Intervention militaire au Mali : vers une mainmise sur l’Algérie ?

lundi 6 mai 2013

(extraits)

Les voies de l’enfer sont pavées, dit-on, de bonnes intentions. Les voies hollandaises sont aussi infernales qu’impénétrables tout en étant a priori bien intentionnées. Et ce n’est pas le premier Président qui s’applique à nous faire avaler des couleuvres pseudo-démocratiques, Sarkozy ayant su donner l’exemple aussi bien avec l’Irak qu’avec la Libye. Avec M. Hollande, on tombe de Charybde en Scylla. La France s’enlise dans tous les conflits imaginables et inimaginables quitte à s’associer aux islamistes syriens, quitte à radicaliser encore plus des énergumènes qui tôt ou tard regagneront le pays, quitte à détruire des Etats qui lui étaient parfaitement loyaux. Rappelez-vous les accolades de Sarko avec Kadhafi. Et parallèlement, nos élites entretiennent des relations quasi-passionnelles avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, deux références sans nul doute démocratiques … mais qui se cachent bien d’être telles par pure modestie. On voit bien que l’image du Robin des Bois ambulant à l’échelle internationale ne se justifie pas.

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Ceci dit, notre « glorieuse » ingérence au Mali coûte cher, même trop cher. On estime déjà à 200 millions d’euros le coût de l’opération avec des frais de transport battant tous les records : 91 millions d’euros. Le prix humain n’est pas à négliger lui aussi. Le Caporal-chef Stéphane Duval a été tué la veille. Marié, relatent les journaux, père de deux enfants. Un commentaire laconique posté sur facebook livre une réaction peut-être froide, mais en tout cas juste si l’on sait ce qui se cache derrière la cause malienne : « Tuer tue ». On sait en effet que le 22 mars 2012 un coup d’Etat a renversé le gouvernement officiel pour mettre au pouvoir Dioncounda Traoré, Président parfaitement loyal à la ligne politique française. Pour rappel, ce coup d’Etat n’avait strictement aucun sens puisque son prédécesseur devait achever son mandat dans quelques semaines et n’avait pas l’intention de se présenter aux élections suivantes. Le fait qu’on l’ait jugé incapable de contrer l’avancée du MNLA semble étrange si l’on tient pour acquis que la révolte touareg et salafiste a eu lieu en avril, soit après la démission du gouvernement élu et que, de toute façon, l’aide de la France a été revendiquée quelques mois plus tard. Les faits sont bel et bien là mais, vulgairement parlant, il y a quelque chose qui cloche. Certains experts ont tendance à voir dans cette campagne malienne un prétexte parmi tant d’autres pour encercler l’Algérie que la France ne se consolerait pas d’avoir perdu. Après tout, excepté le Maroc où les Frères Musulmans n’ont fait qu’entamer leur percée, l’Algérie est pour l’instant le seul bastion inviolable du Sahel. Serait-il à prendre ?

M. Ley-Ngardigal, docteur en politologie, panafricaniste engagé, a élucidé pour nous les facettes cruciales du conflit malien.

La Voix de la Russie : « Des articles sporadiques du Monde et du Figaro décrivent une armée française qui semble s’enliser de plus en plus dans un conflit dépassant largement la chasse aux islamistes. Certains experts parlent ouvertement d’un resserrement de l’étau autour de l’Algérie, prochaine victime des Printemps arabes. Partagez-vous cette vision ?

M. Ley-Ngardigal : Je suis tout à fait de l’avis de ces experts. En effet, dès le début des opérations, en Libye d’abord, j’avais déjà prévenu que cette opération contre Kadhafi pourrait déboucher sur le Sahel. Et nous sommes donc arrivés au Mali - conséquence directe du renversement et de l’assassinat de Kadhafi. Vous savez sûrement que dans les années 58-62, il y avait un plan français qu’on appelait le plan Peyrefitte, du nom de l’ancien Ministre français, qui consistait, une fois l’indépendance de l’Algérie acquise, à réserver une partie du Sahara à la France. C’est bien ce plan qui est mis en ce moment en route. On le voit sur les faits suivants :

depuis l’intervention des troupes françaises au nord-Mali, l’armée malienne n’a pas le droit de mettre le pied à Kidal, par exemple. Dans cette région du nord-Mali il n’y a que les troupes françaises et leurs supplétive, c’est-à-dire l’armée tchadienne qui supervise ses plans. Que cachent ces plans qui consistent à empêcher l’armée malienne, l’armée d’un pays souverain, de contrôler l’intégralité du territoire et du pays dans son ensemble ? Le nord-Mali a pour frontière l’Algérie. Cette partie frontalière est contrôlée de surcroît par le MNLA, ce mouvement qui a des accointances avec la France qui a bien laissé les troupes touaregs venues de Libye traverser toute la Libye, tout le Niger pour se rendre au nord-Mali et proclamer plus tard la République de l’Azawat. Vous voyez donc qu’il y a une accointance entre la France, le MNLA et le plan Peyrefitte contre l’Algérie.

La VdlR : Certains spécialistes du Sahel considèrent que le catastrophisme de la situation au Mali est truffé d’exagérations délibérément entretenues par notre gouvernement. Effectivement, nous avons vu dès le début un François Hollande rayonnant, triomphant, entrer à Tombouctou en héros-libérateur … Ne croyez-vous pas que ces excès pittoresques visaient surtout à faire remonter la côte de popularité d’un Président qui st en chute libre ?

M. Ley-Ngardigal : Sans aucun doute. Si vous vous en souvenez, l’ancien Président Sarkozy a lancé sa Croisade contre le Moyen-Orient au moment où il était au plus bas des sondages, cela pour redorer son blason et gagner les nouvelles élections ce qui fut, malheureusement pour lui, un échec. Pareil pour Hollande. Ces derniers temps, les sondages lui sont absolument défavorables et on peut en effet penser que la guerre au Mali pourrait non seulement redresser sa côte mais aussi faire oublier les problèmes cruciaux sociaux qui se posent en France. D’où le déclenchement artificiel de conflit malien … Vous savez aussi pertinemment que les islamistes œuvrant au Mali ont pour sponsor le Qatar. Or, le Qatar est un grand Ami de certains dirigeants PS et UMP. Autrement dit, il y a un paradoxe. D’abord, on va tuer Kadhafi au nom de la démocratie. On va faire la chasse aux islamistes maliens toujours au nom de la démocratie. Mais paradoxalement, la même France soutient le Qatar qui n’est pas une démocratie. On y a vu aussi des soulèvements qui ont été noyés dans le sang, ce qui n’a suscité aucune réaction en France. Le paradoxe est donc très simple : la France prétend soutenir la démocratie en Afrique mais accepte la Qatar qui n’a rien d’une démocratie et qui soutient les islamistes. Il se fait donc qu’elle est en soi une sorte de pompier-pyromane (…).

La VdlR : Tiambel Guimbayara, journaliste à la Voix du Mali, se pose la question de savoir si le prolongement du plan Serval au Mali est une bonne chose parce que, manifestement, elle n’en est pas vraiment une. Quel est votre point de vue ? Avez-vous une certaine idée de ce que pourrait être le dénouement malien ?

M. Ley-Ngardigal : Il faut avant tout se dire que toute intervention militaire étrangère d’où qu’elle vienne, quelles qu’en soient les raisons n’est pas une bonne chose pour le pays, surtout une intervention militaire qui provient des ex-puissances coloniales, française en l’occurrence. C’est là qu’il faut souligner quelques coïncidences assez troublantes. Vous savez que le 22 avril, l’Assemblée nationale française a voté la prolongation de l’intervention militaire française au Mali. Le 24 avril, le Conseil de sécurité des Nations Unies transforme la MISMA, c’est-à-dire la force panafricaine au Mali, en MINUSMA, abréviation de la mission intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali.

Curieusement, dans cette résolution – d’ailleurs proposée par la France – il est mentionné que les troupes françaises resteraient au Mali pour pouvoir soutenir les forces de la MINUSMA en cas de danger imminent. Autrement dit, j’avais déjà demandé dès l’intervention française au Mali comment pouvait-on un seul instant imaginer que la France puisse entretenir environ 4500 soldats et repartir sans contrepartie. C’est impossible. Nous ne croyons pas à l’altruisme dans ce type de domaine. Ces derniers temps, on entend parler du retrait progressif des troupes françaises. Le ministre des Affaires étrangères Fabius disait même qu’il essaierait de garder un millier de soldats français sur place au Mali.

Autrement dit, la France aurait une base militaire qui va s’installer et probablement, pas forcément à Kidal – que l’ancien Président du Mali, Modibo Keïta, avait refusé à la France au début de l’indépendance – mais cette fois-ci au nord à Kidal, c’est-à-dire à la frontière algérienne. Et c’est là que l’on voit que l’étau se resserre autour de l’Algérie parce que les USA félicitent déjà la France de ses succès contre les islamistes tout en ajoutant qu’ils sont prêts à aider les troupes françaises. Ainsi, le nord-Mali serait un sanctuaire des puissances impérialistes et notamment de la France qui prendrait sa revanche sur le FLN en quelque sorte ».

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