L’Algérie dans le viseur des USA*

dimanche 16 février 2014

Il y a déjà plusieurs mois que les États-Unis, après avoir classé l’Algérie comme « pays à risque pour la sécurité des diplomates », ont implanté des installations militaires avec contingents de marines, à la pointe sud de l’Espagne, sans cacher le moins du monde leurs intentions interventionnistes vers le nord de l’Afrique.

Sachant par ailleurs, que les Etats-Unis visent désormais la région frontalière située entre le sud tunisien et l’Algérie :
« Signe que les Etats-Unis sont décidés à agir, le Pentagone vient de récupérer, dans le sud de la Tunisie, une ancienne base désaffectée qui doit être rénovée pour intervenir sur le théâtre libyen, affirme une source diplomatique à Tunis. » (le Figaro, 1er février 2014)
, le moins qu’on puisse dire, même s’il n’est question pour l’instant que d’intervenir en Libye, est que l’ogre se rapproche…

Menaces de punition pour n’avoir pas suffisamment soutenu l’intervention militaire française au Mali ? Projet de déstabilisation d’un dernier bastion encore par trop indépendant de l’influence US ?

Toujours est-il que, après les maliens et au vu de l’état de tension régnant dans toute la sous-région, les Algériens sont fondés à nourrir de grandes inquiétudes.

Une intervention militaire annoncée

500 marines, huit avions militaires de combat…Les États-Unis ont ainsi déployé, depuis l’été 2013, une force militaire d’intervention conséquente, dans la petite ville de Moron en Espagne. Si le stationnement de militaires américains sur le sol espagnol n’est pas un scoop, ce qui est nouveau en revanche est la spécificité dédiée à cette nouvelle implantation. L’aveu du gouvernement espagnol à ce sujet est d’ailleurs de taille : à « permettre à l’armée américaine d’intervenir dans le nord de l’Afrique en cas de troubles majeurs ». On ne saurait, en effet, être plus clair !

Aujourd’hui, alors que les USA viennent de faire une demande officielle au gouvernement Rajoy d’augmenter de moitié le contingent des marines déjà en place, appelé « Force de riposte pour la crise en Afrique », on apprend, par le quotidien espagnol El Pais, que sont prévus d’importants mouvements de la marine militaire US sur les côtes espagnoles : « Le 11 février prochain le destroyer américain USS Donald Cook arrivera avec ses 338 membres d’équipage à la base navale de Cadix. Un second navire, USS Ross arrivera en juin et deux autres, USS Porter et USS Carney, en 2015. Au total, ce seront 1100 marines, avec leurs familles, qui s’installeront sur la base de Cadix ».

Interrogé à propos de toutes ces manœuvres et implantations militaires, Gonzalo de Benito, secrétaire d’Etat espagnol aux affaires étrangères, se contentera de commenter :
«  Quelles opérations réaliseront ces marines suréquipés ? Je ne peux pas le dire car ces forces sont pas venues pour des opérations précises mais pour des contingences qui peuvent se produire… »

Entre menaces et langue de bois, on mesure combien ces bruits de bottes sont à prendre au très sérieux.

Que ce soit en Italie ou en Espagne, au Nord Mali ou au Niger, qu’elles soient françaises ou US, force est de constater que les implantations militaires se multiplient dans la région proche Maghreb.

L’humanitaire d’abord et puis… la guerre

Toutes les interventions extérieures qui ont procédé, et y tendent encore, à ce processus de désintégration territoriale et politiques des nations, notamment africaines… ont toujours été précédées de campagnes ultra-médiatiques menées sur le terrain de « l’humanitaire ». On connaît parfaitement le déroulé des opérations : « humanitaires » et ONG signalent, généralement là où on le leur dit, une situation dramatique pour les civils, y dénoncent des famines en cours ou à venir, identifient des multitudes de génocides (ou risque de), abreuvent les opinions publiques d’images-choc et finalement… les grandes puissances se voient « contraintes », à leur corps défendant s’entend…d’intervenir au nom du « droit à la vie des populations concernées ». CQFD en Libye, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Mali…tous désintégrés, découpés et finalement partitionnés.

C’est ainsi que, après avoir rôdé il y a fort longtemps son procédé au Biafra et en Somalie, tous deux désintégrés [1], le « bon » docteur Kouchner, devenu ministre français de gauche et de droite, allait inventer en ex-Yougoslavie, elle aussi désintégrée, la version définitive du « droit d’ingérence » ! Invention qui, après avoir montré toute son efficacité dans l’implosion des Balkans, allait faire florès aux quatre coins d’une planète soumise à la globalisation impériale.

De l’Irak, des « armes de destruction massive » à la Libye du « sanguinaire » Kadhafi, meilleur ami de la France, de la Syrie au Mali, de la Côte d’Ivoire à la Centrafrique… on s’aperçoit que c’est surtout au nombre de guerres menées, en son nom, sur le continent qu’on peut mesurer les résultats de cette politique « humanitaire ».

Afrique du Nord, Algérie et Tunisie clairement visées

Qu’on n’oublie pas que le département américain des affaires étrangères a récemment classé l’Algérie dans sa trop fameuse liste des pays « à risque sécuritaire pour les diplomates ». Par ailleurs, au même moment, sous forme d’amendements, était rediscutée au Congrès américain la loi anti-terroriste avec comme objectif affiché de permettre l’intervention des Forces Armées, sans consultation préalable en…Afrique du Nord ! Tiens donc…

Les ONG humanitaires dont on a déjà dit l’empressement à « appeler les grandes puissances » et leurs armées au secours, sont depuis longtemps à pied d’œuvre en Algérie. Selon la centrale syndicale UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) ces ONG mènent campagne dans le but de diviser et opposer les populations entre elles : Nord contre Sud, Berbères contre Arabophones, salariés contre chômeurs… En tête de liste de ces « humanitaires » on trouve les ONG telles que Freedom House, Canvas, NED…dont les liens avec la CIA sont un secret de polichinelle. [2]

L’UGTT les accuse nommément d’infiltrer les mouvements sociaux aux fins de « les dévoyer et de les conduire vers des actions violentes, cherchant ainsi à créer une situation de troubles pouvant justifier une intervention extérieure » et encore «  Alors que les jeunes manifestent légitimement pour la création d’emplois, contre la précarité et l’exploitation, les jeunes animateurs de Canvas leur proposent de régler la question de l’emploi dans un cadre séparatiste, du Sud de l’Algérie, c’est à dire là où se trouvent les grandes richesses minières, pétrolières et gazières. » Comme par hasard, serait-on tenté d’ajouter ou plutôt…comme d’habitude. [3]

Insécurité et troubles sociaux provoqués en de ça des frontières, insécurité généralisée provoquée au delà . La méthode est connue. Les USA qui s’appuient déjà sur la déstabilisation régionale pour justifier le déploiement de leurs dispositifs militaires en Méditerranée ne manqueront pas de prendre demain le prétexte des troubles sociaux ou « du danger pour les diplomates » pour intervenir directement.

Ne serait-il pas légitime, pourtant, de poser la question de la responsabilité des grandes puissances, et très précisément de celle des USA, dans la prolifération des activités terroristes armées dans toute cette région d’Afrique ? N’est-ce pas, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes, au nom de cette insécurité que les USA, par OTAN et France interposées, ont décidé de faire exploser la Libye en 2011 ? N’est-ce pas pour les mêmes raison que l’armée française est entrée en guerre au Mali en 2012. Deux interventions qui, rappelons le, loin de ramener la paix, ajoutant la déstabilisation à la déstabilisation, ont fait du Sahel, et de toute la sous-région, une véritable poudrière.

Ces nouvelles menaces US inscrites dans le cadre de la stratégie dite des « dominos », si chère à l’ancienne administration Bush, doivent être prises très au sérieux. On le voit, les prétextes même les plus fallacieux, ne manquent pas et ne manqueront pas, dans un avenir proche, pour une intervention militaire extérieure. Les grandes puissances ne s’arrêteront pas, bien au contraire, devant les risques de désintégration régionale et leurs conséquences meurtrières pour les peuples.

Déjà , c’est toute la région qui subit l’incroyable prolifération des armes due à l’explosion de l’état Libyen et au flux continu d’armements en tout genre, totalement irresponsable, à destination d’islamistes extrêmes en Syrie. Les ondes de choc de cette situation on les connait au Mali où une France militairement dépassée se montre très (trop) bienveillante à l’égard de séparatistes très bien équipés, en Algérie où ressurgit une certaine forme de terrorisme islamiste qu’on pensait éradiquée et jusqu’en Tunisie où sévissent désormais des groupes paramilitaires se réclamant de l’Islam et où, dans le même temps, le pouvoir laisse impunis les assassinats d’opposants politiques.

Il apparaît de plus en plus clairement aux populations concernées que ces menées dislocatrices dirigées contre des états souverains n’ont pour objectif que de laisser des nations affaiblies aux mains de supplétifs, divisées et impuissantées, incapables de résister aux appétits des multinationales.

C’est bien pourquoi les états d’où sont originaires ces multinationales s’entendent si bien, au gré de leurs intérêts et quoi qu’ils en disent, avec les islamistes les plus furieux, qu’il s’agisse aujourd’hui du Sahel et de la Syrie ou de la Libye hier. Autrement dit, à chacun son pré-carré, à chacun ses profits et ses caisses bien remplies.

Décidément, jamais les « vieilles chimères », portées par les pères fondateurs des Indépendances, comme le «  panafricanisme » ou « l’Afrique aux africains »… jetées depuis aux oubliettes de l’histoire, ne semblent pourtant avoir été autant d’actualité.

De toutes les manières et quoi qu’il en soit des débats urgents qu’impose la situation dramatique infligée au continent, l’actualité dicte que l’Algérie ne se voit pas dicter sa conduite sous intervention militaire.

.

*Note de la rédaction d’Alger républicain :

Chacun sait que l’UGTA, incidemment citée par l’auteur de cet excellent article, n’est rien d’autre qu’un syndicat maison du régime bourgeois algérien, un appendice de ses appareils de quadrillage du peuple.

Quant au prétendu « Parti des Travailleurs » de Louisa Hanoune, sa mission est celle d’un rabatteur des travailleurs pour soutenir le régime et prolonger son existence. L’UGTA et le PT ont pour fonction spéciale de crier en direction des travailleurs et à chaque crise politique interne à la menace contre l’unité du territoire et la souveraineté du pays.

Ils ne le font pas pour inciter les travailleurs à s’organiser de façon indépendante du régime pour agir comme les véritables défenseurs des intérêts du pays et de leurs propres intérêts de classe. Ils poussent les travailleurs à voler au secours de ce même régime discrédité auprès du peuple et responsable de la déliquescence économique et politique du pays, ainsi que de l’accumulation des menaces sur son unité territoriale, ses richesses pétrolières et son indépendance.

Alger républicain



[1Après le Biafra, Bernard Kouchner expliquera qu’il convient de «  convaincre  » d’abord les opinions publiques. S’en suivirent alors les opérations à grand spectacles comme «  un sac de riz pour la Somalie  », «  un bateau pour le Vietnam  »…les dissensions avec MSF, son départ et la fondation de Médecins du monde.

[2UGTA Alger le 28 juin 2013 in Fraternité journal du PT algérien

[3Sur le rôle néfaste des «  humanitaires  », des ONG et la dislocation des nations, voir www.lautreafrique.info  Banque Mondiale et ONG déstabilisent les états  »)