En Syrie, des fonctionnaires dévoués sauvent des milliers d’antiquités

vendredi 27 mars 2015

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Pièce du Musée de Damas

Dans une pièce du Musée de Damas, totalement vide, des employés emballent avec précaution les dernières statues avant de les placer dans des caisses qui partiront vers un lieu sécurisé.

Depuis sa nomination en 2012 à la tête des Antiquités et des musées syriens (DGAM), le professeur Maamoun Abdulkarim n’a qu’une obsession : éviter une réédition de la tragédie de 2003 en Irak après l’invasion américaine.

« J’ai en permanence devant les yeux les images du pillage du musée de Bagdad et des sites irakiens et je me suis dit qu’il fallait à tout prix empêcher que cela se reproduise chez nous », témoigne-t-il.

Ainsi 300.000 pièces et des milliers de manuscrits appartenant aux 34 musées de Syrie, dont 80.000 du musée de Damas, ont été mis à l’abri dans des endroits secrets protégés des incendies, des obus et les inondations.

Terre de multiples civilisations, des Cananéens aux Ottomans, la Syrie regorgeait de trésors datant des époques romaine, mamelouk et byzantine, avec des mosquées, des églises et des châteaux croisés.

Mais près de 300 sites d’une valeur inestimable pour l’humanité ont déjà été détruits, endommagés ou pillés en quatre ans de guerre en Syrie, s’est alarmée l’ONU en se basant sur des images satellitaires.

  • 99% des collections sauvées -

Le sauvetage le plus dramatique s’est déroulé le 2 août 2014 à Deir Ezzor (est), tenue en grande partie par les jihadistes du groupe État islamique (EI). Pour éviter un saccage de l’EI comme à Mossoul en Irak deux mois auparavant, la décision fut prise d’évacuer les 13.000 objets de la ville.

« Pendant une semaine, avec deux collègues, nous avons tout enveloppé. Nous avons tout mis dans un camion avant d’essuyer des tirs de mitrailleuses lourdes sur la route », raconte avec émotion Yaarob al Abdallah, directeur des Antiquités de Deir Ezzor au moment des faits.

« Nous avons entreposé les caisses dans un avion militaire au milieu de soldats tués ou blessés. Ce fut terrible, mais nous avons réussi », ajoute cet homme de 46 ans, actuel directeur du Musée national de Damas.

M. Abdulkarim, qui a pris la décision, en a encore des sueurs froides. « Si l’avion était tombé, je perdais trois amis, la Syrie des pièces inestimables et moi j’aurais terminé en prison ».

Il estime que 99% des collections des musées ont été sauvées, grâce au dévouement des 2.500 fonctionnaires qui perçoivent leur salaires, y compris ceux vivant dans les régions rebelles.

« Ils considèrent que la défense du patrimoine est une question d’honneur, équivalent à celle de défendre l’honneur de leur mère », assure le co-directeur de la mission franco-syrienne qui travaillait avant le conflit sur les 700 Villes mortes de l’époque romano-byzantine dans le nord de la Syrie.

Une douzaine de fonctionnaires sont morts, dont cinq sur leur lieu de travail. L’un d’eux a été égorgé par l’EI à Deir Ezzor car il renseignait les services des antiquités sur les trafics mafieux.

M. Abdulkarim s’inquiète surtout des dommages occasionnés à 300 sites et 445 bâtiments historiques dans le pays. Certains l’ont été lors d’affrontements mais d’autres ont été victimes « des fouilles clandestines, parfois au bulldozer », comme à Mari, Doura Europos, Apamée, Ajaja (nord-est), la vallée de Yarmouk à Deraa (sud) et Hamam Turkoman près de Raqa (nord).

« La barbarie des jihadistes, qui détruisent toute représentation humaine et les mausolées musulmans, s’ajoute à l’avidité des groupes mafieux venus du Liban, d’Irak, de Turquie pour acheter les pièces trouvées par les habitants », se désole Ayham al-Fakhry, l’ancien directeur des antiquités de Raqa qu’il a dû fuir en 2012.

« Ils payent 20% de la valeur estimée à l’EI et peuvent empocher les objets pour les vendre en Europe ou dans le Golfe », précise-t-il.

Les défenseurs du patrimoine syrien se plaignent aussi d’avoir été considérés comme des pestiférés par la communauté internationale depuis le début de la révolte antirégime.

« Nous étions isolés car le monde avait coupé toutes les relations avec nous » à l’exception du Liban, de quelques organisations internationales et de l’Unesco, explique M. Abdulkarim.
Pour cet auteur d’une thèse en France sur « Homs à l’époque romaine », « il faut pourtant, après Charlie Hebdo, Mossoul et Raqa, une mobilisation internationale pour sauver la culture, la civilisation ».

Il remarque toutefois que les choses changent timidement depuis six mois. Les Antiquités syriennes ont ainsi été primées pour leur travail ou invitées lors de conférences sur les antiquités syriennes à Venise, en Allemagne et à la fin du mois en France. « C’est le début de la fin du tunnel », espère M. Abdulkarim.

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Assawra - Avec les agences de presse

26-03-2015