Gérard Destanne de Bernis Grand ami du combat anti-colonialiste du peuple algérien vient de nous quitter

mardi 28 décembre 2010
par  Alger républicain

En l’espace d’un mois, l’Algérie vient de perdre deux de ses grands amis français.

C’est avec une immense tristesse que nous venons d’apprendre que le professeur Gérard Destanne de Bernis vient de s’éteindre le 25 décembre, un mois ? peine après notre ami André Prenant. Tous les deux ont soutenu activement, chacun ? sa manière, la guerre de Libération nationale du peuple algérien. Tous les deux aussi se sont mis ? l’indépendance au service de l’Université algérienne pour contribuer ? former les cadres dont l’édification de l’Algérie avait grand besoin. Ils se connaissaient, s’estimaient mutuellement, s’influençaient réciproquement dans leur désir de soutenir les efforts d’émancipation économique de l’Algérie après son indépendance. Le géographe et l’économiste, engagés l’un et l’autre dans le combat pour une société fondée sur d’autres bases que le profit et l’exploitation suivaient attentivement l’évolution de l’Algérie. Ils étaient meurtris par le processus de confiscation de l’Algérie par une minorité de profiteurs davantage intéressés par leur enrichissement que par la fidélité aux espoirs soulevés par la guerre de libération. Quand le terrorisme islamiste s’est abattu sur l’Algérie, l’un et l’autre ont déployé tous leurs efforts pour venir en aide aux progressistes algériens menacés. De Bernis a été particulièrement bouleversé par l’assassinat en 1994 d’Abderrahmane Fardeheb, professeur d’économie ? l’Université d’ Oran, qui avait été son étudiant. Il en était arrivé ? penser que derrière ces assassinats de masse devait se tenir une force puissante résolue ? décimer l’intelligentsia algérienne, fraîchement née de l’indépendance toute récente.

Anti-colonialiste et humaniste influencé par les idées de transformation du monde au profit des classes laborieuses, De Bernis a enseigné l’économie ? la Faculté de droit et de sciences économiques d’Alger jusqu’en 1970. Mettant en œuvre son immense savoir économique il a beaucoup aidé ? frayer dans la tête de ses étudiants l’idée qu’il fallait rompre avec les structures économiques héritées du colonialisme qui constituaient un frein au développement de l’Algérie. Ses thèses ont été résumées dans la théorie des « industries industrialisantes ». Beaucoup de gens en parlent de façon sarcastique, mettant sur son compte les désastres vécus par l’Algérie depuis plus de 20 ans sans jamais l’avoir étudiée. A la moindre évocation de cette approche, des plumitifs aussi désinvoltes qu’ignares se croient obligés de lui accoler les épithètes les plus négatives et les plus péjoratives.

De Bernis était parti du constat que l’Algérie disposait d’un certain nombre d’atouts extraordinaires, le pétrole et le gaz, le fer et le phosphate, et qu’elle pouvait les exploiter dans l’intérêt de son peuple pour passer du stade d’exportateur de matières premières et de produits énergétiques bruts ? celui de pays industrialisé capable de réduire ses importations de produits manufacturés et de fournir ? l’agriculture les engrais et les équipements nécessaires ? sa modernisation. Pour cela il fallait faire des revenus tirés de l’exportation des hydrocarbures un moyen de financement de son développement et non pas une source d’enrichissement du capital étranger ou de satisfaction des besoins de prestige et de dépenses improductives d’une minorité de couches sociales possédantes.

L’exploitation du pétrole et gaz pouvait servir ? créer des industries pétrochimiques, ? fournir des matières premières pour la production d’engrais, de divers matériaux et de produits synthétiques dérivés, nécessaires aussi bien pour l’agriculteur que pour le consommateur. L’argent du pétrole devait être utilisé pour lancer des industries de base dans la sidérurgie, la métallurgie, la mécanique, etc., afin de transformer le minerai de fer, alors exporté, en tubes pour alimenter la population en gaz et en eau, ? développer le système d’irrigation, ? pourvoir les industries de transformation de tout ce qui leur était nécessaire dans le cadre d’un développement de plus en plus intégré. C’est ce que les étudiants apprenaient sous l’expression ramassée de « noircissement de la matrice des échanges inter-industriels ». Cette expression « savante » signifie que les branches économiques se livrent mutuellement de plus en plus les matières premières, les pièces détachées, les machines, les outils et les équipements dont elles ont besoin.

A la place d’un appareil de production qui dépend entièrement pour tout de l’importation, le pays devait pouvoir créer un système productif qui se procure de plus en plus ses équipements et ses moyens de production. Le phosphate devait lui aussi être transformé sur place. De proche en proche l’Algérie devait pouvoir densifier son tissu industriel, se dotant ainsi de la capacité ? répondre ? ses besoins internes. A travers ces grandes transformations, elle fournissait en même temps ? ses cadres, ingénieurs, techniciens et ouvriers - dont la formation ? grande échelle devenait réalisable grâce ? l’argent du pétrole - la possibilité et les moyens de maîtriser peu ? peu les processus industriels modernes, d’innover, d’adapter les technologies aux besoins algériens, et de se préparer dans de bonnes conditions ? tirer profit des relations économiques internationales. Ce processus profond d’investissements productifs devait conduire ? la résorption du chômage, entraîner une distribution de revenus et créer par l ? même le marché interne qui devait déclencher un cycle ininterrompu appelé « développement national autoentretenu ». L’Algérie devait au bout du compte créer les deux sections de production interdépendantes sur lesquelles repose l’économie de tout pays indépendant : la section des moyens de production et la section des biens de consommation.

Evidemment, ces actions économiques supposaient la transformation des rapports sociaux, dans les villes et les campagnes, l’élimination des freins opposés par les couches compradores improductives de la société. Ces idées simples avaient commencé ? pénétrer parmi les intellectuels sous l’influence du combat pour s’affranchir de la domination économique néo-colonialiste et impérialiste. Elles convergeaient avec l’aspiration nationale, reflétée dans le programme de Tripoli, ? donner pour les masses populaires un sens concret et palpable ? l’indépendance politique.

Zoheir Bessa

27 décembre 2010