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Après la manifestation des policiers : tout rentre dans l’ordre

vendredi 24 octobre 2014, par Alger republicain

Avec une célérité remarquable, le gouvernement semble avoir désamorcé le mécontentement des policiers anti-émeutes, dont les manifestations inattendues avaient suscité inquiétudes et interrogations à divers niveaux. Il s’est engagé à satisfaire leurs revendications "socioprofessionnelles" [1] après leur défilé dans les rues d’Alger et leur sit-in devant le siège de la Présidence, dont le signal de départ avait été donné par la marche de leurs collègues de Ghardaïa. Le régime a su être à l’écoute des plaintes de ceux qui risquent leur peau en le servant. Il y a encore de l’argent à redistribuer même si la baisse du prix du pétrole commence à susciter des angoisses.

L’effervescence est donc vite retombée. Mais les questions se posent sur la signification d’un événement aussi inédit. Pour certains commentateurs de presse ou représentants de partis dits "opposants", habitués à lire tout événement social sous le prisme des manipulations, ces manifestations sont à prendre comme l’expression de la crise d’un régime qui se trouverait rien moins, à les en croire, en phase finale de "déliquescence". Pour d’autres ce serait le fruit des luttes qui se dérouleraient en son sein pour l’hégémonie totale de tel ou tel clan sur l’armée et les services de sécurité. A moins d’avoir partie liée aux clans et appareils décriés pour en connaître si bien les convulsions internes secrètes, il est difficile à tout observateur extérieur au régime de trancher de façon aussi catégorique et d’asséner des vérités à travers les colonnes de journaux servant de porte-voix à tel ou tel courant du régime quand ils ne s’inscrivent pas dans des opérations géostratégiques plus vastes en accointance avec des puissances extérieures.

De très nombreux citoyens n’ont vu dans les revendications présentées par les policiers en colère que le désir de pouvoir accomplir leur "métier" dans de bonnes "conditions morales et matérielles". En d’autres termes de pouvoir se reposer, se restaurer convenablement autour d’une table et d’un repas chaud, dormir dans un lit confortable, retrouver régulièrement ses proches, bref récupérer l’énergie dépensée avec un zèle sadique dans les bastonnades copieusement infligées aux citoyens qui manifestent dans la rue ou devant les sièges de l’autorité !

Le peu de choses que l’on peut avancer de façon logique pour comprendre les ressorts du mouvement sans précédent de ce corps institutionnel est que le rejet par l’immense majorité de la population de la corruption, des injustices sociales et de l’impasse économique du pays ne pouvait pas ne pas influer sur le moral et l’état d’esprit des "agents de l’ordre". Policiers ou militaires, chargés d’étouffer les manifestations pacifiques ou d’éteindre les brasiers de la contestation politique et sociale qui s’allument depuis des années aux quatre coins du pays, n’échappent pas aux contradictions qui agitent la société et à ses conflits de classe antagoniques.

Quand les caisses de l’Etat sont dilapidées avec un tel entrain, il est difficile à des policiers sur la brèche 24 sur 24 pour disperser une manifestation de chômeurs, de citoyens mal logés, d’ouvriers en grève, d’enseignants ou de postiers réclamant des hausses de salaires, de ne pas en arriver à penser que le rôle qui leur est assigné sous couvert de préserver la stabilité du pays est objectivement de garantir la sécurité des possédants, des profiteurs, des corrompus, de leur permettre de dormir d’un sommeil tranquille. En fin de compte, ils ont exigé d’avoir leur part équitable de la redistribution des revenus pétroliers. Les policiers sont avant tout des enfants du peuple. Même si le chômage les a poussés à s’engager dans des corps dont la mission est d’étouffer la libre expression, leurs réactions ne reflètent pas moins les aspirations, les revendications, les préjugés de même que les calculs contradictoires à court terme et les limites politiques de ce peuple.

Il reste que le pays peut bien se passer d’entretenir un corps de police dont les effectifs ont enflé démesurément en corrélation avec les inégalités sociales accentuées par les libéralisations de ces 20 dernières années : 35 000 hommes en 1990 et 209 000 en 2014 contre 90 000 il y a 4 ans seulement ( chiffres publiés dans le Soir d’Algérie du 23 octobre).

Si le gouvernement avait dépensé autant d’argent pour réindustrialiser le pays que pour entretenir la police, sans même évoquer les sommes astronomiques dépensées dans les importations de superflus depuis que le commerce extérieur a été livré aux appétits d’une bourgeoisie parasitaire et cupide, il y a bien longtemps que le chômage aurait été éradiqué et les causes des émeutes supprimées. Il n’aurait pas été nécessaire de recruter autant de gens pour matraquer à tour de bras des citoyens qui réclament leurs droits. Les candidats aux aventures séditieuses et à l’instauration par la terreur d’un khalifat d’une époque révolue auraient été vite isolés au sein du peuple et neutralisés.

Malheureusement ce n’est qu’une vue de l’esprit. Force est de constater que ceux qui commandent le pays n’ont aucune volonté de s’engager dans une telle voie. Car elle suppose la relance d’un secteur public productif dont ils ne veulent plus. Toutes leurs préoccupations sont tournées vers l’enrichissement personnel, le montage d’affaires lucratives, l’accaparement des richesses du pays, la fuite des capitaux, l’achat d’immobilier à l’étranger, bref la satisfaction des intérêts cupides d’une nouvelle classe d’exploiteurs et d’affairistes parasitaires. On ne peut aspirer à s’ériger en classe possédante, ce qui pousse à discréditer dans son principe même l’idée de la nécessité d’un secteur public productif orienté vers la réalisation des aspirations de la nation, et en même temps s’affairer à le promouvoir, tout faire pour qu’il réussisse. Les discours périodiques sur des programmes de relance industrielle ne sont que du vent. Face à la montée dans la société de l’exigence de l’industrialisation, les responsables veulent faire croire que leur politique va dans ce sens.

La plupart des commentateurs des récents événements n’ont vu dans les manifestations des policiers qu’un prétexte pour répandre leurs discours sur la "faillite politique" du régime. Ils ont accusé le gouvernement d’avoir cédé aux policiers pour "acheter la paix sociale", au prix de la mise en danger des équilibres financiers du pays, reprenant leur refrain habituel, à chaque fois qu’un corps de travailleurs contraint le pouvoir à répondre favorablement à leurs revendications. Un thème rabâché que l’on peut assimiler à une position de rejet des revendications des travailleurs. Mais aucun de ces "analystes" n’a dénoncé la politique de désindustrialisation suivie depuis des décennies, l’échec retentissant de la politique des privatisations, constat établi par Amara Benyounès qui est pourtant l’un de ses plus grands défenseurs, l’incapacité du secteur privé à faire face aux défis d’une nation venue au monde il y a à peine un demi siècle, la constitution de classes sociales aux intérêts diamétralement opposés à ceux de la nation, ou prôné la relance du développement et du secteur public économique.

La manifestation des policiers aura révélé à sa manière, outre l’acuité des luttes sociales, l’indigence d’une opposition de droite qui veut prendre les leviers de commande et continuer au fond à appliquer la même politique pour le plus grand bien de ceux à qui elle a bénéficié.

Kader Badreddine

Alger républicain

24.10.14