ouvrage « Des douars et des prisons », sa réédition et sa traduction en langue arabe et sa diffusion aussi large que possible sont nécessaires pour l’éducation des jeunes générations et l’organisation de leur combat afin que le rêve de toutes celles et de tous ceux qui se sont battus pour chasser le système colonial en le remplaçant par un système sans exploitation et sans oppression devienne une réalité comme l’espérait Jacqueline Guerroudj. Ce sera le meilleur hommage de fidélité que nous lui rendrons.

Le Parti Algérien pour la Démocratie et le Socialisme et la rédaction du Lien, en cette triste circonstance, présentent à Djillali son époux, à ses enfants et petits-enfants, leurs condoléances et leur expriment leur solidarité.

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La rédaction du Lien

in Lien-pads.fr

21.01.2015



[1«  Des douars et des prisons  » préface de Abdelhamid Benzine - Éditions Bouchène.

[2  »Elle l’est demeurée après la guerre : beaucoup de militants, et à fortiori du PCA, se sont vu refuser l’attestation de militantisme qu’ils n’ont obtenue que longtemps après. Seul le militantisme au sein du FLN était reconnu, et l’intégration des CDL n’était admise qu’avec réticence. Sur mon attestation communale de militantisme, la période prise en compte (validée) commence le jour de mon incarcération (28/01/57), la ligne «  fiday  » restant vierge : j’aurai donc été condamnée à mort sans avoir rien fait auparavant qui le justifie. Joli paradoxe … "