Le 1er novembre 1953, le Parti communiste algérien lance un nouvel appel pour la constitution d’un front national

mardi 1er novembre 2016
par  Alger républicain

En guise de réponse N°2 à M. Omar Merzoug, docteur en anti-communisme primaire.

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Le 1er Novembre 1953, le Parti communiste algérien lance un nouvel appel pour la constitution d’un front national.

La recherche de l’union des diverses forces composant le mouvement national apparaît et réapparaît à plusieurs moments de l’histoire de ce parti.
Cette constante de sa politique est parfois occultée par la mise au premier rang d’autres objectifs, comme ce fut le cas pendant la Seconde Guerre mondiale.

En 1946, une fois votée l’amnistie des condamnations politiques prononcées après les événements de mai 1945, le P.C.A. s’efforce de faire reconnaitre sa place dans la lutte pour la décolonisation. Il met au premier plan de son programme la formation d’un « Front national démocratique algérien ».
Il lance, en juillet 1946, des appels à l’U.D.M.A., au P.P.A. et aux progressistes.

Il ne cessera dès lors de tendre avec persévérance à la formation de ce Front qui, en juillet 1951, voit le jour sous le nom de « Front algérien pour la défense et le respect de la liberté ».

Ce 1er Novembre 1953, un an exactement avant le début de l’insurrection, le P.C.A. ne tente pas seulement de réveiller ce rassemblement qui s’est rapidement usé et épuisé, il s’efforce de le renouveler, en liant la défense de la liberté au combat pour la libération nationale. Un mois plus tard, le Comité central du M.T.L.D. ayant à son tour lancé le mot d’ordre de la convocation d’un « Congrès national algérien », le P.C.A. accepte cette proposition. La froideur de l’U.D.M.A., l’hostilité de Messali, la défaveur en quoi le peuple, lassé dans sa grande masse des luttes légales, tient les partis, ne permettront pas à une telle union d’être, alors et sur ces bases, réalisée.

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Composante populaire du PCA - Réunion clandestine aux environs de Tlemcen par Boris Taslitzsky - 1953
D.R

Depuis le début des années 1950 l’intégration du P.C.A au mouvement national a progressé et son influence a grandi parmi les travailleurs algériens.
Ses forces principales se rencontrent chez les cheminots, mineurs (mines de l’Ouenza, de Timezrit, du Zaccar, de Béni-Saf), dans les transports urbains et les services communaux. Il s’appuie dans certaines régions sur des paysans (région de Tlemcen, du Chélif, des Aurès). Il dispose du concours marquant de certains intellectuels et oriente des étudiants. Dans les syndicats, ses militants sont particulièrement actifs.

Il anime de vastes mouvements de grève, aussi bien politiques (mai 1952) contre le bannissement de Messali et les fusillades de manifestants à Orléansville-El Asnam) que revendicatives (28 avril 1954 : 130 000 grévistes, manifestations de travailleurs de la terre à El Oued, dans l’Atlas blidéen, manifestation de l’Aïd el Kébir 1954 à El Asnam).

Le P.C.A. a emprunté des voies qui lui sont propres même si certaines d’entre elles ont été suivies parfois par d’autres partis algériens.

Parti communiste, son internationalisme le différencie des partis nationalistes : de par la conception que se font les communistes algériens de la place du P.C.A. dans le mouvement ouvrier mondial, du contenu de ses rapports avec les classes ouvrières étrangères ou les autres partis communistes – le Parti communiste français notamment ; de par le rôle qu’ils assignaient à l’Algérie dans la lutte anticolonialiste globale.

Il est le moteur de luttes auxquelles les autres participent plus timidement, ou en leur attachant une moindre importance : lutte contre le fascisme, pour la paix, campagnes pour la signature de l’appel de Stockholm, contre la bombe atomique, solidarité avec le peuple vietnamien (ses efforts aboutiront au refus de chargement par les dockers algériens, pendant toute la durée de la guerre franco-vietnamienne, des navires destinés à ravitailler le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient). Il s’efforce de lier les luttes nationales des Algériens à celles des travailleurs français pour la démocratie et les libertés. S’il tend, avec d’autres, à faire venir l’Algérie au monde sur la scène internationale, le champ des alliances qu’il privilégie lui est particulier, ou tout au moins l’ordre dans lequel il les range est différent. Il marque un intérêt inégal à la notion de « pays frères » et à celle de « partis frères ».

Enfin le P.C.A. se refuse à admettre l’inclusion de l’Algérie dans l’O.T.A.N., voire dans un pacte méditerranéen inspiré par les impérialismes.
La préoccupation de ne pas laisser le peuple algérien être engagé malgré lui est partagée, mais non pas aussi nettement soulignée, par ceux qui, parallèlement, poursuivent l’indépendance.

En 1953 et 1954 sa composition ethnique se modifie rapidement et le caractère national de son recrutement s’affirme. Son 6e Congrès a porté au Secrétariat trois « autochtones » (Larbi Bouhali, Bachir Hadj Ali, Ahmed Akkache) pour deux Européens : Paul Caballero et André Moine. 8 pour 4 au Bureau politique, 30 pour 17 au Comité central. Dans les moyennes et petites villes, les secrétaires de section sont le plus souvent d’origine algérienne. Le phénomène s’observe plus encore dans les « groupes » villageois. A la veille du 1er Novembre, le nombre des adhérents originaires d’Algérie dépasse celui des originaires d’Europe.

Cependant il ne parvient pas encore à dissiper la prévention que nourrissent contre lui de nombreux nationalistes. D’autre part, son évolution inquiète des Européens du premier collège qu’il attirait naguère (aux élections de 1953 et 1954 il perd dans le premier collège de 4 à 6 points sur 100).

Les difficultés que rencontre le P .C.A. pour parvenir à sa pleine intégration dans le mouvement national tiennent aux contradictions qui naissent ou se développent dans ses relations avec les autres partis, ou en son propre sein.

Dans sa pratique politique (politique nationale et d’union) le P.C.A. subit des contradictions changeantes, complexes, et en interactions multiples.
Parti de classe, il ne prétend pas à s’identifier à tout le peuple, il n’a pas cette « vocation exclusivement nationale d’un mouvement qui plus qu’une partie aspire à être un tout ». Ce n’est pas un« parti-nation » comme l’on dira du F.L.N.

Parti mixte, il comprend des membres dont les niveaux de conscience nationale varient indépendamment. Il influence des sympathisants qui ne se perçoivent pas tous eux-mêmes comme Algériens, dont certains plus ou moins Français, qui souhaitent un changement de régime et de société en Algérie comme en France et en même temps, non un changement d’état de l’Algérie.

Parti marxiste, il ne saurait assumer ce à quoi certains passéistes veulent réduire l’Islam.

Parti « des travailleurs », lorsqu’il vise à unir les exploités, à défendre leurs revendications, à promouvoir leurs aspirations, il combat tout à la fois pour les victimes de l’exploitation capitaliste et pour celles de la de la double exloitation capitaliste et coloniale. Si les deux domaines se recoupent, ils ne se recouvrent pas. Il y a un ordre des exploités.

En un temps où le monde est divisé en deux camps, le P.C.A se range dans celui qui lui paraît préserver l’Algérie de tomber d’un joug colonial sous un autre, qui la garde de ne voir changer sur les drapeaux des monuments publics que la disposition des couleurs. D’ici, de là, le Tiers Monde est déjà né, mais Bandoeng est encore loin.

Parti né du P.C.F.- dont il fut jusqu’en 1936 une « région » – il comprend des militants qui ont migré d’un parti à l’autre.

Certaines positions prises par le P.C.F. en raison des contraintes que fait peser sur sa stratégie la conjoncture nationale française, trouvent un écho chez les communistes algériens ; ainsi de la quête prolongée d’une algérienne où seraient un jour confondus les descendants des colonisateurs, des conquérants, les autochtones, porteurs de cultures diverses, opprimés de toutes origines ; ainsi de la volonté d’édifier, grâce aux efforts communs des démocrates français et des patriotes algériens, une « Union française » ouvrant la voie la plus économique vers l’indépendance.

Ce projet, qui n’était d’ailleurs pas propre aux communistes, persista dans l’Algérie de 1954 par rémanence.
Le P.C.A. cette année-là parvient à surmonter dans la définition de sa stratégie la plupart des obstacles.

Son Bureau politique, le 28 septembre 1954, souligne « la nécessité vitale de l’union de toutes les forces patriotiques et démocratiques dans l’action sur le sol national ». Après avoir rappelé qu’il préconise « inlassablement depuis 1946 un Front national démocratique algérien et qu’il a, dans le passé, pris ou participé à des initiatives en ce sens et respecté les décisions prises en commun », il affirme possible l’élaboration d’un programme minimum « qui ne soit le programme d’aucun parti mais la charte de tout un peuple ». Il assure tous les Algériens que « les communistes [sont] animés de la seule ambition d’être parmi les meilleurs artisans de l’indépendance nationale ».

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in La Guerre d’Algérie

Tome 1 : De l’Algérie des origines à l’insurrection

sous la direction d’Henri Alleg. Edition Temps Actuels
p. 317 à p. 321