Notre ami Noureddine Saadi nous a quittés, victime de la maladie, en pleine force intellectuelle

lundi 18 décembre 2017
par  Alger republicain

« Nono » comme on l’appelait a adhéré au PAGS à sa création en 1966. En tant qu’enseignant il anima le Syndicat national de l’Enseignement supérieur, affilié à l’UGTA. Lors du congrès de 1977, il s’éleva contre la désignation d’en haut des responsables nationaux de l’UGTA. Il savait pourtant que le dosage opéré dans les coulisses l’avait déjà destiné à faire partie du secrétariat national de la centrale syndicale, du moins si l’on devait croire les assurances de Yahiaoui. Ce dernier était chargé de rénover l’UGTA en faisant appel à de nouvelles forces, y compris par des éléments fichés comme « pagsistes », pour la débarrasser par des astuces de procédure de son aile hostile aux « options socialistes ». Une pratique illusoire qui tendait à remplacer la lutte menée à la base par les travailleurs par les décisions unilatérales dictées d’en haut. La pratique dénoncée par Nono s’inscrivait dans les traditions imposées en pleine guerre de libération par le FLN au nom de l’unité face à l’ennemi colonialiste et perpétuée après l’indépendance.
L’intervention de Nono eut pour effet de provoquer un grand débat au sein des syndicalistes. Elle révéla l’existence d’un grand potentiel révolutionnaire au sein de l’UGTA que les éléments droitiers du FLN et du régime étouffaient par tous les moyens. Ces éléments prirent leur revanche en 1980 avec l’institution de l’article 120 sous l’impulsion de Chadli Bendjeddid.

En 1989, dans le contexte international de démoralisation et de doutes créé par la montée de la contre-révolution mondiale, Nono perdit ses convictions marxistes. Il se retira du PAGS. Mais, contrairement aux renégats qui brillèrent par la suite par leur hostilité au socialisme, il ne chercha pas de faux prétextes pour imputer sa décision à des fautes de son parti. Il ne sombra jamais dans « l’autophobie communiste », expression chargée de sens profond construite par le philosophe marxiste italien Dominico Lesurdo. 

Nono maintint de bons rapports personnels avec les communistes. Vis-à-vis d’eux son seul faux pas fut sa pique équivoque, dans le quotidien Le Matin, contre de vieux dirigeants communistes algériens qu’il compara aux soldats japonais oubliés dans une île perdue et qui ne savaient pas que la guerre était définitivement perdue. Une comparaison qui traduisait chez lui à la fois son désarroi philosophique et un respect pour ces vétérans du communisme algérien demeurés fidèles à leurs convictions en dépit du coup que le socialisme venait de recevoir.

Lors de la bataille menée en 2005 par Alger républicain - seul journal à s’opposer à la remise en cause des décisions du 24 février 1971 - contre la loi Khelil de dénationalisation des hydrocarbures, Nono exprima son soutien au journal. Il disait autour de lui et en toute humilité que la position juste d’Alger républicain sur cette question l’avait convaincu qu’il fallait défendre son existence et lui procurer les moyens de sa publication régulière.
Il faut rappeler que Nono avait présidé en 1989 le rassemblement de la salle Mouggar pour la reparution d’Alger républicain. 

Nous laissons à Arezki Metref le soin de compléter de façon éloquente ce succinct rappel de l’engagement de Nono. C’est le meilleur hommage que l’on puisse lui rendre.

L’extrait qui suit est repris du Soir d’Algérie du 17 décembre *.

Profondément attristé par la disparition de Noureddine Saadi, Alger républicain adresse ses condoléances à sa famille.
Nono sera inhumé lundi 18 décembre à 11h30, au cimetière musulman de Thiais en France.

AR

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Monsieur Noureddine Saâdi, Respect !

Par Arezki Metref

"Noureddine Saâdi est décédé jeudi dernier à l’âge de 73 ans. Il venait de publier un roman, Boulevard de l’Abîme, référence à la ville de Constantine où il naquit en 1944.
Noureddine Saâdi était une brillante figure de la vie intellectuelle et culturelle algérienne depuis de nombreuses années. Militant politique au sein du PAGS, syndicaliste, c’était un intellectuel de gauche qui a été de tous les combats pour la démocratie, pour les droits de l’Homme et les droits culturels. Il a été un des initiateurs du Comité contre la torture lors des événements d’Octobre 1988. Il a été un membre important du Comité pour la vérité sur la mort de Tahar Djaout en 1993. Exilé à partir de 1993, il s’est trouvé une autre nouvelle patrie : la littérature. C’est une lumière qui s’éteint...
Il y a quinze jours, cette chronique était consacrée à son dernier roman sous le titre : Les obsessions romanesques de Noureddine Saâdi. Exceptionnellement, nous la republions ici.
On ne prête qu’aux riches et il faut qu’on soit la cible d’un critique sérial pour attraper la lumière. Pourtant, il y a des écrivains qui font de l’excellent boulot dans leur coin, tranquilles, ou alors préoccupés seulement par la littérature, cette maîtresse exigeante et ingrate qui, elle aussi, comme tous les autres, ne prête qu’aux riches.
Tout ça pour causer du dernier roman de Noureddine Saâdi, Boulevard de l’Abîme (Barzakh).

Devant le présenter récemment à l’Association de culture berbère (ACB) à Paris, j’ai repris une de ses phrases-fétiches : « Ici, il n’est plus à présenter. » Pourtant, pour davantage comprendre Boulevard de l’Abîme, il faut disposer de quelques éléments de biographie.
Né à Constantine, où il existe réellement un boulevard de l’Abîme, Noureddine Saâdi a fait ses études à Alger où il devient professeur de droit. En raison de ses engagements et de sa visibilité politique progressiste, il doit quitter l’Algérie en 1994. Jusqu’en 2015, il enseignait le droit à l’Université d’Artois, en France.
L’exil nous a donné un écrivain puisque Noureddine Saâdi publie en 1996 Dieu-Le-Fit (Albin Michel), son premier roman. D’autres romans suivront : La Maison de Lumière (Albin Michel) en 2000, La Nuit des origines (Albin Michel) en 2005 et, enfin, ce Boulevard de l’Abîme (Barzakh) en 2017.
Dans le registre strictement littéraire, il faut ajouter un recueil de nouvelles, Il n’y a pas d’os dans la langue (Barzakh) en 2008. Sans compter la participation à de nombreux ouvrages collectifs.

Essayiste, il a publié en 1991 Femme et Loi en Algérie (éditions de l’Université des Nations-Unies), Sexe, droit et reproduction (L’Harmattan, en collaboration avec Nadir Marouf) en 1998.
En 1999, il a coécrit avec Malika Matoub, Matoub Lounès (Albin Michel). En 2013, il publie Houria Aïchi, dame de l’Aurès (Chihab).
Grand amateur d’art et ami des plasticiens, il est l’auteur d’ouvrages d’art : Rachid Koreïchi (Actes Sud, en collaboration avec Jean-Louis Pradel) publié en 1998 et en 2003, Denis Martinez, peintre algérien (Barzakh et Le Bec en l’Air).
Noureddine Saâdi est un écrivain de la maturité. Il a épargné aux lecteurs les habituels balbutiements de jeunesse pour donner avec Dieu-Le-Fit un premier roman remarquablement abouti. D’ailleurs, le perfectionnisme de l’auteur dans cette véritable œuvre d’art se dresse comme un obstacle pour croire qu’il s’agit d’un premier roman. On sent que ce roman est une idée – et même un univers — qui a cheminé longtemps, se densifiant au niveau du sens, et se fluidifiant s’agissant du style, avant d’exister en tant qu’histoire.
Dans ce roman, Noureddine Saâdi a d’une certaine manière jeté les fondations de son œuvre ultérieure. S’y condensent déjà les « obsessions », pour emprunter le terme à Kateb Yacine pour qui un écrivain est l’homme des mêmes obsessions qui se déclinent de façon à chaque fois différente d’un livre à l’autre, qui se retrouveront dans tous ses romans … "

url de l’article intégral : http://www.lesoirdalgerie.com/artic...
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Noureddine Saadi, Marx et le droit

Pour les étudiants en droit que nous étions à la rentrée de Septembre 1972 à Ben Aknoun, la rencontre avec Noureddine Saadi a été souvent décisive car une véritable césure allait se faire entre deux catégories de juristes.?
D’une part ceux qui s’apprêtaient à apprendre par cœur les différents codes, à se familiariser au mieux avec les raisonnements des nombreuses jurisprudences et se préparer ainsi aux postures professionnelles classiques (fonctionnaires, juristes d’entreprise, avocats, notaires… etc).?Beaucoup d’enseignants de l’époque (Bout, Salah-Bey, Benmelha, Fenaux, Terki, Berchiche) restituaient une formation juridique classique dans laquelle le droit n’était qu’une mécanique de normes à connaître, sans impact et sans effet sur les sociétés qui les produisaient.?

D’autre part, ceux qui, grâce à Noureddine Saadi (et d’autres évidemment) allaient rapidement comprendre que le droit n’est que l’expression normative des rapports socio-économiques qui structurent ou définissent une société et parfois engagent ou hypothèquent son avenir.?

Loin de la vision classique, l’enseignement de Noureddine Saadi nous faisait saisir l’essentiel, à savoir que la règle de droit, depuis sa promulgation jusqu’à son exécution, est toujours frappée du sceau des intérêts des classes sociales dominantes.

Nous apprenions, grâce à lui, que le droit, sous quelque système que ce soit, ne pouvait être appréhendé comme étranger aux multiples processus de main mise déployés par l’Etat sur la société et ses agents, que le droit irradie le monde économique, politique ou culturel en tant que forme du rapport social global. C’est ce qui nous permettait d’aller perturber ou revisiter l’ordonnancement de notions supposées consensuelles comme l’intérêt général que nous répétaient inlassablement les civilistes et les pénalistes.

En droit du travail, nous disait-il, le droit installe le travailleur sur un pied d’égalité virtuelle avec ses patrons et occulte ainsi l’extorsion de la plus-value.

Nous découvrions avec lui les travaux de B. Edelman et sa fameuse citation : « Ce qui est fondamental, c’est que l’on fait parler au prolétariat une langue qui n’est pas la sienne : le droit ».?

C’est à l’occasion du débat sur le premier projet de Code de la Famille en 1974 que les contingences socio-politiques, les orientations fondamentales du pays vinrent rappeler à tous que la règle de droit n’était pas une simple alchimie législative mais bien une des formes de la lutte des classes.?

Cette grille de lecture sociologique ou marxiste du droit nous était particulièrement nécessaire puisque notre arsenal législatif était soit lacunaire, soit directement issu du droit français et, contrairement à l’enseignement qui consistait à exposer le droit dans la froideur de ses codes, nous pouvions déjà nous poser une question essentielle : quel type de droit pour quel type de société ??

Noureddine Saadi avait été choisi par Michel Miaille pour prolonger ce cours essentiel en première année qui était en réalité une Introduction Critique au Droit, amenant aux juristes des éclairages sociologiques, historiques et philosophiques malgré les attaques répétées de ceux qui criaient haut et fort, et surtout à tort, que les juristes n’avaient nullement besoin de connaître Ibn Khaldoun, Durkheim ou Marx.?

Quelques années plus tard, ils finiront par avoir gain de cause en replongeant l’enseignement du droit dans sa tiédeur ancestrale, l’arabisation effrénée finissant par éloigner toute perspective de repenser le droit comme une science humaine.

Je sais ce que je dois à l’enseignement de Noureddine Saadi qui restera éternellement la double figure du juriste et du penseur, infatigable défricheur de questions centrales, bien au-delà du droit, comme la place de l’art et de la littérature, le rôle de la femme ou la liberté syndicale dans une société bridée par les archaïsmes des uns et le mercantilisme des autres.

Bachir Dahak
Juriste par effraction


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Evocation de Noureddine Sâadi-Rabah

Omar BESSAOUD

Etant absent de France, je laisse à Youcef le soin de présenter cette courte évocation lors de l’inhumation de Nono.

En premier lieu, je voudrai dire que Nono fut pour moi une référence de l’intellectuel, d’une grande culture – et ses romans en portent la trace - défenseur des grandes valeurs, puisant dans le marxisme les raisons de son engagement dans les luttes aux côtés de la classe ouvrière algérienne, la paysannerie pauvre et des forces anti impérialistes mondiales.

Ses engagements personnels scandent aussi l’histoire des engagements de notre génération.

Nono fut un militant exemplaire dans le mouvement national étudiant. C’est à ce titre que je l’ai connu en 1968-69, très précisément lorsqu’il fut membre du comité de section de l’UNEA chargé « des tâches d’édification nationale et de la lutte anti-impérialiste » : j’occupais les mêmes fonctions au sein de la section UNEA d’Oran et nous tentions lors de rencontres régulières qui se tenaient à Alger, de coordonner nos actions).

Nous avons subi ensemble la répression de 1970-71 ... C’est au Centre de sélection et d’orientation que nous allons nous retrouver en septembre 1971 pour être incorporés de force au service national après quelques mois de prison ... Fériel venait de naître et Djamila l’a présenté au CSO aux « copains ».

Il fut un grand secrétaire général du Syndicat National de l’Enseignement Supérieur qu’il anima avec une grande intelligence. Je peux témoigner qu’il se dépensa sans mesure – des fois jusqu’à l’épuisement - et fit du syndicat une organisation forte et représentative. J’ai le souvenir qu’il géra en tant que SG du SNES avec un grand sens des responsabilités le printemps berbère.
L’AG organisée à l’Université de Tizi Ouzou fut historique. Elle fut un moment fort d’un dialogue noué avec les responsables du secteur (Bererhi) assurant ainsi une gestion pacifique de la crise.

Il a été de tous les combats pour la démocratie à la fin des années 80. Il a mis ses compétences et son intelligence au service des femmes (et de leurs luttes contre le code de la famille). Il a été de ceux qui firent par exemple connaitre l’association créée par Tami Tidafi pour protéger les filles mères et adopter dans des familles d’accueil les enfants de la pouponnière de Staoueli. Il s’est fortement engagé dans le comité de lutte contre la torture. Il a initié et rédigé des pétitions pour la tolérance, animé des comités de soutien (Djaout …), des cercles de réflexions (autour de Miloud Brahimi, premier président de la ligue des droits de l’homme).

Membre fondateur des amis d’Alger républicain, je repense aujourd’hui à sa joie et à son émotion lors de la sortie du premier numéro, brandissant au milieu de la nuit comme un trophée de guerre, la première épreuve sortie des presses.

Il fut tout au long de cette période et jusqu’à la tenue du premier et dernier congrès un militant de premier plan au sein du PAGS. Je peux dire la fierté d’avoir appartenu -au cours de la courte période qui nous sépare de la légalisation au premier congrès- à la même cellule qui comptait R. Boudjedra, deux camarades disparus –Athmani son compagnon de l’UNEA et Salah Chouaki – le Dr Chakou, Dalila et moi-même. Il nous faisait partager au cours des réunions de la cellule ses analyses qui alimentaient des discussions riches, passionnées et combien stimulantes …

Je ne peux enfin oublier l’universitaire accompli et l’homme sensible, émotif, amical, attentif aux autres et d’une gentillesse sans bornes.

Je sais que ses enfants lui ressemblent. Je les ai vu naitre, grandir avec mes enfants jusqu’à cette période d’exil qui nous a séparés les uns des autres mais sans jamais avoir effacé l ‘affection que nous avions les uns vis à vis des autres. Je pense fort à Djamila, à Fériel, Sarah et Qaïs. Je partage leur douleur. Nono n’aura pas vécu comme le disait Hikmet comme un simple locataire. Il restera dans nos mémoires.

Montpellier, le 16 décembre 2017