Eléments d’une biographie de Abdelkader Guerroudj, ancien du PCA et héros de la guerre de libération

dimanche 6 décembre 2020
par  Alger republicain

Notre frère et ami Abdelkader GUERROUDJ nous a quittés il y a quelques jours, le 7 novembre plus précisément. Il avait 92 ans.
La rédaction d’Alger républicain adresse ses condoléances et ses salutations les plus affectueuses à la famille du défunt, à Toufiq, Nassima, Djawad et Saïd.

Sa vie militante est indissociable de toute une époque des vicissitudes de l’histoire du mouvement communiste algérien.
Il avait adhéré très tôt au Parti Communiste Algérien dans la région de Tlemcen où il était né en 1928. Instituteur nommé dans une localité rurale, il fit la connaissance de fellahs pauvres membres du Parti Communiste Algérien et engagés dans un combat sans concession pour la libération nationale et sociale.
Le niveau de conscience politique de ces paysans était si élevé et leur détermination à en finir avec le colonialisme était telle que tout patriote extérieur à ce milieu en était frappé dès le premier contact.
Les liens de parenté de Abdelkader Guerroudj avec la famille de Messali et des membres du PPA/MTLD ne l’avaient pas dissuadé d’adhérer au PCA.

Dans cette région de Tlemcen, les cellules communistes regroupaient à la veille du 1er Novembre 1954 près d’un millier de membres. Les graines de la révolution ont été semées par Mohamed Badsi, membre du CC du PCA issu du congrès d’octobre 1936, puis par l’architecte Abderrahmane Bouchama, élu lui aussi plus tard au CC, et leurs compagnons. Tahar Ghomri, petit paysan et imam d’une mosquée propageait les idées et les mots d’ordre du PCA. Son expérience et sa capacité à guider, à organiser les luttes des petits fellahs et des travailleurs agricoles exploités par les colons le firent remarquer. Il sera élu au comité central.

C’est au milieu des fellahs pauvres et de leurs enfants, tenus loin de l’Ecole par l’administration coloniale pour servir de réservoir de main d’œuvre à bon marché pour les colons, que Abdelkader défendit ce choix. Comme il le rappelait aux plus jeunes, « les colons avaient besoin de bras pour leur ramener des profits et non de cerveaux ». Par son refus inné des injustices et de l’oppression coloniale il ressent de la sympathie pour les militants du PCA. Il ne trouve pas dans le programme et les discours des responsables des partis nationalistes de visions concrètes sur les changements économiques et sociaux radicaux nécessaires après l’indépendance au profit des masses laborieuses. Pourtant les éléments éclairés du mouvement national pressentent tous qu’elles seront appelées à jouer un rôle décisif dans la destruction de l’ordre colonial.

Les communistes ne cachent pas leurs buts historiques. Ils expliquent que l’indépendance politique ne pourrait être qu’une première phase historique indispensable à conquérir et non une fin en soi pour les « damnés de la terre ». Les causes de la misère de la grande majorité et de la richesse d’une infime minorité ne disparaîtront pas par le simple fait de remplacer le drapeau du colonisateur par celui des colonisés. La grande tâche à laquelle seront confrontés à la libération ceux qui ne vivent que du fruit de leur travail sera de ne pas permettre à des colons arabes de prendre la place des colons expropriés par la révolution. Leur combat sera plus complexe, il leur faudra le poursuivre pour édifier une société qui réponde à leurs aspirations sociales et démocratiques.

Abdelkader Guerroudj approuve naturellement de toute la force de son humanisme leurs projections politiques. Il en a conclu qu’il fallait se donner à fond dans ce combat, de faire en sorte que son parti mobilise encore davantage ses forces dans son travail d’enracinement au sein des travailleurs et des paysans pauvres, classe et groupes sociaux les plus intéressés par l’abolition la plus radicale de l’ordre colonial en liant étroitement le mot d’ordre de libération nationale à celui de l’émancipation sociale que seul le socialisme peut concrétiser.

Les contacts noués avec les campagnes sont le fruit du travail opiniâtre de syndicalistes et d’intellectuels dévoués venus initialement des villes. Le PCA est le seul à lier le mot d’ordre de libération nationale à la nécessité d’une réforme agraire basée sur l’expropriation des gros colons, des collaborateurs autochtones du colonialisme, et la redistribution des terres confisquées au profit des paysans sans terre ou pauvres, des travailleurs agricoles. L’insurrection armée déclenchée par le FLN ne prit donc pas au dépourvu les communistes des campagnes. La disponibilité au combat armé des paysans communistes des diverses régions du pays ainsi que de la plupart des militants des villes pour renforcer l’action de l’ALN-FLN, sera traduite, au terme d’un intense débat démocratique interne, dans la décision du CC du PCA du 20 juin 1955 de se joindre à l’insurrection.

Abdelkader Guerroudj et son épouse Jacqueline s’engagent à fond dans la bataille, prêts à en assumer toutes les conséquences, à consentir tous les sacrifices pour la libération du pays. Les fellahs de la région de Tlemcen ont littéralement adopté Jacqueline pour son esprit de résolution dans les luttes contre le racisme et l’arbitraire des colons. Originaire de France, l’institutrice avait accepté de suivre en Algérie son premier mari, un militant communiste français, affecté en 1948 dans l’Oranie comme professeur de philosophie. Elle s’est remariée avec Guerroudj en 1950. Au moment du déclenchement de l’insurrection elle enseigne à Aïn Fezza, petite bourgade située à quelques kilomètres de Tlemcen. Dès son arrivée dans la campagne algérienne elle est saisie d’indignation par la condition misérable des fellahs, corollaire de l’opulence insultante des riches colons qui d’ailleurs s’opposaient ouvertement à la scolarisation des enfants algériens et même à la poursuite des études des jeunes européens qu’ils voulaient enchaîner à leurs fermes. Jacqueline adhère au PCA consciente qu’elle partagerait avec son époux la vindicte féroce des colons.

Expulsés par la justice coloniale vers la France en 1955 pour leur soutien à l’insurrection, puis rentrés au pays après l’annulation de cette décision par un tribunal pour une simple question de forme, Abdelkader et Jacqueline Guerroudj se fixent à Alger. La direction du PCA les affecte dans les groupes armés des Combattants de la Libération (CDL), qu’elle venait de constituer suite aux décisions de juin 1955, pour organiser la contribution des communistes à la lutte armée déclenchée par le FLN.

La fille de Jacqueline, Danielle Minne, suit sa mère et son beau-père Abdelkader dans le combat engagé. Elle est imprégnée de leurs idéaux de refus de l’oppression. Activement recherchée en 1957 par les paras, elle n’a que 17 ans quand elle rejoint la wilaya 3 où elle fit la rencontre de Raymonde Peschard, militante du PCA, fuyant elle aussi la capitale d’où elle a échappé de justesse à la traque. Danielle est capturée le 27 novembre 1957 au cours d’une embuscade sur le chemin qui devait la mener en Tunisie en compagnie de Raymonde Peschard, de la doctoresse Nefissa Hamoud, du docteur Laliam sous la protection de nombreux djounoud. Le groupe dans lequel se trouvait Raymonde est anéanti. Celle-ci est exécutée, ainsi qu’un autre infirmier, d’une balle dans la nuque pour avoir refusé de répondre aux questions des spadassins français. Les djounouds de l’escorte sont tous lâchement abattus. Celui de Laliam, Nefissa Hamoud et Danielle Mine eut plus de chance en tombant entre les mains d’un officier respectueux des lois de la guerre. Danielle Minne sera condamnée à 7 ans de prison par un tribunal des mineurs.

Après le départ de Benzine, fin 1955, dans les maquis de Tlemcen, c’est à Guerroudj que la direction du PCA, confie la responsabilité des CDL de l’Algérois. L’action armée du PCA vise essentiellement et de façon politiquement sélective les colonialistes, les intérêts des capitalistes. Georges Acampora a mené une attaque contre un commissariat de police. Arrêté il est condamné à mort. Sa condamnation sera commuée en prison à vie lorsque De Gaulle arrivera au pouvoir après le 13 mai 1958. Félix Colozzi et son groupe réduisent en cendres la Bouchonnerie internationale d’Alger. Le général Massu échappe de peu à un attentat mené au Frais-Vallon par Abdelkader Guerroudj et Yahia Briki.

En application de l’accord FLN-PCA de juillet 1956, conclu entre Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda pour le FLN, Bachir Hadj Ali et Sadeq Hadjerès pour le PCA, les CDL sont dissous. Leurs membres sont intégrés dans les rangs de l’ALN. Ils doivent s’abstenir de tout contact organique avec leur parti pendant toute la durée de la guerre de libération mais ont le droit de garder leurs convictions idéologiques. L’indépendance organique et politique du PCA est reconnue ou plus exactement admise de mauvaise grâce par les représentants du FLN devant la détermination de ses dirigeants.

Guerroudj et ses compagnons respectent l’accord en toute loyauté en remettant aux groupes armés de la Zone autonome d’Alger, les armes provenant du camion de l’armée française détourné par le militant communiste Maillot héroïquement tombé sous le feu ennemi le 5 juin 1956. En application de cet accord les membres des CDL, et donc le couple Guerroudj, passent sous l’autorité des responsables militaires du FLN. Mais d’autres responsables du FLN l’interprétaient autrement ou lui dénuaient toute valeur. D’après ce que racontera Jacqueline après l’indépendance, Yacef Saadi, responsable militaire de la zone autonome, les avait pressés, elle et son époux pour les contraindre à rompre politiquement avec le PCA. On saura plus tard, que pour certaines franges de nationalistes, le communiste monté au maquis pour la libération du pays au prix de sa vie, comme tous ses autres frères de l’ALN, ne devait avoir le choix qu’entre le reniement de ses convictions idéologiques et la liquidation physique pure et simple. Toujours selon Jacqueline, leur arrestation en janvier 1957 les délivre au bon moment de l’ultimatum de Yacef Saadi. Pour autant, même en prison, un communiste subira constamment, sous une forme ou une autre, les pressions de ces courants du FLN.

Quelles que fussent les chemins tourmentés du combat militant pour la libération nationale et l’émancipation des classes exploitées, les affres de la prison, le climat empli d’angoisses dans le quartier des condamnés à mort, Abdelkader et Jacqueline écrasaient l’oppresseur de leur certitude sereine de l’inéluctabilité de la victoire et de l’indépendance.

Une parodie de procès eut lieu du 4 au 7 décembre 1957 au tribunal permanent des forces armées d’Alger. Devant les juges, et un public d’Européens haineux, chauffés à blanc, Jacqueline et Abdelkader Guerroudj, Jacques Salort, Abderrahmane Taleb (1), Farrudjia, Marcelli, clament à l’unisson, chacun selon son propre style, avec courage et dignité, qu’ils se battent pour l’indépendance de leur pays, qu’ils dénient au tribunal le droit de les juger. Au nom des anciens du CDL Jacques Salort jette à la face des juges qu’il ne reconnaît pas d’autre autorité que celle du FLN sous la bannière duquel ses camarades et lui mènent désormais le combat depuis l’accord de juillet 1956.

Le tribunal prononce la condamnation à mort du couple Guerroudj. Abderrahmane Taleb déjà condamné à mort dans de précédents procès est une fois de plus condamné à la même peine.

Une campagne de presse est initiée en France par Madeleine Réberioux et soutenue par Me Michel Bruguier sous le thème : « les Guerroudj et Taleb Abderrahmane ne doivent pas mourir ». Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre participent à la mobilisation pour empêcher l’exécution de la sentence. Taleb sera guillotiné le 24 avril 1958. Les Guerroudj échapperont à la mort.

En prison, Abdelkader Guerroudj connaîtra un moment de faiblesse face aux pressions de nationalistes réfractaires, voire violemment hostiles à l’idée de l’indépendance politique et organique du PCA. Il annonce aux dirigeants du FLN qu’il coupe ses liens avec son parti (2).

Pour bien comprendre la signification de la décision de Guerroudj en prison, il convient de s’arrêter brièvement sur la portée historique du refus du PCA à se soumettre à la propension des responsables anticommunistes du FLN à vouloir l’éliminer par tous les moyens ou à détacher de lui ses militants et responsables les plus connus. Ce n’est pas s’éloigner de l’esquisse de la biographie de Abdelkader Guerroudj que de rappeler ces épisodes.
A la veille même de l’indépendance, les conflits masqués durant la guerre de libération sous la façade de l’unanimité face au colonialisme déchirent au grand jour les anciens frères de combat du FLN-ALN. Une cruelle déception frappe ceux qui, idéalisant l’unité forgée dans le combat contre l’ennemi commun, sont désorientés par le spectacle inattendu de son éclatement. Le PCA quant à lui n’est pas surpris. Ou s’il le fut quelque peu c’est par l’extraordinaire rapidité avec laquelle l’unité de la veille a implosé. Analysant depuis longtemps le mouvement national sous l’angle de son hétérogénéité sociale et idéologique il s’attendait à l’expression ouverte de ses contradictions internes une fois que l’ennemi commun, le colonialisme, aurait été vaincu. Les événements de l’été 1962 lui ont donné raison, 6 ans après l’accord de juillet 1956. Ils ont confirmé la justesse de son refus de se fondre au sein du FLN, préservant quoi qu’il lui en coutât son indépendance politique, tout en soutenant le FLN et en le reconnaissant comme l’interlocuteur unique et légitime du peuple algérien dans la lutte armée contre le colonialisme. Ainsi les quelques militants ou cadres qui, pendant le combat libérateur s’étaient demandés sous la pression du FLN, de ses discours culpabilisateurs sur le thème fallacieux du « PCA diviseur du peuple faisant le jeu du colonialisme », ou des menaces de ses éléments anticommunistes, s’il ne fallait pas dissoudre leur parti, admettent devant les faits que leur parti avait vu juste en défendant la position qui fut la sienne.

Et si, par hypothèse, il avait accepté de se saborder en 1956, aurait-il pu se reconstituer et trouver la force pour gagner aussi rapidement à ses idées la jeunesse intellectuelle et ouvrière la plus progressiste, aspirant à la construction d’une société sur les bases de la justice sociale et de la démocratie ? Aurait-il pu jouer un rôle bénéfique par sa contribution qu’on ne peut sous-estimer à faire cesser les affrontements de l’été 1962 ? Le fait n’a pas reçu l’attention qu’il mérite chez les historiens mais c’est grâce à la clairvoyance et à la célérité des dirigeants du PCA que le slogan spontané des masses populaires « Sebâa S’nine barakat ! » ( « sept années ça suffit ! ») est popularisé à l’échelle nationale par Alger républicain, le lendemain même de son apparition. Ce slogan salvateur est inscrit sur huit colonnes à la Une du numéro du 30 août. Il est diffusé aux quatre coins du pays à 80000 exemplaires. En ces jours où les risques de guerre civile sont réels le journal assume ses responsabilités, en dépit des obstacles dressés et des menaces physiques provenant de toutes parts, des derniers carrés de l’administration coloniale jusqu’à l’Exécutif provisoire en passant par la wilaya 4, le Bureau politique incarné par Ben Bella et le GPRA (3). Toutes les tendances du FLN-ALN s’affrontaient les armes à la main pour la conquête de la prééminence. Chacune d’entre elles cherchait l’appui d’Alger républicain contre son ou ses adversaires, lui jurant qu’elle respecterait les libertés démocratiques une fois parvenue au pouvoir. Mais tous retrouvent le réflexe de se liguer contre les responsables du journal et les dirigeants du PCA qui refusent de prendre parti pour l’un ou pour l’autre, appelant à régler les différends politiques par le débat au sein du peuple et par des moyens pacifiques, satisfaisant ses profondes aspirations à la paix après 7 ans et demi d’une guerre meurtrière. Une argutie incroyable est brandie pour retarder la reparution d’Alger républicain ou bloquer son impression : son interdiction depuis septembre 1955 n’est pas levée ! Dans le même temps aucun des rivaux du camp du FLN-ALN GPRA ne songe à interdire les journaux colonialistes qui continuent à paraître et qui profitent de cette permissivité pour jeter de l’huile sur le feu ! Il faudra attendre septembre 1963 (!) pour que la Dépêche quotidienne et l’Echo d’Oran, journaux ultra-colonialistes soient enfin interdits par Ben Bella.

Le mouvement populaire de l’été 1962 soutenu uniquement par le PCA a stoppé et éloigné le danger de graves effusions de sang entre anciens frères de combat. Les affrontements fratricides, s’ils avaient duré, aurait certainement favorisé les manœuvres du colonisateur dont des dizaines de milliers de militaires stationnaient encore en Algérie. Qui sait s’il n’eut pas agité le danger d’une « congolisation » de l’Algérie pour prolonger la présence de ses troupes afin de « protéger la population européenne » ? S’il n’eut pas exploité les dispositions les plus négatives des Accords d’Evian, en appuyant les fractions opportunistes de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie favorables au maintien des structures économiques coloniales, comme il réussit à le faire dans les pays tenus en laisse par la « Françafrique » ?(4).

Au lendemain de l’indépendance Guerroudj n’évoquera jamais la fameuse lettre écrite fin 1959 en prison contre le maintien de l’autonomie politique et organique du PCA que la Fédération FLN de France lui attribua. Il a évacué de ses souvenirs cet épisode douloureux, à la grande déception de ceux qui avaient escompté l’enrôler dans leurs petites intrigues sous le régime du parti unique.

Par son mode de vie, sa modestie, le refus des compromissions, il se démarque après l’indépendance des jouisseurs opportunistes courant toute honte bue derrière les postes et les sinécures.

En tant que député de l’Assemblée Constituante élue en septembre 1962 ou en tant que Directeur Général des Biens vacants, ou encore en qualité de président du conseil d’administration de la SNCFA, Guerroudj demeurait un défenseur incorruptible de l’intérêt national. Il aurait pu user de sa fonction pour collectionner les villas abandonnées par les riches Européens et les privilèges. D’autres que lui ne s’en privèrent pas.

Il se retire de toute vie militante organisée mais conserve des liens avec ses anciens camarades de parti. Les éléments réactionnaires du pouvoir ne réussiront jamais à l’utiliser contre son ancien parti. Le PCA interdit en novembre 1962 par le gouvernement en application de la conception hégémonique du FLN comme parti unique ne se laisse pas intimider. Refusant de se plier au diktat du pouvoir, il poursuit ses activités dans la clandestinité. Instruit par son expérience de 1956-1962 il est attentif à la signification des contradictions et des nuances existantes au sein du régime, ce qui l’amène à soutenir toutes les mesures favorables à l’intérêt national et aux aspirations des travailleurs. Cette ligne s’accompagne d’une critique sans complaisance des méthodes antidémocratiques du pouvoir et des signes d’embourgeoisement des responsables de l’Etat que le peuple ne tolère pas et qu’il fait savoir dans la rubrique des lecteurs d’Alger républicain*.
Quelques jours après le coup d’Etat du 19 juin 1965, Guerroudj prend contact avec William Sportisse. Il le presse de transmettre aux dirigeants du PCA son avis qu’il fallait reconstruire rapidement et renforcer le parti. Il savait en effet que le PCA s’était auto-dissout de sa propre volonté après la tenue du congrès du FLN d’avril 1964 et l’adoption de la Charte d’Alger. Suscitant l’illusion d’une possible transformation du FLN en parti révolutionnaire de classe fonctionnant de façon démocratique dans ses relations avec les masses populaires, le contenu socialiste de ce document avait poussé à l’erreur de l’auto-dissolution.

La vie de Abdelkader Guerroud a incarné l’honnêteté envers son peuple, le refus d’utiliser à des fins personnelles son prestige de moudjahid rescapé de la mort. La seule richesse qu’on lui connût est le respect que lui témoignaient ses compagnons de lutte vivant de façon modeste et les jeunes avides de vérité sur le rôle et la contribution des communistes aux luttes du peuple algérien pour sa libération.

Paradoxalement, le décès de Abdelkader a contribué à placer une fois de plus sous les projecteurs de la presse, ne serait-ce qu’un temps furtif, l’histoire glorieuse et pourtant systématiquement déformée du Parti Communiste Algérien. La vérité finit toujours par se savoir, aimait dire Henri Alleg.

Zoheir Bessa

* Paragraphe mis à jour à la demande de lecteurs qui ont souhaité que la décision d’interdiction du PCA ne soit pas seulement signalée de façon lapidaire dans la note 4 de bas de page.

Notes :

1- Abderrahmane Taleb, étudiant en chimie, rejoint le maquis de la wilaya 4. Il ne faisait pas partie des CDL. Il comparut dans leur procès pour la raison que la police apprit qu’il avait été proposé à la fabrication des bombes dans les réseaux de la Zone autonome d’Alger sur la recommandation de Noureddine Rebbah, ex-CDL, versé dans les rangs de l’ALN, qui l’avait connu à l’université.

2 - Dans un texte prochain nous reviendrons sur les pressions de certains éléments du FLN, les exclusives et, plus grave, les liquidations qui visèrent les militants du PCA pendant la guerre de libération. Même en prison, les intimidations n’étaient pas rares.

3- Sur cet épisode, lire les pages passionnantes et instructives que consacrèrent les auteurs de « La grande aventure d’Alger républicain » (Alleg, Benzine et Khalifa) aux débuts de l’Algérie indépendante, pages 197 à 250. A travers les grands risques encourus par l’équipe d’Alger républicain et les membres du PCA, seul courant indépendant du FLN à manifester sa présence politique dès les premiers jours de l’indépendance, la génération nouvelle peut se faire une idée du climat qui régnait. Toutes les tendances politiques, idéologiques, claniques ou régionalistes du mouvement nationaliste qui s’affrontaient pour le contrôle de l’Etat en gestation cherchaient à imposer leurs vues par la force et les menaces. C’est une erreur que de prendre pour argent comptant la fiction, aujourd’hui largement propagée, réduisant de façon schématique les conflits de l’été 1962 à un clivage opposant les « méchants » des frontières aux « gentils » de l’intérieur et du GPRA. La conception basée sur l’usage de la force pour imposer au peuple des solutions aux crises traînées par le mouvement national avant 1954 et durant la guerre de libération imprégnait dans leur quasi-totalité les cadres et dirigeants du FLN/ALN et le GPRA lui-même en tant que partie intégrante des structures de la guerre de libération. C’est le mouvement populaire qui obligea les protagonistes à trouver le compromis grâce auquel le pays put, dans la paix enfin instaurée, aborder les graves problèmes sociaux hérités de la guerre et du système d’oppression coloniale. Il put se lancer au bout de deux mois de crise dans les tâches de construction de la Nation. Il fallait sans tarder assurer la réussite de la campagne des moissons et des vendanges sur les terres abandonnées par les colons, la réalisation de la rentrée scolaire, la remise en route des fabriques et usines désertées par le personnel européen, le fonctionnement des services collectifs et de santé, etc.

4- Ferhat Abbas et toute une fraction du GPRA avec à sa tête Benkhedda, incarnaient ces courants. N’ayant pas réussi à faire admettre ses conceptions, Ferhat Abbas, un temps tactiquement rallié au Bureau politique et à l’armée des frontières, démissionna en septembre 1963 de l’Assemblée Nationale. Il n’avait pas condamné l’instauration du régime du parti unique, ni l’interdiction du PCA en novembre 1962. En fait son vrai motif n’avait rien à voir avec les questions démocratiques comme veulent le faire croire aujourd’hui les « libéraux » affairés à construire rétrospectivement une vision idyllique de cette personnalité marquante de l’aile bourgeoise du mouvement national. Ferhat Abbas était désappointé par le processus économique amorcé contre son avis par les décrets de mars 1963, processus transcrit dans le projet de Constitution contre lequel il s’éleva. Ces décrets venaient de couper court aux appétits des riches algériens qui manœuvraient pour s’approprier les domaines coloniaux, les immeubles et les biens devenus vacants après le départ des Européens. Les textes promulgués par Ben Bella ont codifié les comités de gestion constitués par les travailleurs agricoles pour exploiter les terres abandonnées par les colons en fuite, par les ouvriers qui avaient pris en main les usines. La tendance de la bourgeoisie algérienne et des affairistes cupides à chercher un bon arrangement tant avec l’impérialisme français qu’avec les gros colons, ou à racheter leurs terres, venait d’être sèchement mise en échec par le nouvel Etat algérien. Une partie du mouvement national n’approuvait pas ces textes sans oser l’exprimer ouvertement. Ce n’était pas dans son programme. Elle était portée à se contenter de l’indépendance politique, laissant tels quels les rapports économiques et sociaux de dépendance auxquels se rattachaient ses intérêts de classe. Dans cet ordre d’idées il faut également signaler la démission en avril 1963 de Mohamed Khider, secrétaire général du FLN, lui aussi opposé à ces décrets.