Rahmat rabbi pour les riches patrons des cliniques privées

mercredi 21 décembre 2016
par  Alger républicain

Du matériel médical américain financé par les banques algériennes a été installé par un privé algérien. Un aréopage gouvernemental a tenu à assister, aussi ébahi qu’admiratif, à l’ouverture sous une forêt de caméras d’un centre de cancérologie dans la nouvelle ville mythique de Sidi Abdallah. L’illustre médecin qui a fait son chemin depuis l’indépendance grâce aux sacrifices des Algériens de condition modeste, qu’il cherche aujourd’hui à rançonner, a construit ses locaux … Ce fut un grand événement …

Plusieurs ministres de la République algérienne quatre au total, (mais oui, quatre !), ont rehaussé de leur présence ce spectacle de la banalisation des grosses cliniques privées pour riches. Un spectacle émouvant à la veille du débat à l’APN du projet de nouvelle loi sur la santé qui va enterrer le secteur public hospitalier sous les discours à la gloire de la complémentarité public-privé. Quatre ministres dont celui de l’Habitat qui était venu distribuer en passant les clés des logements de l’AADL, accompagné du ministre des Transports et de Madame la ministre de l’Education nationale.

Nos valeureux ministres étaient là pour l’inauguration de cette merveille technologique surgie de rien grâce à l’appropriation de l’argent du pétrole par une nouvelle caste. Car monsieur le professeur et propriétaire, « très travailleur », a su bien utiliser les crédits bancaires gracieusement concédés par les tenants du Douro pour sa première clinique de radiologie de Kouba. Curieusement les équipements du secteur public sont souvent en panne et, autre coïncidence purement fortuite, les malades sont orientés par les chefs de service des hôpitaux vers les cliniques où ils détiennent de gros paquets d’actions. Les cliniques privées sous transfusion d’argent public abondant et gratuit, arborent des joues roses. La bénédiction de Dieu comme diraient les faux dévots qui nous expliquent, sentences soi-disant religieuses à l’appui, que Dieu dispense la fortune à qui il veut.

Heureux événement que la naissance de cette clinique. Le plus comblé d’entre tous est le président directeur général de la société américaine Accuray. C’est lui le fournisseur du matériel. Rien d’étonnant s’il vante sa marchandise en nous décernant presque un bon point pour l’avoir choisie « L’Algérie est le premier pays africain à avoir acquis cette technologie » [1].

Et pour conclure quoi de mieux pour « réformer » le pays qu’une bonne leçon de gestion et d’économie de la part du pdg :

« Nos machines sont adaptées au pouvoir du remboursement dans tous les pays où nous sommes présents. […] C’est une question de business-modèle. Cela se fait sur le nombre de patients et un nombre d’années. Il y a des coûts fixes, plus on fait de patients plus le prix baisse. » [2]

Il ne dit pas que les propriétaires de la clinique vont « soigner des malades ». Vous avez bien lu, on « fait des patients ». Quand d’autres disent on fait des patates pour gagner de l’argent. On fait du fric en « faisant des patients » quoi de mal ! C’est la loi sacrée du « business ».

Et c’est le directeur général de ce nouveau centre new-look, un monsieur Bouchouareb... non pas le ministre... qui nous apprend qu’un réseau national de médecins référents va être mis en place dans les régions. Ainsi :


« une montée de température, par exemple, pourra être prise en charge par le médecin référent sans que le patient n’ait à se déplacer de son lieu de résidence qui peut être à des kilomètres de notre centre. Le médecin référent peut donc prendre en charge sur place ou orienter le patient vers une consultation spécialisée. » [3]

C’est formidable ! Quelqu’un de Reggane, pourra, grâce à ce système révolutionnaire, avoir la clim à la maison et ne pas monter jusqu’à Alger en payant une fortune.

Notre ministre de la Santé, qui connaît bien, si bien son secteur qu’il a placé sur un piédestal le fameux faux docteur Zaïbet, inventeur de Rahmat Rabbi, ces comprimés miraculeux qui, pour ceux qui ont eu la chance de ne pas le savoir, suppriment en quelques prises le diabète, et radicalement, notre ministre donc en a profité pour dévoiler, avec une admirable profondeur d’esprit, la philosophie du régime en matière de prise en charge sociale des malades. Répondant à la question de savoir pourquoi la Sécurité sociale ne s’engage pas à prendre en charge ces soins de pointe et réduire les transferts à l’étranger il nous a rassurés :

« Nous sommes sur la bonne voie et nous ne faisons aucune différence entre les deux secteurs (public ou privé). Au contraire ils sont complémentaires. Les dispositions de la loi sanitaire prévoient justement cela et nous trouverons des mécanismes qui permettront aux patients de choisir de se faire traiter là où ils veulent. » [4]

Ou bien, là où ils le peuvent … c’est ce que nous pouvons ajouter, nous qui ne comprenons pas grand-chose à la santé d’envergure mais qui sommes juste condamnés à mourir lorsque nous n’avons pas assez d’argent.

Cette déclaration nous emplit d’espoir. Nous sommes enfin en sécurité pour notre santé. Le ministre de la Santé doit être sûrement au courant des prix des actes médicaux : radios, scanners, échographies, analyses biologiques, consultations diverses, actes chirurgicaux, etc. Puisqu’il le dit, il faut le croire… Les deux secteurs sont « complémentaires » en effet.

Il y a seulement lieu de se demander si ce haut responsable avait en tête au moment de sa déclaration, le montant du salaire d’un petit travailleur. Il convient juste, pour l’exemple, qu’il se rappelle que le SNMG est de 18.000 DA et qu’il n’oublie pas que dans les cliniques privées nous payons tout, même quand nous leur faisons don de notre sang. Il doit certainement le savoir.

Comment doit faire alors le prolétaire, ce prolétaire dont il est bon de rappeler et on ne le dira jamais assez, que c’est lui qui finance la Sécurité sociale car il en paie sa quote-part avant même que son salaire ne soit dans sa poche.

Ce prolétaire qui traverse la moitié du pays pour arriver dans une grande ville ou dans la capitale afin de passer un examen, comment doit-il faire pour régler la note ?
Il le sait avant de payer. La CNAS ne lui remboursera quasiment rien car l’argent qu’il a donné pour financer sa santé est utilisé à d’autres usages.

Il va de nouveau débourser pour payer le centre privé de radiologie, celui de chirurgie ou encore un autre service, et souvent il devra attendre parfois des journées entières avant de pouvoir faire son examen et repartir chez lui en train ou car. La note sera très, très lourde pour ses maigres ressources. Elle sera très lourde pour sa famille et s’il reçoit une ordonnance, il choisira quel médicament moins couteux il achètera car il ne pourra les payer tous.

Mais notre ministre de la Santé, lui qui a de la suite dans les idées et les bonnes réponses à tout, propose à ce sujet au zaouali qui veut se soigner mais qui n’en a pas les moyens et qui n’est pas remboursé même s’il finance la sécu :

« Allez vers les assurances privées, trouvez des solutions alternatives à ce que le citoyen puisse bénéficier des soins là où il veut avec des solutions combinées ; en somme il faut oser et aller de l’avant pour réaliser les objectifs tracés » [5]

Osez souscrire, petites gens, une assurance santé auprès d’Axa ou d’Alliances Assurances pour que vos dépenses de santé soient remboursées dans le cadre des solutions alternatives et combinées que nous fait miroiter monsieur le ministre. Mais au préalable ne déclarez surtout pas aux assureurs privés que vous êtes atteints de maladies chroniques ou congénitales. Vous comprendrez plus tard pourquoi, quand les « réformes » auront bien avancé, pour votre bien.

Allez-y, quant à vous, Messieurs du secteur privé, complétez selon votre méthode habituelle le secteur public pour continuer à vous remplir les poches. Transformez en source de richesse personnelle sonnante et trébuchante les crédits publics à taux zéro et à intérêts différés, les impôts dont vous serez exonérés. Faites donc fructifier l’expérience des médecins acquise dans les hôpitaux publics. Faites donc des opérations à 600 000 DA et n’en déclarez pas plus de la moitié. Pas de risque que le fisc vienne fourrer son nez dans vos affaires chirurgicales et vous demander des comptes.

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Ali Sayad & Behloul Ouafi
21.12.16


[1In El Watan du 18.12.16 par Djamila Kourta.

[2In El Watan du 18.12.16 par Djamila Kourta.

[3In El Watan du 18.12.16 par Djamila Kourta.

[4In El Watan du 18.12.16 par Djamila Kourta.

[5in El Moudjahid 20.12.16 par M. Mendaci