Comment Al-Qaeda est arrivé ? régner sur Tripoli (Asia Times)

lundi 5 septembre 2011

Son nom est Abdelhakim Belhaj. Certains au Moyen-orient ont peut-être entendu parler de lui mais en occident et ailleurs son nom est pratiquement inconnu.

Alors voici une séance de rattrapage. Parce que l’histoire de comment un agent d’Al-Qaeda a pu se retrouver haut-commandant militaire ? Tripoli va – une fois de plus – briser l’immense champ de miroirs qu’est « la guerre contre le terrorisme » et compromettre sérieusement la propagande patiemment concoctée par l’OTAN sur son « intervention humanitaire » en Libye.

La forteresse de Kadhafi, Bab-al-Aziziyah, fut envahie et conquise la semaine dernière principalement par les hommes de Belhaj – qui ont été le fer de lance de la milice des Berbères dans les montagnes du sud-ouest de Tripoli. La milice est connue sous le nom de Brigade Tripoli et elle a été secrètement entraînée pendant deux mois par les Forces Spéciales US. Elle s’est révélée la milice la plus efficace au cours de ces six mois de guerre civile/tribale.

Mardi dernier, Belhaj jubilait déj ? sur la victoire et racontait comment les forces de Kadhafi s’enfuyaient « comme des rats » (notez que Kadhafi emploie la même métaphore pour désigner les rebelles).

Abdelhakim Belhaj, alias Abu Abdallah al-Sadek, est un djihadiste libyen. Né en mai 1966, il a fait ses premières armes avec les moudjahidin lors du djihad anti-soviétique en Afghanistan dans les années 80.

Il est le fondateur du Groupe islamique combattant en Libye et de facto son émir - avec Khaled Chrif et Sami Saadi comme adjoints. Après la prise de pouvoir par les Taliban ? Kaboul en 1996, le GICL a maintenu deux camps d’entraînement en Afghanistan ; un de ces camps, ? 30 km au nord de Kaboul et dirigé par Abu Yahya, est strictement réservé aux djihadistes proches ou appartenant ? Al-Qaeda.

Après le 11/9, Belhaj s’est installé au Pakistan et aussi en Irak, où il s’est lié d’amitié avec ni plus ni moins que l’ultra radical AbuMusab al-Zarqawi – tout ceci avant qu’Al-Qaeda en Irak ne prête allégeance ? Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri et ne renforce radicalement ses actions.

En Irak, les Libyens constituaient le contingent étranger de djihadistes sunnites le plus nombreux, devancés uniquement par les Saoudiens. De plus, les djihadistes libyens ont toujours été des « super stars » dans les hauts échelons de l’Al-Qaeda « historique » - d’Abu Faraj al-Libi (commandant militaire jusqu’ ? son arrestation en 2005. A présent il fait partie des 16 prisonniers « importants  » de la base militaire US ? Guantanamo) ? Abu al-Laith al-Libi (un autre commandant militaire, tué au Pakistan au début de 2008).

Le GICL a été sous la surveillance de la CIA depuis le 11/9. En 2003, Belahj a été finalement arrêté en Malaisie puis transféré, dans le plus pur style « rendition » dans une prison secrète ? Bangkok où il était torturé quotidiennement.

En 2004, les Américains ont décidé d’en faire cadeau aux services secrets Libyens – jusqu’ ? sa libération par le régime de Kadhafi en mars 2010, en compagnie de 211 autres « terroristes », une opération publicitaire annoncée en grande fanfare.

Le chef d’orchestre était Saif Islam al-Kadhafi en personne – la figure moderne et éduquée au London School of Economics du régime. Les dirigeants du GICL – Belhaj et ses adjoints Chrif et Saadi – publièrent un confession de 417 pages intitulée « études correctives » où ils déclaraient que le djihad contre Kadhafi était terminé (et illégal), avant d’être finalement libérés.

Un compte-rendu fascinant de tout le processus est disponible dans un rapport intitulé « Combating Terrorism in Libya through Dialogue and Reintegration » (Combattre le terrorisme en Libye par le dialogue et la réinsertion) . [1] Notez que les auteurs, des « experts » en terrorisme basés ? Singapour et qui furent accueillis et choyés par le régime, expriment leurs « chauds remerciements ? Saif al-Islam Kadhafi et la Fondation Internationale Kadhafi pour la Charité et le Développement pour avoir rendu la visite possible ».

Puis en 2007, Zawahiri, le numéro 2 d’Al-Qaeda ? l’époque, annonça officiellement la fusion entre la GICL et Al-Qaeda du Maghreb Islamique (AQMI). Depuis, GICL et AQMI sont la même organisation et Balhaj était et est le chef (émir).
Venons-en ? février 2011, Belahj, en homme libre, décide de retourner ? ses activités djihadistes et d’engager ses hommes dans le soulèvement planifié de la Cyrénaïque.

Tous les services de renseignement des États-Unis, de l’Europe et du Monde arabe savent qui il est. Il a déj ? fait savoir que lui et ses hommes ne se contenteront de rien de moins que l’application de la charia en Libye.

On aura beau chercher partout et se raconter des histories, il n’y a rien de « démocratique » chez lui. Mais l’OTAN n’a pas voulu s’en séparer sous prétexte qu’il n’aimait pas beaucoup les « infidèles  ».

L’assassinat fin juillet du commandant militaire rebelle, le général Abdel Fattah Younis, par les rebelles eux-mêmes semble être l’œuvre de Balhaj ou de gens très proches de lui.
Il est important de savoir que Younis – avant de se retourner contre le régime – avait dirigé les forces spéciales libyennes qui combattaient férocement le GICL dans la Cyrénaïque entre 1990 et 1995.

Le Conseil National de Transition (CNT), selon un de ses membres, Ali Tarhouni, raconte que Younis aurait été tué par une organisation obscure appelée Obaida ibn Jarrah (du nom d’un des compagnons du Prophète). Apparemment, le groupe a disparu sans laisser de traces.

Ce n’est pas un hasard si tous les hauts commandants militaires des rebelles sont du GICL/AQMI, de Balhaj ? Tripoli ? un certain Ismael as-Salabi ? Benghazi en passant par Abdelhakim al-Assadi ? Derna, sans oublier un membre important, Ali Salabi, qui siège au cœur du CNT. C’est Salabi qui a négocié avec Saif al-Islam Kadhafi la « fin  » du djihad du GICL/AQMI, leur garantissant ainsi un nouvel avenir radieux sous l’étiquette de « combattants de la liberté ».
Pas besoin d’une boule de cristal pour imaginer les conséquences lorsque le GICL/AQMI - qui a remporté le pouvoir militaire et fait partie des « vainqueurs » - se montrera très peu disposé ? céder son pouvoir juste pour satisfaire aux caprices de l’OTAN.

Pendant ce temps, dans les brouillards de la guerre, il n’est pas clair si Kadhafi veut entrainer la Brigade Tripoli dans une guerre urbaine ou forcer le gros des troupes rebelles ? pénétrer l’immense zone de la tribu Warfallah.

L’épouse de Kadhafi fait partie de la tribu Warfallah, la plus grande tribu de la Libye d’une population de 1 million et composé de 54 sous-tribus. On raconte dans les couloirs de Bruxelles que l’OTAN s’attend ? ce que Kadhafi livre combat pendant des mois, sinon des années, ce qui explique la prime offerte, dans le plus pur style du Texas de George W. Bush, et le retour résigné de l’OTAN ? son plan initial qui a toujours été celui d’éliminer Kadhafi.

La Libye fait peut-être face au spectre d’une guérilla ? deux têtes ; les forces de Kadhafi contre le faible gouvernement central du CNT et les troupes de l’OTAN au sol et la nébuleuse GICL/AQMI dans un djihad contre l’OTAN (s’ils sont écartés du pouvoir).

Kadhafi est peut-être une relique dictatoriale du passé, mais on ne monopolise pas le pouvoir pendant 40 ans pour rien et sans que ses services de renseignement n’apprennent deux ou trois choses.

Depuis le début, Kadhafi a dit que l’opération était appuyée de l’étranger et par Al-Qaeda ; il avait raison (même s’il a oublié de dire que cette guerre était par dessus tout celle du président français néo-Napoléonien Nicolas Sarkozy, mais c’est une autre histoire).

Il a aussi dit que l’opération était un prélude ? une occupation étrangère dont l’objectif était de privatiser et prendre le contrôle des ressources naturelles de la Libye. Il se pourrait qu’il ait – une fois de plus – raison.
Les « experts » de Singapour qui ont salué la décision du régime de Kadhafi de libérer les djihadistes de GICL/AQMI ont qualifié cette décision de « stratégie nécessaire pour réduire les menaces ? l’encontre de la Libye ».
Désormais, le GICL/AQMI peut agir en tant que « force politique locale  ».
Dix ans après le 11/9, il n’est pas difficile d’imaginer un certain crâne jeté au fond de l’océan sourire de toutes ses dents.

Pepe Escobar