Le Mali et l’Azawad : l’espace sahélo-saharien en remodelage

mercredi 1er août 2012

Bernard-Henri Levy appelle à la guerre contre la Syrie après celle contre la Libye. Jacques Attali, de son côté, demande une guerre au Mali. Voici le billet écrit par ce dernier. Comme le lecteur s’en apercevra, les vraies raisons de cette guerre demandée par Attali ne sont qu’effleurées dans ce texte : l’uranium. Les autres motifs de cette éventuelle « guerre humanitaire » ne sont que des alibis.

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Mali - Azawad

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« Qui vit de combattre un ennemi a tout intérêt de le laisser en vie », disait Friedrich Nietzsche. En identifiant AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique) comme bras local d’Al Qaïda d’Oussama Ben Laden qui sévirait dans la région sahélo-saharienne, ceux qui prétendent combattre cette organisation, s’inscrivent dans cette perspective et se donnent toutes les latitudes pour façonner ou refaçonner cette partie de l’Afrique qui, depuis les temps immémoriaux, est l’objet de convoitises.

L’espace sahélo-saharien est présenté comme une bande de terres arides, désertiques, pauvres, sans aucune richesse, sans intérêt géostratégique. On fait croire par tous les moyens que toutes les interventions qui sont faites dans cette région sont purement et simplement mues par une vision humanitaire dont l’Occident serait naturellement porteur, car il n’y aurait rien à prendre, ni à contrôler là-bas. Il y aurait uniquement de pauvres populations affamés et assoiffées à sauver. Pourtant, les explorateurs et autres géographes déjà au XVe siècle jugeaient riches ces terres. Non seulement, très tôt, on y a vu de larges voies commerciales, mais on y a vu aussi des richesses agricoles, minières et minéralières gigantesques. Lesquelles ressources sont renforcées par des découvertes récentes de pétrole au Nord du Mali, précédées par celui du Soudan et du Tchad ainsi que des mines de fer, d’étain, de gaz, de phosphate, de cuivre et d’uranium dans la région notamment au Niger. Aux temps médiévaux d’ailleurs les Arabes y trouvaient et y trafiquaient du sel, alors matière première d’une grandeur valeur et de l’or.

Dans ce climat de richesses extraordinaires non connues et inexploitées par les indigènes, où la France coloniale avait même voulu construire le Transsaharien, chemins de fer reliant les possessions françaises d’Afrique du Nord à l’Afrique occidentale française, on a récemment assisté à des stratégies de positionnement et d’alliance et de contre-alliance géopolitiques et géostratégiques des puissances mondiales. Car, là où il y a mines et richesses, il y a rivalités et conflits pour y accéder. Dans la région, donc, on a vu les États occidentaux pilotés par les États-Unis d’Amérique accompagnés de leurs États mercenaires européens et israélien d’une part et la Chine d’autre part, réussir à morceler le Soudan en jouant sur des conflits locaux rebaptisés pour l’occasion génocide au Darfour.

On a donc deux projets impérialistes qui se jouent : d’un côté, un projet atlantiste visant à drainer les ressources de la région via le Golfe de Guinée vers les USA et par la Méditerranée vers l’Europe, et de l’autre, un projet chinois désirant réunir le pétrole et autres matières premières du Niger, du Tchad, du Soudan et de la Corne de l’Afrique pour les faire passer par les routes maritimes de l’Océan indien et de la Mer rouge.

Aujourd’hui, le Mali, découpé et désintégré en deux territoires autonomes, l’Azawad et le Mali, sur fond d’alibi religieux confirme la pratique tentée au Nigeria avec la tentative sécessionniste inaboutie initiée par la France au Biafra dans les années 60 et celle réussie au Soudan le 09 juillet 2011 avec la création d’un Soudan du Sud qui n’a aucune vocation locale et endogène si ce n’est servir de couloir de passage du pétrole pour ses parrains. Autant on a joué sur le registre religieux pour opérer la désintégration du Soudan, autant la diversion religieuse voile le projet malien.

Le journal Le Canard Enchaîné nous apprend que le Qatar, un sous-Etat mercenaire du triumvirat Etats-Unis d’Amérique, Europe et Israël finance, disons plutôt, est utilisé pour financer les mouvements se réclamant islamistes et séparatistes dans le nord du Mali. Le Qatar, il faut le dire, est monté en épingle et présenté ces derniers temps sur la scène mondiale comme une puissance diplomatique émergente par l’Occident qui investit tel ou tel pays comme puissance en fonction des circonstances. Ainsi, a-t-on vu cette puissance nouvelle dotée de son Al Jezeera et de pétrodollars sévir en Libye où on l’a brandit comme l’Etat Arabe dont la présence ôtait à l’agression contre Mouammar Kadhafi son caractère occidental. Ce pays alibi joue le même rôle d’ailleurs en Syrie actuellement en compagnie de la Turquie et de l’Arabie Saoudite.

Outre ses richesses convoitées, le Sahel est perçu comme zone de séparation entre deux espaces géopolitiques différents : le Maghreb que l’Europe essaie de rattacher à elle notamment par le truchement de l’Union pour la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne. Voie de commerce traditionnel et voie de passage des flux migratoires, le Sahel est décrété zone grise où peuvent se faire toute sorte de trafic à l’instar du trafic des armes opéré par l’OTAN et son allié de circonstance le Qatar lors de leur agression contre la Libye. En raison de l’inexistence d’Etats capables de contrôler cette région, les Etats africains n’en sont que de nom, elle sert de terrain de jeu à des acteurs de tout genre qui veulent la maîtriser chacun à son usage exclusif.

En 1885, Gerhard Rohlfs, voyageur allemand qui parcourait la région affirmait que « qui possède Tripoli possède le Soudan ». Aujourd’hui, en contrôlant la Libye, en armant les sous-fifres qui y règnent après l’assassinat de Kadhafi, on est en train de posséder la région et de la remodeler sous nos yeux. Des armes distribuées en Libye servent aujourd’hui d’outils de remodelage avec un paravent religieux.

L’utilisation du manteau religieux dans cette région ne date, au demeurant, pas d’aujourd’hui. Les expéditions des Almoravides au XIè siècle dans les empires africains du Mali, du Ghana, Songhaï cachées sous le manteau de la religion visaient en réalité à prendre le contrôle politique du Sahel et à faire main basse sur l’or et les richesses de ses territoires. En décomposant le Mali et en instituant l’Azawad, on fait aujourd’hui la même chose que les Almoravides.

Eu égard à tout ceci, la construction d’une Unité Africaine réelle sera la solution. Pour le moment une telle idée est rejetée par les satrapes africains qui tirent leur existence même de la fragmentation du continent africain par des frontières tracées à l’équerre et au compas depuis le Conférence de Berlin en 1884-1885. Les guignols africains appelés dirigeants et leurs metteur-en-scène font tout ce qui est en leur pouvoir pour que l’Union Africaine au lieu d’intégrer l’Afrique et d’en faire une aire géopolitique maitrisée par une vision endogène, la paralyse plutôt en conservant ces frontières et en en faisant une de ses bases les plus fortes.

Ces territoires n’étant pas le fait du peuple noir, il est évident que celui-ci ne les maîtrise pas et ne les maîtrisera pas. Ainsi, ces territoires seront-ils toujours l’objet de modelage, de remodelage, de reconfiguration, de partage et de repartage en fonction des circonstances et des intérêts de leurs fabricateurs. Le fait même que cette Union Africaine soit paraplégique devant le morcellement du Mali et soit réduite à demander une intervention des fauteurs de trouble reconvertis en pompiers montre bien qu’elle ne maîtrise rien et qu’elle ne fait que gérer une boutique d’Etats dont la gestation, l’accouchement et l’acte de naissance sont le fait des autres.

En célébrant une telle Union Africaine qui désunit le continent au lieu de le réunir, qui l’installe dans la faiblesse au lieu de le renforcer, on a donné la clé de la recolonisation. Il en sera ainsi jusqu’au jour où le désordre africain auquel on a conféré le titre de l’ordre établi sera renversé et l’Afrique reconstruite à l’aune de son histoire, des ses valeurs et de ses intérêts.
La balle est donc dans notre camp.

NB : Dans un billet intitulé : Après l’Afghanistan, le Mali, Jacque Attali demande une guerre au Mali. Dans son texte publié le 28 mai 2012, Jacque Attali dit : « il faudra une action militaire sur le terrain, avec un appui logistique à distance, des moyens d’observation, des drones et une capacité d’encadrement stratégique... » Cette guerre ne pouvant être menée ni par la CEDEAO, ni par l’Union Africaine, l’Europe, selon les termes mêmes d’Attali, « devrait évidemment être unie et se mettre en situation de décider et d’agir par le biais de l’ONU ou de l’OTAN ».

Komla KPOGLI

11 juin 2012

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« On lira ci-dessous la position du Français Attali qui exprime de façon très ramassée la propagande des »intellectuels« sociaux-démocrates qui justifient avec des arguments hypocrites les agressions impérialistes dans le monde pour asservir les peuples, s’emparer de leurs richesses et repartager le monde entre brigands criminels d’Europe et d’Amérique. Les propos social-impérialistes d’Attali nous rappellent les guerres de conquêtes menées au nom de la fameuse »mission civilisatrice« de la France, dont les peuples africains ont eu à goûter les »bienfaits« avec ses enfumades, ses massacres, l’expropriation des tribus, son Code de l’Indigénat et son Code Noir, le racisme comme méthode de division des exploitées et des opprimés, ses deux collèges, ses élections truquées, ses opérations »Jumelles« , la torture et ses »batailles d’Alger", etc.

Alger républicain

31.07.12

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Après l’Afghanistan, le Mali

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Par Jacques Attali

28 mai 2012

La situation du Mali nous concerne au premier plan. Cet empire fondé au 13e siècle, berceau de mille cultures, dont celle des Dogons, est aujourd’hui un pays coupé en deux : au Sud, un gouvernement provisoire terrorisé par des militaires qui parcourent les rues, envahissent les palais nationaux et menacent les passagers aux aéroports. Au Nord, l’Azawad, un territoire très vaste et magnifique, disputé par les terroristes de l’AQMI et des indépendantistes laïcs targuis, qui viennent de s’unir à des islamistes maliens, proclamant l’indépendance d’un « État Islamique de l’Azawad ».

Au total, un pays qui pourrait paraître sans importance, perdu au milieu de nulle part, sans ressources naturelles ni population. En réalité, un problème qui pourrait devenir beaucoup plus important pour notre sécurité que ne l’était, et ne l’est encore, l’Afghanistan.

D’abord parce que nous ne pouvons pas rester indifférents devant la catastrophe humanitaire qui s’y annonce.

Ensuite encore parce que ce pays devient le point de rencontre de forces maléfiques venues du monde entier : des armes venant de Libye (on a perdu trace de 10 000 missiles sol-air), des trafiquants de drogue venant d’Amérique latine (passant par la Guinée Bissau, le Nigeria et d’autres pays, et remontant vers l’Europe par d’innombrables aéroports clandestins).

Là comme en Colombie, on assiste à une collusion entre narcotrafiquants et militants politiques extrémistes. Avec, cette fois, en plus, un fondamentalisme religieux.

Ensuite encore parce que cette sécession peut déstabiliser tous les autres pays de la région, de la Mauritanie au Tchad, de l’Algérie au Sénégal, du Nigeria à la Libye.

Enfin, parce que cette région peut devenir une base arrière de formation de terroristes et de kamikazes, qui viendront s’attaquer aux intérêts occidentaux un peu partout dans la région ; et même, par de multiples moyens de passage, en Europe. Ils ne sont encore que quelques centaines ; si rien n’est fait, ils seront bientôt plusieurs milliers, venus du Pakistan, d’Indonésie et d’Amérique Latine. Et les gisements d’uranium du Niger, essentiels à la France, ne sont pas loin.

Les médiations en cours, sous la direction du Burkina Faso, semblent s’enliser.
Il faut donc agir avant que ne se cristallise au Mali un bastion inexpugnable du terrorisme international. Au Sud, pour redonner aux autorités civiles les moyens de décider sans peur, de rétablir la sécurité, de restructurer l’appareil militaire et de faire redémarrer l’activité économique. Au Nord, pour mettre fin à cette sécession, il faudra une action militaire sur le terrain, avec un appui logistique à distance, des moyens d’observation, des drones et une capacité d’encadrement stratégique.

Qui peut faire tout cela ? Évidemment pas le gouvernement malien tout seul, qui n’a ni armes, ni autorité. Pas non plus la CEDEAO, qui n’a pas les moyens militaires suffisant pour assurer l’ensemble de l’action nécessaire et qui ne peut même pas espérer en recevoir la demande du gouvernement malien, sous influence de forces incertaines. Pas non plus l’OUA ; en tout cas pas seule.

Alors qui ? L’ONU ? L’OTAN ? La question va se poser très vite. Là encore, l’Europe devrait évidemment être unie et se mettre en situation de décider et d’agir. Elle ne l’est pas. Or, si les médiations actuelles échouent, il sera bientôt nécessaire de réfléchir à mettre en place une coalition du type de celle qui a fonctionné en Afghanistan. Avant qu’un équivalent du 11 septembre 2001 ne vienne l’imposer.