Après la mort en héros de Iveton et de Ouennouri et Lakhnèche, ils ont écrit :

mercredi 17 février 2010
par  Alger républicain

Il est mort le 11 février 1957 pour que l’Algérie soit indépendante, et il l’a encore proclamé sur la guillotine.

Il a été exécuté et avec lui Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhmèche.

Fernand Iveton guillotiné le 11 février 1957 pour son combat pour l’Algérie indépendante.

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Abdelkader Guerroudj, autre condamné à mort, à son avocat Maître Michel Bruguier :

« Ils sont morts en héros, criant leur foi dans une Algérie libérée. Une grève de quarante-huit heures en signe de protestation et de deuil a été suivie par tous les détenus de la prison. À certaines personnes qui demandaient des précisions sur Iveton, des nationalistes ont répondu que c’était « un moujahid » (combattant de la cause sacrée) comme les autres. Dans l’esprit et le cœur de tous les Algériens en lutte, et pas des seuls communistes, Iveton - comme d’autres – est devenu le symbole de l’amitié et de la fraternité totales des éléments populaires qui constituent l’Algérie de demain. Mais ce symbole nous aurions voulu le conserver vivant. Jusqu’à la dernière minute, malgré les pressions tenaces de la réaction fasciste, un faible espoir demeurait encore, que nos cœurs avaient démesurément gonflé, tant il nous semblait impossible qu’un gouvernement socialiste laissât consommer un tel crime, et la veille en me rendant chez mon avocat, lorsqu’on m’eut montré notre héros qui passait, souriant et optimiste, je ne me doutais pas du tout que je le voyais pour la première et dernière fois »


Dans le tome 2 de « La Guerre d’Algérie » d’Henri Alleg, ce commentaire :

« En le faisant assassiner, le gouvernement de la France visait un triple objectif :

alimenter à l’ONU la thèse du complot communiste en Algérie,
saper dans l’hexagone les positions du Parti communiste Français,
effrayer surtout les Algériens d’origine européenne – communistes, chrétiens, libéraux – engagés aux côtés des autres Algériens dans la lutte pour l’indépendance de leur patrie.
Le mythe de « l’Algérie française » aurait en effet reçu un coup mortel si les forces d’avant-garde d’Algérie avaient réussi à entrainer une partie notable des Européens dans le combat libérateur… La masse des Européens, on le sait, se laissera gagner par le virus de « l’Algérie française », mais dans le pays si profondément gangrené par le racisme, l’engagement d’Européens pour la cause des colonisés constitue un phénomène, sans équivalent dans le monde, dont il faut trouver l’origine essentiellement, dans les luttes sociales et nationales animées par le P.C.A. [1] qui s’était efforcé d’insuffler à ses militants un idéal de fraternité, dans les actions dirigées par les syndicats, et aussi dans l’idée de la foi que se font un certain nombre de chrétiens, dans l’idée de démocratie que se font les libéraux. »

Jacqueline Guerroudj, raconte l’action armée proposée et mise œuvre par Fernand Iveton.

Dans son ouvrages « Des douars et des prisons » (editions Bouchene pages 40 à 43),

Jacqueline Guerroudj, condamnée à mort par les tribunaux colonialistes au cours de la guerre de libération, expose la préparation de l’attentat proposé et mis en œuvre par Iveton.

Voici ce qu’elle écrit :

Fernand Yveton.

C’est en octobre que le groupe du Ruisseau a étudié le projet d’attentat à l’usine à gaz du Hamma, proposé par Fernand Iveton lui-même,et demandé le matériel nécessaire. Je dois à la mémoire d’Iveton de faire le point sur cette action dans laquelle j’ai été étroitement impliquée et qui a suscité une floraison d’affirmations mensongères dans les journaux et les publications plus ou moins mal intentionnées, comme « Histoire », les écrits de Courrière, etc.

Einaudi, par contre a fait l’effort de bien s’informer et de rapporter les faits honnêtement.

Le personnage de Fernand Iveton, héros modeste et clairvoyant, méritait une étude. Mais je déplore, dans mes tripes, que la vie et la mort de cet homme imprégné d’un Idéal Communiste qui l’a conduit à la lutte anti-colonialiste et à l’adhésion au FLN aient été utilisés pour faire le procès des partis communistes français et algérien, sans parler du parti socialiste. [2]

Quant à Yacef Saadi, [3] il semble avoir totalement oublié les circonstances de cette affaire qui pourtant était de son ressort. En outre, il porte sur des militants d’origine communiste des jugements bien sommaires et biens négatifs, sans aucune base objective. Par exemple, il affirme qu’Iveton a été arrêté sur une dénonciation qui dit-il, « ne pouvait provenir que de son propre entourage », alors que c’est le tic-tac du réveil utilisé pour régler la bombe qui l’a dénoncé. Par ailleurs, le FLN nous a vivement reproché l’attitude du PCA qui relatait l’attentat d’Iveton comme celui d’un militant communiste, alors qu’il appartenait au FLN lorsqu’il l’a commis. Le reproche était justifié mais nous n’en étions pas responsables.

Revenons aux faits : j’étais en contact avec M’hamed Hachelaf, dont la bonhomie souriante était agréable et sécurisante. À signaler que ni lui ni Iveton n’avaient été gênés de ce que leur contact soit une femme. C’est lui qui m’a mise en rapport avec Iveton, ouvrier tourneur à l’EGA. Leur objectif, clairement exprimé, était de placer des bombes sous les tuyaux, à un endroit choisi pour que les dégâts empêchent l’usine de fonctionner, privant ainsi Alger d’électricité. Il n’a jamais été question, contrairement à ce qu’affirme Yacef Saadi, de faire sauter le réservoir de gaz ; la déflagration aurait détruit tout le quartier à l’entour, dont la population étaient essentiellement musulmane.

Bien au contraire, l’objectif était un sabotage purement matériel et Iveton a exprimé à deux reprises son souci de ne tuer personne. Il a demandé que les bombes soient réglées à dix huit heures, en fonction de quoi un premier réglage avait été prévu pour dix huit heure trente. Iveton a jugé que la marge était insuffisante, au cas ou des ouvriers s’attarderaient pour des raisons imprévisibles et il a demandé que les bombes soient réglées pour exploser à dix neuf heures trente. Les responsables FLN avaient accepté le projet de sabotage tel qu’Iveton l’avait présenté. Son scrupule concernant l’heure de réglage n’a pas pu leur échapper non plus, puisque l’opération en a été retardée de quelques jours.

J’ai donc rencontré plusieurs fois, et seulement en cette occasion, Abderrahmane Taleb qui devait me remettre les bombes et procéder à leur réglage. Il n’a témoigné aucune humeur de ce contretemps qui pourtant multipliait les risques. Je rencontrais Taleb devant l’Opéra (devenu TNA), à coté de la Casbah. Il portait toujours un imperméable beige, des lunettes de vue, il était assez réservé, il avait l’air d’un étudiant (il l’était d’ailleurs mais je ne le savais pas). Quant au réglage final des bombes, Taleb l’a effectué devant moi, sur la table de la salle à manger d’un couple d’Européens que je ne connaissais pas, à Hussein-Dey. Les bombes étaient assez volumineuses, de la taille d’une grande boite à chaussures, et munies d’un réveil rond, d’un modèle courant mais bruyant.

J’avais rendez vous avec Iveton au Ravin de la femme Sauvage, à treize heures, avant qu’il ne reprenne son travail. Il a essayé de mettre les bombes dans sa musette mais elles étaient trop grosses et il n’a pu en prendre qu’une seule. Contrairement à ce qu’on dit, il en avait bien demandé deux, ignorant leur taille. Il était tout à fait naturel et détendu, et nous avons bavardé comme de vieux amis. Je ne l’ai jamais revu.
Le soir, Iveton avait rendez vous à la sortie du travail avec Yahia Briki qui devait le planquer en attendant qu’il puisse partir au maquis. Il était évident que étant connu comme communiste, les soupçons se porteraient sur lui dès l’explosion de la bombe. En arrivant à l’usine, il avait mis sa musette dans son placard. Un contremaître qui se méfiait de lui et qui le surveillait, a entendu le tic-tac du réveil et a prévenu la police.

Iveton a été atrocement torturé, d’autant plus qu’on avait retrouvé sur lui les papiers ou Taleb avait noté l’heure d’explosion de chaque bombe ; il était donc urgent de le faire parler pour retrouver la seconde bombe ; il a dit que c’était une femme blonde et en deux-chevaux qui lui avait donné la bombe, alors que j’avais les cheveux noirs et qu’il aurait été facile de retrouver ma vieille Panhard bleu, cabossée et immatriculée à Oran. Il n’a pas parlé non plus de Yahia, et n’a pas révélé le lieu ni l’heure du rendez vous. Nous n’avons donc pas été inquiétés, ni l’un ni l’autre.
Et il a attendu que chacun ait eu le temps de se planquer avant de lâcher le nom d’un ou deux militants.

Restait la deuxième bombe et j’en étais bien embarrassée. Je suis donc allée retrouver Djilali, Yahia et Farrugia pour la leur remettre. Après avoir renoncé à la désamorcer, solution dangereuse et inefficace, ils avaient déterminé un objectif spectaculaire et inoffensif (les charbonnages). Mais Farrugia, chargé de l’exécution, en passant près du commissariat de police a décidé de la déposer dans un des camions de transport des CRS, stationnés Rampe Chassériau. Avec son sang-froid habituel, il s’arrêta, bloquant la circulation, descendit tranquillement et la déposa dans un car, sous une banquette, avant de remonter en voiture.

Il était accompagné d’un autre militant qui n’a jamais été arrêté. Cette bombe a été découverte le lendemain matin, elle n’avait pas explosé. De telles défaillances techniques étaient alors fréquentes. Ce qui a permis de constater que Taleb avait baptisé l’une de ces bombes Betty (prénom d’une des sœurs d‘Henri Maillot) et l’autre Jacqueline. Du moins c’est ce que les policiers m’ont dit, je ne l’ai pas vu de mes propres yeux. Pratique contestable certes, mais d’une part elles étaient censées exploser sans révéler leur identité, d’autre part ceux qui risquent leur vie dans chacun de leurs actes ont bien le doit d’en plaisanter.

La thèse, selon laquelle Iveton était un tueur a été soigneusement cultivée et brandie par la police et la justice, en toute mauvaise foi. Ils n’ont pas tenu compte des déclarations que j’ai faites quand j’ai été arrêtée, en janvier 1957. J e n’ai jamais été confrontée avec Iveton dont on aurait dû réviser le procès. Le Président Coty n’en a pas davantage tenu compte et n’a pas hésité, sciemment, à prendre la décision inique de l’exécuter pour une tentative de sabotage dénuée de toute intention homicide.

Il est mort le 11 février 1957 pour que l’Algérie soit indépendante, et il l’a encore proclamé sur la guillotine. Il a été exécuté et avec lui Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhmèche.

Tous ces frères de lutte, je les ai connus, beaucoup ou peu selon les circonstances, mai une cause, un combat, un ennemi commun, le danger partagé, scellent des rapports humains d’une qualité et d’une densité particulières.


[1Parti Communiste Algérien

[2Jean-Luc Enaudi. Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton. Enquête. Paris l’Harmattan, 1986

[3«  La bataille d’Alger  ». 1 L’embrasement. Editions E.T.C, 1982. Avec la collaboration de Hocine Mezali.