Affaires de corruption. Ne pas se laisser manipuler par les clans en guerre les uns contre les autres.

dimanche 14 février 2010
par  Alger républicain

Ce qu’on appelle « l’affaire Sonatrach » n’est que l’expression spectaculaire d’une nouvelle crise qui secoue aux plus hauts sommets de l’Etat les groupes de profiteurs et de prédateurs qui ont mis le pays en coupe réglée depuis plus de 30 ans et pas seulement depuis l’avènement de Bouteflika au pouvoir en 1999 ainsi que veulent le faire admettre ses contradicteurs.

Rappelons brièvement les faits tels qu’ils ont été portés à la connaissance des citoyens depuis le 14 janvier par quelques journaux privés - El Watan et Liberté - choisis par les services de sécurité pour distiller leurs informations officieuses.

Suite à une enquête menée par le Département de Renseignement et de Sécurité (ex-Sécurité militaire), le DG de Sonatrach, ses deux fils (associés dans une entreprise privée), l’ancien P.D.G de la banque CPA (Crédit populaire d’Algérie), le fils de ce dernier, 15 cadres de la Sonatrach, dont deux vice-présidents, ont été arrêtés par les éléments du DRS et présentés devant le tribunal de Sidi M’hamed. Les investigations du DRS auraient révélé des « malversations dans l’octroi de marchés à deux bureaux d’études et de consulting et d’installation de surveillance dans le cadre de l’activité de transport par canalisation » (El Watan du 14 janvier 2010). Il s’agirait « là d’une grande affaire de corruption liée à la passation douteuse de marchés publics au profit de deux bureaux d’études et de consulting et d’une entreprise d’installation d’équipements de sécurité, qui auraient bénéficié d’importants contrats en contrepartie de pots-de-vin grâce aux enfants du PDG de Sonatrach qui auraient joué le rôle d’intermédiaires. » Les personnes arrêtées sont poursuivies pour « malversations, violation de la législation en matière de passation de marchés publics, corruption et, surtout, association de malfaiteurs, une accusation qui relève du tribunal criminel et dont les premières estimations font état de plus de centaines de millions de dinars. »

Contre toute évidence, le Ministre de l’Énergie, M. Khelil, a prétendu qu’il n’avait appris l’existence de cette enquête et les raisons de ces arrestations que par la presse. Il fait tout pour blanchir ses protégés. « L’homme des États-Unis » comme le surnomment à juste titre de larges secteurs de l’opinion patriotique pour son rôle dans la privatisation des hydrocarbures en 2005, privatisation remise en cause une année après par une autre frange du pouvoir, effrayée à l’idée que soit sciée la branche sur laquelle toutes les fractions prédatrices dirigeantes sont assises, l’homme qui s’est employé depuis sa nomination à la tête de ce secteur en 1999 à disperser les équipes de cadres expérimentés et compétents attachés à une vision patriotique du rôle de Sonatrach, à casser méthodiquement l’instrument étatique qui procure à l’Algérie l’essentiel de ses rentrées en devises, l’homme qui a piloté le saccage de l’Argentine dans les années 1990 en tant qu’envoyé de la Banque Mondiale, celui qui a décidé avec la complicité ouverte ou tacite de tout le pouvoir de vider nos gisements de gaz pour approvisionner les USA en « énergie propre » et voler au secours de l’Europe face au contentieux Russie-Ukraine, poussant le pays à gaspiller des milliards de dollars pour l’extension des capacités de liquéfaction et d’exportation du gaz naturel, à se saigner pour financer seul ces coûteux investissements, à créer à terme une grave menace sur sa sécurité énergétique, ce ministre continue à jouir du soutien de divers cercles du pouvoir dont la priorité est de servir d’auxiliaires aux visées de l’impérialisme dans la région. Le réseau de nuisance appuyé par le ministre de l’Énergie semble s’être lancé dans une opération de chantage pour sauver ses positions. C’est apparemment une « grève perlée » ou une « grève du zèle » qui est orchestrée pour paralyser le fonctionnement de Sonatrach sans se soucier du risque de mettre à genoux le pays.

Il apparaît de plus en plus clairement, à la lumière des révélations d’anciens cadres dirigeants de Sonatrach, que les faits reprochés aux personnes arrêtées ne sont en réalité que des « bagatelles » en comparaison des milliards de dollars de commissions et dessous de table perçus à travers des contrats autrement plus volumineux, dont la décision de conclusion se trouve à d’autres niveaux et non à celui de pitoyables sous-fifres pris la main dans le sac au moment où ils allaient prendre leur « modeste » part du butin, aussi serviles soient-ils dans l’exécution des ordres antinationaux de leurs maîtres.

L’arrestation des cadres de Sonatrach est un maillon de la chaîne de scandales qui éclatent l’un après l’autre ces derniers mois ou qui sont divulgués dans la presse privée : affaire de l’autoroute Est-Ouest qui a débouché sur l’arrestation de responsables du ministère des Travaux Publics, affaire des thoniers turcs, ces deux affaires impliquant des ministères tenus par des islamistes. Certains journaux se sont fait l’écho de graves accusations de détournement de centaines de milliards de dinars du Fonds National de Développement de l’Agriculture par l’ancien président de l’APN avec la complicité de l’ancien ministre de l’Agriculture, proche du « cercle présidentiel » et actuellement à la tête du ministère de la Santé où il a été salutairement placé. Le DG de l’entreprise du Métro d’Alger fait l’objet lui aussi de poursuites judiciaires pour passation non réglementaire de marchés. L’affaire de l’Union Bank dissoute en 2004 vient d’être exhumée, alors que tout le monde pensait qu’elle était close et classée après son jugement. Si l’on en croit les « confidences » faites à certains journaux, le chef de l’Etat veillerait en personne pour que la nouvelle instruction de cette affaire « aille le plus loin possible ».

Tout se passe comme si une guerre était ouverte. Elle est pour le moment menée à coups de dossiers de corruption que les uns et les autres se jettent à la face.

La conviction de larges secteurs de l’opinion est que ces affaires ne sont que la partie visible de l’iceberg de la corruption qui a gangrené le pays de haut en bas, particulièrement depuis que la libéralisation économique a été décrétée à la fin des années 1980 et que, dans ce sillage, la soif d’enrichissement illicite est devenue la règle de conduite des responsables, le critère fondamental de nomination aux postes de commande. Elle n’est que l’arbre qui cache la forêt. La vérité est que le combat réel et résolu contre la corruption n’est absolument à l’ordre du jour d’aucune fraction influente du pouvoir. Aucune d’entre elle n’a l’intention de se tirer une balle dans le pied. Visiblement, certains ne seraient prêts à désigner des boucs émissaires bons à jeter en pâture que pour sauver l’essentiel, face à un mécontentement populaire généralisé. Les clans en lutte pour l’hégémonie dans le pouvoir et le partage des parts du butin s’entendent parfaitement, comme des larrons en foire, quand il s’agit de brimer et réprimer le peuple dans ses luttes pour exprimer et défendre ses droits, les syndicats autonomes, les différentes catégories de travailleurs, comme ceux de SNVI, quand il s’agit de brader l’économie nationale, à l’image du complexe sidérurgique d’El Hadjar, quand il s’agit d’étrangler la liberté de presse et de « subventionner » à fonds perdus la presse aux « ordres ». Il existe incontestablement dans divers appareils d’État des courants et tendances qui voudraient en finir avec la pourriture qui mène le pays vers l’abîme. Mais ils n’ont pas l’initiative. La cause de cette situation indigne pour le pays n’est pas dans le fait que les « gouvernés » seraient eux-mêmes liés par la corruption aux gouvernants comme l’écrivent des « analystes » aigris, cruellement déçus par leur brutale éjection des sphères de réflexion d’un pouvoir « ingrat ». Le régime économique qui s’est créé depuis le grand virage à droite de 1980 repose sur le détournement systématique et généralisé des ressources tirées du pétrole et de la production au profit d’une minorité agrégée par le ciment de la corruption. Cette minorité de profiteurs sans foi ni loi, détenant pouvoir de vie et de mort sur le pays, est déterminée à défendre ses privilèges « irréversibles » face au mécontentement et à la colère montante au sein d’un peuple non moins déterminé à se débarrasser tôt ou tard de ceux qui font son malheur.

La vérité est qu’il s’est constitué depuis 10 ans un nouveau et vaste réseau de clients et de prébendiers autour du chef de l’État. Ce nouveau réseau est animé d’une soif inextinguible de pouvoir politique et économique absolu. Pour réaliser enfin son aspiration à contrôler à lui seul les ressources du pays, en particulier ses hydrocarbures, à placer ce secteur sous son emprise exclusive, il pense que le moment est venu de prendre par tous les moyens la place du vieux réseau qui avait eu le temps de pousser partout ses tentacules depuis l’époque de Chadli. Le nouveau réseau de profiteurs a fait de Sonatrach sa caisse particulière, sa pompe à fric pour financer les campagnes électorales des candidats du « consensus » du pouvoir, pour doter d’une gigantesque logistique le nouveau parti présidentiel en gestation accélérée, un parti programmé pour naître à son tour « avec des moustaches » et évincer de la course les autres partis de la coalition présidentielle actuelle. Ce parti n’a pas attendu l’agrément du ministre de l’Intérieur pour installer à travers tout le pays ses antennes et ses représentants locaux. La perte du contrôle de Sonatrach affaiblit ses moyens d’intervention. Elle brise net son élan vers la suprématie.

La vérité est que le pays est confronté à une grave crise des finances extérieures qui couve en silence. Les dirigeants cachent les chiffres clés et font tout pour en minimiser les conséquences auprès des citoyens, en particulier des travailleurs, paysans, jeunes, intellectuels. En toute vraisemblance, 2009 s’est terminée par un grave déficit des comptes extérieurs, les sorties de devises étant plus importantes que les entrées enregistrées. Cette crise n’est pas due à la chute des recettes pétrolières, comme ils le prétendent pour convaincre les travailleurs qu’ils doivent accepter de nouveaux sacrifices. Elle a son origine dans les détournements massifs de deniers publics, la surfacturation des biens importés, la hausse totalement injustifiée des importations du point de vue de l’intérêt national, la fuite des devises. Elle est en un mot le résultat de l’appétit démesuré de ces couches de profiteurs qui sont prêtes à mettre le pays à feu et à sang plutôt que de renoncer ne serait-ce qu’à un euro de pot de vin. Le gâteau n’est pas assez grand pour satisfaire l’appétit d’ogre de tous les trafiquants du pouvoir. Il ne le sera jamais, même si tout le gaz du pays devrait être exporté en quelques années ainsi que le veut le ministre de l’Énergie dans son objectif insensé de doubler en moins de trois ans les exportations en les portant à 125 milliards de mètres cubes par an ! Et ce sans consulter personne, comme s’il s’agissait de ses biens personnels, sans demander son avis au peuple, sans même feindre de porter le débat, ne serait-ce que pour la forme, devant les « béni oui-oui » de l’APN et du Sénat.

C’est pour cela que les couches dirigeantes se battent à couteau tiré et qu’elles n’hésiteront pas à pousser le pays au bord du gouffre.

Il ne faut malheureusement pas exclure que les uns et les autres s’entendent pour jeter encore une fois en pâture les cadres gestionnaires honnêtes faisant ainsi d’une pierre deux coups : dévier le mécontentement populaire des véritables responsables de la corruption, pousser à un exode massif des compétences vers un secteur privé à qui le régime a promis de nouvelles faveurs de toutes sortes au nom d’un soi-disant « patriotisme économique » qu’aucun d’entre eux n’a respecté quand il s’agissait de casser le secteur public industriel comme par exemple SNVI, SIMAS, le Complexe de vannes et de pompes de Berrouaghia, etc.

La vérité aussi est que les puissances impérialistes ne se contentent pas d’assister les bras croisés à ces luttes internes. Elles les provoquent et les attisent pour amener l’un ou l’autre des groupes en conflit à leur faire le plus de concessions dans la mise en vente du pays, l’éradication des sentiments patriotiques anti-impérialistes qui animent encore de larges couches de notre peuple, la transformation de l’Algérie en porte-avions des USA pour le contrôle de l’Afrique, du Sahel notamment, l’enrôlement de l’armée algérienne dans ses plans de quadrillage du monde. L’intensification ces dernières semaines des allées et venues des responsables de l’Africom et du gouvernement US n’a pas d’autre objectif.

Les travailleurs, les jeunes, ne doivent pas se laisser manipuler et entraîner de nouveau dans des affrontements qui sont étrangers à leurs intérêts. Les leçons du 5 octobre 1988 doivent être assimilées. L’instrumentalisation de l’Islam, la promotion du FIS, créature du régime pour combattre les progressistes, en particulier les communistes, comme l’a publiquement reconnu l’an dernier le général Nezzar, ont fait assez de mal pour la grande masse du peuple. Les travailleurs et les jeunes surtout, ne doivent pas se laisser tromper par des trouvailles machiavéliques qui ne déboucheront une fois de plus, si les forces viennent à manquer pour une alternative démocratique révolutionnaire, que sur le triomphe d’un groupe sur un autre ou sur de nouveaux arrangements entre eux et dont le peuple sera, dans l’un ou l’autre cas, seul à payer la facture.

Il n’y a qu’une seule voie pour les citoyens qui ne vivent que du fruit de leur travail manuel et intellectuel :

- se battre pour arracher des augmentations salariales, obliger les autorités à créer de vrais emplois, à relancer l’industrie, à définir une nouvelle stratégie de développement, à assainir les finances du secteur public économique pour en faire un levier de croissance et de développement, à démocratiser sa gestion, à aider les petits paysans exclus des crédits bancaires et des subventions de l’Etat, à construire des routes, des centres de santé, à étendre le réseau de distribution du gaz, de l’électricité, de l’eau, à assurer l’entretien de celui qui existe, etc.,

- s’unir, se solidariser les uns des autres autour de leurs revendications sociales,

-créer dans l’action et l’union leurs organisations syndicales indépendantes des exploiteurs et oppresseurs,

- se rassembler dans des cadres politiques populaires qui expriment réellement leur aspiration à de vrais changements politiques et socio-économiques, à la rupture avec le libéralisme économique qui a conduit le pays dans l’impasse,.

En dehors de ces luttes, il n’y a pas d’autre voie, pas « de clan ou de sauveur providentiel » pour créer les conditions de ces changements. L’alternative de progrès sera le fruit de ces luttes et uniquement de ces luttes.

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Kader Badreddine