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Décès du moudjahid Mahmoud l’Argentin

samedi 12 novembre 2022, par Alger republicain

De son vrai nom Roberto Muniz, Mahmoud vient de nous quitter à l’âge de 99 ans.

Il doit être inhumé aujourd’hui au cimetière d’El Alia. La triste nouvelle vient de nous parvenir par le biais des réseaux sociaux.

Ce valeureux internationaliste d’origine argentine avait rejoint l’ALN pour soutenir le combat armé du peuple algérien pour sa libération nationale. Il avait mis à sa disposition ses compétences professionnelles pour fabriquer des armes.

Alger républicain s’incline à sa mémoire et présente ses condoléances à la famille et aux amis du défunt.

AR

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Article reproduit par Alger républicain dans son édition de novembre 2003 en hommage à Mahmoud.

L’incroyable histoire d’un Argentin à Alger *

Un mouleur qui en 1959 adhéra à la cause de l’indépendance et fabriqua des armes dans une usine clandestine au Maroc.

Des sons étranges émergent, occasionnellement, de l’un des édifices de la rue Mohamed Zekkal, dans un quartier proche du centre d’Alger : un peu de Piazzola, quelque chose d’Arienzo, beaucoup de Mercedes Sosa.

Au dernier étage d’un immeuble qui en compte sept (par chance, avec ascenseur, merveilleux engin pas si commun dans l’inventaire architectonique d’Alger) vit l’homme qui écoute du tango et du folklore, qui écrit de la poésie indistinctement en français ou en espagnol et qui, de temps en temps, se permet de faire un « Asado », (quartier de viande rôtie sur grille en plein air), sur cette terrasse dominant le paysage urbain débordant sur la Méditerranée.

Si ce n’étaient ces étranges habitudes musicales et gastronomiques, peu seraient en mesure de découvrir que Mahmoud est Argentin.

L’histoire du métallurgiste Roberto Muniz (Mahmoud) est singulière. Natif de Général Villegas, il y à 75 ans, il vivait à Buenos Air lorsque en 1954, le Front de libération nationale d’Algerie (FLN) alluma la mèche de l’indépendance et se rebella contre la colonisation française.

Le mouleur Muniz, était alors dirigeant syndical péroniste dans la corporation métallurgique. Une délégation du FLN en Argentine commençait à chercher des appuis parmi les partis politique et syndicats. Muniz, qui considérait « que les peuples ont le droit de vivre indépendant », entra alors en contact avec eux. Son engagement était plus affectif qu’idéologique.

Avec la proscription du péronisme et la perte de son travaill dans l’usine Siam où il était délégué syndical, Muniz émigra à Cordoba où il continua à militer dans la corporation tout en collaborant avec la cause de l’indépendance algérienne, principalement sur le terrain de la diffusion.

En 1959, la guerre en Algérie se faisait grâce au fervent esprit des Algériens qui, avec le peu d’équipement militaire dont ils disposaient, subissaient des revers importants (à la fin du conflit, deux millions d’Algériens et environs 20 000 Francais auront perdu la vie). Quelqu’un propose à Muniz un plus grand engagement pour la cause. Les révolutions ont impérieusement besoin de techniciens, de personnes ayant un métier pour l’installation clandestine d’une usine d’armement. Jusque là, ils n’étaient arrivés à produire que des grenades et des obus, les armes à longue portée arrivaient sporadiquement et en quantités insuffisantes.

Muniz, qui était déjà marié à Alfonsa, une ouvrière du textile alors déléguée syndicale à Alpargatas , laissa tout et partit pour Paris. « Je suis d’abord resté quelque temps en France, où j’ai un peu appris la langue, dit Mahmoud. Pendant que j’était là-bas, d’autres camarades achetaient du matériel. C’était un travail tout à fait clandestin. »

Où avez-vous installer l’usine ?
En Algérie, c’était absolument impossible, vu le contrôle français. On chercha donc une alternative et on en trouva une, idéale : l’installer au Maroc. Il me semble que le roi du Maroc, neutre dans le conflit, ferma les yeux. L’usine de fabrication s’établit dans la ferme de 128 hectares, propriété d’une personnalité algérienne résidant au Maroc. Les machines achetées en Europe, arrivèrent au nom de cette personnalité, une personne très aisée.

Vous étiez bien équipés ?
Oui, les machines etaient très modernes et l’outillage de précision.

Vous, spécialement, que faisiez-vous ?
Je faisais des matrices, j’enseignais aussi à d’autres camarades très jeunes. La révolution algérienne ne fabriquait pas d’armes à proprement parler. Ce que nous faisions, c’était de démonter l’arme que nous voulions fabriquer et de copier les pièces. Moi je faisais les matrices. Avec d’autres camarades algériens, nous sommes arrivés à fabriquer 10 000 mitraillettes, chacune étant pourvue de 10 chargeurs. C’est à dire que nous avions fait 100 000 chargeurs aussi.

Comment était la vie à l’époque ?
C’etait une caserne de l’armée de libération nationale (ALN). Le régime de vie était typiquement militaire, non dans le sens traditionnel, mais avec la discipline d’une armée révolutionnaire.

Vous aviez un grade ?
Non, je ne voulais pas en avoir. J’ai apporté une modeste contribution et sans intention de figuration. Je voulais pas non plus occuper de poste importants. A l’indépendance, j’ai travaillé à la Sonelgaz (l’entreprise nationale d’électricité et du gaz) où j’ai pris ma retraite après 20 années d’activité.

Là où j’ai joué un rôle reconnu, c’est à l’UGTA, la centrale ouvrière algérienne.

D’où vous vient le pseudonyme de Mahmoud ?
De la période du Maroc. Le nom de Roberto attirait trop l’attention. C’est pourquoi les responsables me baptisèrent Mahmoud. C’est ainsi que s’appelle mon fils, qui est né en Algérie en 1964 et qui vit aujourd’hui en Argentine.

Comment s’est déroulée votre entrée à Alger après le triomphe de la révolution ? Avez-vous pu vivre cette étape d’euphorie, presque épique, de la prise du pouvoir ?
Après avoir autant travaillé, j’ai perdu le meilleur : les grandes fêtes de juillet 1962. Je suis arrivé en août parce que je suis resté avec mes camarades au Maroc pour démonter l’usine.

Le 15 novembre 1962, il pleuvait à torrent au port d’Alger. Le trempé « galan » Mahmoud n’attendait pas cette fois un chargement de machines, mais Alfonsa, son épouse, qui finissait un long voyage sur un bateau Italien. Roberto était parti de Buenos Aires , théoriquement pour 6 mois. Trois ans s’étaient déjà écoulés.

« La ville était un peu déchirée, dit Alfonsa alors qu’elle servait le café accompagné de gâteaux faits maison, mais il y avait beaucoup d’enthousiasme chez les gens. Tous étaient contents. Il y avait un sentiment généralisé de solidarité et de fraternité. Ce furent des années magnifiques. »

Jusqu’au moment de la rencontre, comment avez-vous suivi, de Buenos Aires, les événements de la guerre en Algérie ?
Par les journaux et les lettres de mon époux qui arrivaient par un mécanisme compliqué établi par le FLN.

Vous aimeriez revenir en Argentine ?
Nous y avions été quelques fois, mais c’est difficile, à cause du problème économique. Je ne sais pas si nous allons rester pour toujours en Algérie. Nous passons la moitié de la vie là-bas et l’autre ici. C’est clair que nous avons la nostalgie.

Mahmoud, êtes-vous satisfaits de votre vie ?
Je vais vous raconter quelque chose. L’autre jour, j’ai été chez le médecin, un homme jeune. Au moment de payer, il ma dit : « Comment voulez-vous que j’encaisse. C’est grâce à des hommes comme vous que j’ai eu la possibilité d’être médecin et d’avoir mon cabinet ? »

« Vous imaginez ? Je suis un homme heureux qui a l’immense joie d’avoir vécu ce que j’ai vécu. De plus, l’année prochaine, nous fêterons nos 50 ans de mariage. La vie a été plus qu’agréable pour nous. Nous sommes de véritable compagnons et le temps passe sans que nous nous en rendions compte. »

Ricardo López Dusil

* Traduction de l’article de l’envoyé spécial à Alger du journal argentin La Nacion (La Nation) paru le dimanche 19 octobre 1997.