Guerre de Libération nationale : été 1956, dans les monts de Cherchell

lundi 14 juillet 2014
par  Alger républicain

Dans la zone montagneuse très accidentée de Cherchell, les accrochages avec l’armée française commencèrent avec l’arrivée, la mi-juin 1956, d’un groupe de treize hommes armés, chargés par le commandement de l’ALN de la zone 4 (Blida-Médéa) – plus tard wilaya IV- d’organiser le maquis dans cet espace rectangulaire, de 70 kilomètres de long et de 15 à 20 kilomètres de large, qui sépare la plaine du Haut Cheliff de la Méditerranée.

Le premier objectif assigné à ce groupe « éclaireur » était de réaliser la jonction avec le maquis déjà actif de Ténès, à l’ouest, dans le cadre du plan général d’expansion de l’insurrection tracé par l’état-major de cette zone. Les deux chefs du groupe chargé de cette mission sont nés à Cherchell. Les anciens membres du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques créé par Messali Hadj au mois d’octobre 1946), bien intégrés dans la population des montagnes, les aidèrent dans leur mission en prenant particulièrement en charge la campagne d’explication des objectifs de l’ALN : la lutte pour libérer le pays de l’occupation coloniale.

Au plan administratif, le territoire pris en charge était divisé en sept douars issus du démembrement, en 1863, des tribus des Béni Menacer et d’El Ghobrini. Les douars, habités exclusivement par des indigènes, étaient caractérisés par l’extrême morcellement de l’habitat ; un habitat épars avec toutes ses singularités. Les populations, très conservatrices, vivant quasiment en autarcie, avaient toutes la même culture et pratiquaient la même religion. Elles parlaient la même langue, le berbère. Elles avaient le même mode de vie archaïque caractérisé par leur façon de travailler la terre avec des outils rudimentaires (l’araire et la hache à la main), leur façon de consommer, de se soigner, de s’habiller, de se divertir, de construire leur maison (une hutte construite en pisé et en pierre couverte d’une terrasse faite d’un mélange d’argile et de branchages entrelacés avec une étable sous le gourbi).

La colonisation féroce fit que les montagnards, séparés de la zone littorale utile occupée par les colons, furent abandonnés à leur triste sort, l’administration coloniale ne s’intéressant qu’au prélèvement des impôts :
« pas d’école, pas de médecin ni dispensaire, pas d’électricité, pas de route »,
nous dit un ancien paysan de la fraction Taourira du douar Sidi Semiane, rencontré à Sidi Ghilès où il habite.

« Des gens vivant dans les ténèbres, sans les ressources de base minimales, soumis à l’arbitraire de l’administrateur civil et de son assistant servile, le caïd, désigné à la tête de chaque douar »,
témoigne Mohamed Younès, un maquisard né à Cherchell. Ses parents sont originaires du douar Bouhlal. Son compagnon d’armes, Mustapha Saadoun, un vieux dirigeant du Parti communiste algérien (PCA), avait été frappé, à son arrivée au maquis au mois de juillet 1956, par la terrible pauvreté des montagnards. Commissaire politique, il avait eu à arpenter tout le maquis.
« Au douar Zatima, sur les hauteurs des monts de Gouraya, les gens vivaient à l’âge de pierre. A Sidi Ouchkine, la famine tuait en hiver. De ma vie, je n’ai vu une telle situation de dénuement. Pour éviter les rafales de vent, les gens vivaient sous terre comme des troglodytes. Livrés à eux-mêmes, ils étaient devenus des loups »,
nous a-t-il dit en 2008, quelques semaines avant sa mort. C’est dans ce douar déshérité de Zatima que les militaires français recrutèrent leurs premiers harkis en leur offrant une maigre solde.

« Au milieu de la désolation – où les enfants, vêtus d’une simple gandoura, marchaient les pieds nus – les garçons venaient à la vie pour garder des chèvres, puis adultes, aller travailler « des étoiles aux étoiles » dans les riches fermes coloniales du littoral, ou bien être des hommes de peine à l’huilerie Buthon, dans la montagne de Dupleix, ou alors tailleurs de pierre au mont des Carrières, au sud de Fontaine-du-Génie »,
raconte le maquisard Mohamed Younès qui, enfant, partait rendre visite à ses grands-parents restés dans la montagne de Bouhlal.

« Des montagnards, parmi les plus costauds, réussissaient à trouver du travail, sur le littoral colonial, comme cantonniers au service des Ponts et Chaussées. Aux côtés d’autres travailleurs, certains, les plus conscients, avaient intégré le mouvement national. Ils furent les premiers moussebiline »,
témoigna Mustapha Saadoun qui avait mené campagne, dans les années 1950, contre le recrutement des montagnards démunis de l’essentiel pour vivre, pour aller faire la guerre en Indochine et servir de « chair à canon » dans le corps expéditionnaire français.

Dans cette partie orientale du Dahra, l’occupation du sol par les troupes de l’armée française, venues de France renforcer les forces répressives, se fit par étape. Elle commença par l’est du massif montagneux. Le 17 juillet 1956, le 3e bataillon du 22e bataillon du régiment d’infanterie s’installa au centre de colonisation de Zurich puis fixa un PC réduit au centre de colonisation de Marceau. Les maisons forestières lui servirent de postes avancés dans les montagnes. Le bataillon était rattaché sur le plan opérationnel au secteur Est dont le PC se trouvait à Miliana. Pour les stratèges de l’armée française, la vraie guerre se jouait dans ces montagnes farouches. Il fallait « pacifier » ce territoire, c’est-à-dire soumettre tout à leur contrôle.

Pour le petit groupe de l’ALN, arrivé dans la région au mois de juin 1956, tout commença à Adouiya, un lieu escarpé très difficile d’accès, situé sur l’axe Carnot-Dupleix, à 50 kilomètres au sud-ouest de Cherchell, loin des centres de colonisation de Marceau et de Zurich. Son installation fut facilitée par l’imam Sid Ahmed, un homme de culture doté de la confiance de la population. Les gens de Adouiya sont connus dans l’histoire du mouvement national pour avoir porté les candidats de la liste démocratique à la Djemaa, en 1946. Mustapha Saadoun, alors militant du Parti communiste algérien, fut pour beaucoup dans ce succès électoral. C’est de Adouiya que fut lancée l’opération de jonction avec le maquis de Ténès, à l’ouest.

La deuxième étape de l’extension de la guérilla dans la région fut Hayouna, un ensemble d’habitats dispersés au sommet d’un plateau très élevé, entre oued Sebt et oued Messelmoun. Située sur le versant de Gouraya, à mi-chemin entre la mer, au nord, et oued Chéliff, au sud, cette fraction du vaste douar de Bouhlal (4 000 habitants), offrait par son relief accidenté toutes les commodités pour l’implantation de l’ALN.

Le commando de l’ALN s’appuya sur l’organisation clandestine du MTLD présente au douar depuis longtemps. Ainsi, rapidement, les refuges furent trouvés pour servir de relais aux groupes armés en constants déplacements. Des caches pour le stockage du ravitaillement furent aménagées chez des hommes sûrs, dotés de la confiance de la population, tels que Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaïdi, Mohamed Hamdine, M’Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenech.
« La population était acquise à la cause. De cette société montagnarde sortirent les fida et les moussebiline dont le groupe armé avait besoin. Les femmes préparaient la nourriture. Nous étions comme un poisson dans l’eau »,
témoigna le doyen du maquis, Mustapha Saadoun.

Le premier accrochage entre le commando de l’ALN et des éléments de l’armée française eut lieu le 18 juillet 1956, au maquis d’Aghbal, à six kilomètres au sud de Gouraya. Le commando, renforcé par de nouvelles recrues arrivées de la ville, notamment des joueurs de l’équipe de football du Mouloudia de Cherchell conduits par Ali Bendifallah, leur capitaine, venait de recevoir des armes de guerre sorties du lot capturé le 4 avril 1956 par Henri Maillot [1].

Ce premier accrochage eut lieu sur le plateau de Saadouna, au pied d’un des plus hauts sommets du Dahra oriental, Iboughmassen, à un lieu enclavé dans une épaisse forêt. L’embuscade fut tendue au col, à la fin d’une pente raide, boisée, caillouteuse. La 6e compagnie du 3e bataillon du 22e R.I, accrochée alors qu’elle menait une opération de bouclage du djebel Gouraya, perdit plus de 50 morts. En se retirant, l’ALN emporta de nombreuses armes de guerre.

Douze jours après, le 31 juillet 1956, sur la piste qui borde l’oued Messelmoun, l’armée française fut une nouvelle fois accrochée. Là aussi, l’ALN récupéra des armes lourdes.

C’était à Cherchell, il y a 58 ans …

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Mohamed Rebah

11.07.14

Auteur de « Des Chemins et des Hommes »


[1Henri Maillot est tombé au champ d’honneur le 5 juin 1956.