Dda Vinci Claude s’en est allé

lundi 12 mars 2012

On le savait depuis longtemps, nous ses proches ou moins proches, Claude Vinci était très malade. La souffrance physique lancinante, tyrannique était sa compagne depuis des années. Ne parvenant pas à la vaincre, il tentait de l’apprivoiser.

Claude ne souffre plus. Le mercredi 7 mars au matin, Claude nous a quittés. Il s’en est allé rejoindre Eluard, Ferré, Ferrat au Panthéon des poètes. Il a rejoint Adrien, son compagnon martyrisé au maquis du Berry, pendant la Seconde Guerre mondiale, Mohamed Boudia son contact dans la clandestinité pendant la guerre de libération, et tant d’autres rebelles victimes de leurs communes utopies.

Claude était un combattant, un résistant pugnace à toutes les oppressions, à toutes les injustices sur tous les terrains où, depuis l’enfance, les circonstances l’avaient conduit. Né à Berrichon dans une famille d’instituteurs communistes de souche paysanne, Claude s’est retrouvé à l’âge de douze ans secondant ses parents au maquis du Berry. Plus tard, ingénieur chimiste et footballeur bientôt professionnel, il choisit finalement la carrière de chanteur dans les pas d’Yves Montand, son parrain de scène. Mais pour lui, la chanson ne pourra être que « rive gauche », autrement dit engagée dans l’action militante. Il sera le premier à mettre une mélodie sur les poèmes de Paul Eluard, Tout dire et Liberté.

Les guerres coloniales provoqueront là encore son engagement. Rappelé en Algérie en 1956, il obtempère bien décidé à porter le combat anticolonialiste au sein même de l’armée. Mais la machine de guerre terrasse ses illusions et il déserte après avoir assisté impuissant au massacre des derniers habitants de Beni-Wegag, un douar de la wilaya de Bordj-Bou-Arréridj.

Il vivra les dernières années de guerre dans la clandestinité au sein de la Fédération de France du FLN. Outre le transfert des fonds et des hommes, il sera celui qui rapportera d’Italie le chant révolutionnaire qui deviendra l’hymne national algérien. En 1980, l’Algérie lui attribue le titre de Moudjahid d’honneur. La lettre qui l’informe de cette reconnaissance détaille les raisons de cette attribution, désertion et mise au service du FLN, sans omettre les deux chansons créées par Claude, Près d’Amoucha et Celle que je n’aurais pas voulu faire, « qui sont à notre connaissance, spécifie la lettre, les deux seules chansons françaises ayant pour sujet principal notre guerre de Libération vous affirmant ainsi comme le seul chanteur français ayant participé également artistiquement à notre lutte ».

Son engagement individuel en tant que chanteur et auteur est aussi collectif par son héritage communiste d’une part, et son adhésion à l’action syndicale d’autre part. Claude a constamment tenté de concilier toutes ses vies, celle de chanteur bien sûr mais aussi d’auteur et de responsable au sein du Syndicat des artistes. Car la « manif » était sa culture au même titre que l’engagement syndical, la seule façon, disait-il, d’affirmer son existence dans un monde déshumanisé.

En octobre 2008, Claude Vinci était l’invité de la wilaya de Bordj-Bou-Arréridj, lieu de sa désertion. Il a relaté dans les pages du Soir d’Algérie l’accueil émouvant qui lui avait été réservé lors de la projection du Non de Vinci, le film documentaire que le réalisateur M’Barek Menad lui a consacré.

Claude n’est plus. Je n’entendrai plus le matin au téléphone sa belle voix me saluer d’un tonitruant : Bonjour camarade ! Je ne le verrai plus dans l’embrasure de sa porte me saluer le point levé en guise de connivence en souvenir du temps des luttes ouvrières. Je ne l’entendrai plus me dire La Grande patience, comme le titre de sa chanson, celle qu’il faut pour garder vivante en nous l’espérance. Je ne reverrai plus ses grands yeux bleus fixés sur le levant, son beau sourire généreux et sa « gueule de marrant ».

J’ai eu l’honneur d’être son amie et sa biographe. En souvenir de mon père Serge Michel qu’il admirait et dont il se sentait très proche, il m’avait confié cette tâche. Je n’y dérogerai pas. Claude était un passeur de passion. Tant que nous saurons transmettre les valeurs qu’il nous a laissées : solidarité et amour de la liberté, il restera présent parmi nous.