On construit au Nigéria une île destinée aux riches

dimanche 27 avril 2014

Au Nigéria, on voit les choses en grand, ébloui probablement par les projets pharaoniques de Dubaï. On est ainsi en train de construire au large de Lagos une presqu’île artificielle de dix kilomètres carrés d’où surgira une ville nouvelle, croisement étrange d’un Disneyland et d’une City. Appelé à devenir le nouveau centre financier de l’Afrique de l’ouest, ce projet fou, baptisé Eko Atlantic, accueillera également de nombreux appartements de luxe. « Le futur Hong-Kong de l’Afrique », selon le directeur de la banque nationale du Nigeria, est présenté sous les traits d’une ville durable et économe en énergie. Ce qui est loin d’être un standard au Nigéria…

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Lagos est une capitale chaotique dans laquelle s’agglutinent quelque treize millions de personnes dans des conditions pour le moins précaires. Des conditions qui s’étendent à l’ensemble du pays… En 2011, 63 % de la population nigériane vivait avec moins de un dollar par jour. S’ajoutent à ces conditions de dénuement extrême les conflits religieux : depuis 1999, les violences entre chrétiens et musulmans ont causé la mort de plus de 14.000 personnes. Au niveau de l’environnement, la situation n’est pas plus brillante : depuis les années cinquante, les entreprises pétrolières polluent le delta du Niger, privant les populations de pêcheurs et d’agriculteurs de leurs moyens de subsistance.

Le projet pose bien évidemment question. Le fait qu’Eko Atlantic sera administré par le secteur privé laisse peu d’espoirs aux habitants des bidonvilles de voir leur situation améliorée. Les conditions d’accès à la propriété ou à la location devraient au contraire aggraver la ségrégation sociale. Pis, il ne serait pas écologiquement viable, contrairement aux annonces qui ont été faites jusque-là : « les milliers de personnes qui vivent près du site s’attendent à ce que la ville entraîne leur déplacement plutôt que la prospérité », assure le défenseur de l’environnement Nnimmo Bassey.
« Eko Atlantic est contraire à tout ce qu’il fallait faire pour lutter contre le changement climatique et l’épuisement des ressources ».
Pour le Guardian, il s’agit rien moins que d’un pas vers l’« apartheid climatique ».

Derrière ce projet inauguré en son temps par Bill Clinton, on trouve deux frères : Gilbert et Ronald Chagoury. Originaires de Miziara, dans le nord du Liban, ils ont grandi au Nigéria où leurs parents avaient émigré dans les années quarante. Ils ont gardé depuis des liens très étroits avec le pays du Cèdre. Gilbert est à la tête d’une fortune estimée à 4,2 milliards de dollars, ce qui le classe au septième rang des hommes les plus riches du continent noir. Il a été honoré à plusieurs reprises par le Vatican pour ses contributions en faveur de la communauté chrétienne. Mais il a surtout été au milieu des années quatre-vingt-dix un très proche conseiller de la dictature nigériane et de son chef aujourd’hui disparu Sani Abacha, qui a détourné et placé une fortune colossale sur des comptes à l’étranger.

La polémique commence sérieusement à enfler. Martin Lukacs, du Guardian, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, Eko Atlantic est « une insulte architecturale aux conditions de vie des Nigérians ». Ce qui ne manquera pas d’étonner, c’est comment les indigents du Nigeria peuvent encore laisser prospérer une clique d’hommes corrompus qui vivent à des années lumières des préoccupations de leurs compatriotes. En France, nos dirigeants se parent encore d’un discours de circonstance. Mais la situation est-elle si différente sur le fond ? Poser la question, c’est malheureusement déjà y répondre.

Capitaine Martin

24 avril 2014