Au fronton de l’histoire : le camion d’armes d’Henri Maillot

lundi 4 avril 2016
par  Alger republicain

Le 5 avril 1956, La Dépêche Quotidienne, organe de la grosse colonisation, ouvre sa « Une » sur une information sensationnelle : « Dans l’après-midi d’hier, mystérieuse disparition d’un important chargement d’armes dans la forêt de Baïnem ».

Le camion capturé contenait 123 mitraillettes, 140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades et divers uniformes. De quoi armer plusieurs commandos. On apprend que l’homme qui a mené l’opération est l’aspirant Henri Maillot, réserviste de la classe 28, rappelé au 57e bataillon des Tirailleurs algériens.

Militant du Parti communiste algérien (PCA) clandestin, Henri Maillot pensa, dès son affectation en octobre 1955 à la caserne de Miliana (ouest d’Alger), à subtiliser des armes à l’armée d’occupation au profit de la résistance armée et de l’Armée de Libération nationale (ALN).

A la fin du mois de décembre 1955, lors d’une permission à Alger, il se confia à son camarade de parti, William Sportisse, qui venait rendre visite à ses parents avant de rejoindre Constantine. La direction du PCA clandestin, informée, donna son accord sans tarder.

L’opération militaire, supervisée par Bachir Hadj Ali, secrétaire du PCA clandestin et coordonnateur des Combattants de la libération (branche militaire du PCA, créée au mois de juin 1955), connut son épilogue le mercredi 4 avril 1956 vers midi. Sorti de la caserne à sept heures du matin, le camion Ford avait pris la route d’Alger avec à son bord Henri Maillot chef du convoi.

Après un arrêt de deux heures à l’Arsenal (ERM) de Belcourt où fut déchargée une partie des armes, le camion fut détourné vers la forêt de Baïnem, à l’ouest d’Alger, où, embusqué dans les broussailles,un commando des Combattants de la libération (CDL), composé de Jean Farrugia, Joseph Grau et Clément Oculi, attendait.

L’opération de transbordement fut rapide.
Pour des raisons de sécurité, la remise du lot d’armes destiné à l’ALN se déroula en plusieurs étapes.

L’acheminement des armes vers les maquis fut assuré par les Combattants de la libération des zones d’Alger et de Blida. La réception d’un premier lot par la direction d’Alger du FLN intervint quelques jours après le détournement du camion, selon le témoignage de Mokhtar Bouchafa, adjoint du commandant de l’ALN de la région d’Alger, Amar Ouamrane, futur colonel de laWilaya IV. Une partie des armes de guerre, transportées à Blida par Jean Farrugia dans le camion de Belkacem Bouguerra, fut remise au groupe Guerrab-Saâdoun-Maillot-Laban, des Combattants de la Libération, en route vers le maquis de l’Ouarsenis.

La fourniture d’armes de guerre à l’ALN fut comme une réponse au souci exprimé par Abane Ramdane dans son courrier, envoyé le 15 mars 1956, à la délégation extérieure du FLN installée au Caire : « … Si les communistes veulent nous fournir des armes, souligne-t-il dans sa missive, il est dans nos intentions d’accepter le Parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN, si les communistes sont en mesure de nous armer … ».

C’est dans ce contexte que la première rencontre eut lieu, les premiers jours de mai 1956 par un après-midi printanier, dans le cabinet dentaire de Mokrane Bouchouchi, place Bugeaud (Place Emir Abdelkader), face au siège du 19e Corps d’armée, au cœur d’Alger, entre Abane Ramdane et Bachir Hadj Ali, assistés respectivement de Benyoucef Benkhedda et de Sadek Hadjerès. Cette rencontre au sommet avait été arrangée par Lakhdar Rebbah, l’homme de confiance de Abane.

Evoquant cette rencontre FLN-PCA, l’officier de l’ALN devenu historien, Mohamed Téguia, écrit dans son livre-témoignage, L’Algérie en guerre : « Elle fut l’objet de félicitations de Abane qui rendit hommage aux communistes… (Il) fit connaître son projet de promouvoir l’aspirant Maillot comme lieutenant, en l’affectant en Kabylie. »

Les discussions aboutirent, au mois de juin 1956, à la signature des accords FLN-PCA.
« Maintenant, il n’existe qu’une seule armée contrôlée par le FLN », déclare le PCA clandestin. L’intégration « en bloc » des Combattants de la libération dans les maquis de la Wilaya IV (l’Arbaâ, Palestro (Lakhdaria), Ténès, Cherchell, Zaccar, Chlef et autres lieux de combat) fut supervisée par Amar Ouamrane.

Dans un communiqué signé de lui et adressé aux agences et organes de presse, Henri Maillot donna la signification de son geste :
« L’écrivain français Jules Roy, colonel d’aviation, écrivait il y a quelques mois :

« Si j’étais musulman, je serais du côté des ‘‘fellagas’’ ». Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Le peuple algérien longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples … Il ne s’agit pas d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race … En livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour le combat libérateur, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés. »

Henri Maillot tomba au champ d’honneur, à l’âge de 28 ans, dans la matinée du 5 juin 1956, dans le djebel Derraga (rive gauche du Chéliff), mitraillé dans le dos par les soldats français. Maurice Laban, Belkacem Hannoun et Djillali Moussaoui sont morts à ses côtés,les armes à la main. Abdelkader Zelkaoui, capturé la veille, avait été froidement assassiné.

En ce mois d’avril 1956, la guerre pour l’indépendance est à son vingtième mois. Le camion d’armes capturé par Henri Maillot entre dans la légende. La date du 4 avril 1956 s’inscrit au fronton de l’histoire.  

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Mohamed Rebah

Chercheur en histoire. Auteur

N.B. La signature des accords FLN-PCA est intervenue quelques semaines avant la tenue du Congrès de La Soummam (20 août 1956).

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A l’occasion du soixantenaire du décès d’Henri Maillot, nous avons jugé utile de republier cet article qui a déjà été publié dans Alger rpéublicain, le 04 avril 2011 : article consultable ici


Eléments bibliographiques :

- Site Socialgérie (l’Opération Maillot)

- Belhocine H. - Le Courrier Alger-Le Caire 1954-1956, Casbah éditions, Alger 2000. (Page 164).

- Téguia M - L’Algérie en guerre, éditions OPU, Alger, (pages 201 à 210).

- Alleg H. - La Guerre d’Algérie, éditions Temps Actuels, Paris, 1981, (tome 2, pages 188 à 194 : Le Front dirige la lutte).

- Bouregaâ L .- Assassinat d’une révolution (paragraphe sur la fourniture des armes au maquis de Ouled Slama), éditions Bouchène (en langue arabe), Alger, 1989.

- Témoignage de Mustapha Saâdoun, vieux dirigeant du PCA, sur son intégration dans l’ALN (début juillet 1956), au maquis de Cherchell où il fut le premier commissaire politique (in mon ouvrage Des Chemins et des Hommes) et le témoignage d’Ahmed Ghebalou - H’mimed dans la collection Mémoria.