Parcours d’un communiste algerien de Constantine

mardi 19 mars 2013

William Sportisse . . William Sportisse

Œuvre de Mustapha Boutadjine

Voici un livre passionnant. « Le Camp des Oliviers » de William Sportisse couvre la période de 1923 à 1994. Depuis « Mémoire algérienne » d’Henri Alleg, je n’avais rien lu d’aussi fort sur l’action du Parti communiste Algérien. Une action le plus souvent sous-estimée, quand elle n’est pas carrément occultée par certains chroniqueurs.

La force et l’intérêt de cet ouvrage tiennent bien sûr à la personnalité de l’auteur, mais également à la conception qui a présidé à sa rédaction. Il s’agit d’un livre d’entretiens entre William Sportisse et un historien, Pierre-Jean Le Foll-Luciani. Cette confrontation de la mémoire et des archives écrites, officielles ou privées, lui confère une qualité historique en même temps qu’une grande charge affective. Les souvenirs personnels de William Sportisse donnent vie à la matière aride des archives.

Pas moins de quatre vingt-trois pages sont consacrées à l’enfance et à l’adolescence de celui qui deviendra un combattant de l’indépendance algérienne et un dirigeant national du PCA. C’est l’enfance d’un petit juif, né dans une famille nombreuse de condition modeste, de culture judéo-arabe, qui parle couramment l’arabe à la maison et vit dans un quartier de Constantine peuplé d’européens très imprégnés de racisme anti-juif.

Ce témoignage est d’une grande valeur sur les relations entre Arabes, Juifs et Européens. La famille Sportisse était plus proche des Arabes que des Européens, au point que le grand-père avait été réticent lors de la promulgation du décret Crémieux. Il craignait d’y perdre son identité algérienne.

William va être marqué par l’exemple de son frère Lucien, son aîné de dix-huit ans, instituteur, militant de la SFIO qu’il quittera pour le PCA. Lucien Sportisse, un des « pionniers des luttes communistes algériennes », était la terreur de l’administration coloniale. Membre d’un réseau de résistance à Lyon, pendant la 2e guerre mondiale, il sera assassiné en 1944 par un agent de la gestapo. William l’a peu connu, mais a beaucoup entendu parler de lui. Son autre frère Bernard, lui aussi instituteur (entre-autres à Akbou…) et communiste qui sera arrêté en Algérie en 1941, aura sur lui une influence plus directe.

En juin 1940, au lendemain de la signature de l’armistice par la France, William entre en clandestinité. Il a dix-sept ans. Tout en poursuivant ses études, il assure la liaison entre des dirigeants du PCA à Constantine, transporte des tracts … Il est exclu du lycée en 1941, au titre des lois vichystes antijuives.

Contrairement à ce qui a été parfois affirmé, les Musulmans ne se réjouissent pas des lois contre les Juifs et ils seront nombreux à Constantine à les aider. Dès novembre 1940, le Parti Communiste Algérien clandestin se prononce dans le premier numéro de La lutte sociale, pour « l’indépendance nationale de l’Algérie ». C’est la ligne du Komintern, qu’il applique depuis fin 1939, mais à partir d’août 1941, il infléchit son orientation et William confirme que « la lutte contre le fascisme a été considérée comme primordiale au détriment de la question coloniale… »

Le PCA rectifiera cette ligne qu’il jugera erronée. Après le débarquement allié en Algérie en 1942, William Sportisse est mobilisé dans l’armée française, envoyé en Mauritanie, puis en France. Il participe en avril 1945, à la libération de la base sous-marine de la Pointe de Grave. Il sera démobilisé en septembre 1945 à Alger. Il avait appris à Marseille, avant son retour, l’horrible répression qui s’était abattue sur le Constantinois le 8 mai 1945. « Les massacres du 8 mai 1945 venaient ruiner […] l’analyse [du PCA, selon laquelle]… « La Libération » et la construction d’une « France nouvelle » seraient un progrès pour les colonisés. »

Pour sa part, l’Humanité le journal du PCF voyait dans les manifestations nationalistes du 8 mai 1945, la main des nazis, ce qui était une erreur que le PCF reconnaîtra. Pour William, cette répression va, par contre, être un accélérateur de son évolution politique : « Ce qui s’était produit [lui était] insupportable. » et lui fera définitivement condamner la politique dite « d’assimilation ». Il va dès lors tracer son sillon qui sera, sa vie durant, d’une remarquable rectitude. A partir de 1945, à Constantine, ensuite à Alger, dirigeant des Jeunesses Communistes puis de l’Union de la Jeunesse Démocratique Algérienne qui regroupait des jeunes nationalistes et des jeunes communistes.

Élu membre du comité central du PCA en avril 1947 et membre suppléant du bureau politique fin 1947 à 23 ans, il est de ceux qui plaident pour « un renforcement de la politique nationale » du PCA. A la demande du parti, il revient comme permanent à Constantine où il oriente l’activité vers les catégories les plus pauvres et les fellahs. Il y tisse un réseau d’amitiés avec des militants nationalistes du PPA-MTLD, de l’UDMA et des Oulémas. Il définit ainsi sa démarche au sujet de l’Islam : «  …les religieux nous les respections, et luttions à leurs côtés afin qu’ils puissent pratiquer en toute liberté [ce qui n’était pas le cas sous le régime colonial, ndlr]. Nous ne menions aucune propagande antireligieuse – même si c’était notre droit, pour défendre notre philosophie. », ce qui est aux antipodes des positions anticléricales de certains partis qui se prétendent laïcs, et fera déclarer au cheikh Ben Badis :
« Le communisme est le levain du peuple ».

En novembre 1953, il est chargé par les partis communistes du Maghreb, de coordonner les émissions en langue arabe de Radio-Budapest, qu’il quittera à la fin de l’année 1955 quand la Hongrie supprimera ces émissions sous la pression du gouvernement français. Ce sera ensuite la longue plongée dans la clandestinité à Constantine de 1956 à 1962 où il réussira à vivre et à lutter, sans être repéré et arrêté – ce qui est un exploit – grâce à sa vigilance, à sa capacité à modifier son apparence physique et …au dévouement de nombreux camarades et amis qui lui ont permis de changer très souvent de planques.

Les cent trente-quatre pages qu’il consacre à cette période particulièrement dangereuse nous éclairent sur la complexité de mener de front le travail politique et la lutte armée. Les liens d’amitié qu’il avait noués avant le déclenchement de l’insurrection lui seront bien utiles pour se lier au FLN-ALN. Le récit de l’aide aux maquis, des collectes de vêtements et de ravitaillement, de l’impression de tracts et de journaux du PCA, mais aussi du FLN, à sa demande, nous font vivre au niveau des réalités concrètes du terrain la mise en œuvre de la politique du Parti Communiste Algérien pour l’indépendance de l’Algérie. C’est sans doute une découverte pour certains lecteurs. Ce récit est bien sûr émaillé des noms de celles et de ceux, musulmans, chrétiens, juifs, athées, d’origine arabe, berbère ou européenne, qui ont participé à ce combat et qui, nombreux, sont morts pour que vive leur patrie algérienne.

La suite et la fin de l’ouvrage décrivent l’immense joie populaire le 19 mars 1962 ? ; les crimes de l’OAS qui tente de faire échec à l’indépendance ; les propositions et les efforts du PCA qui sera de nouveau interdit dès novembre 1962, pour consolider celle-ci et bâtir une société de justice et de liberté qui réponde aux aspirations et aux besoins des « couches populaires et, en premier lieu [des] paysans pauvres. » ; les antagonismes de classes qui alors se font jour ; le débat sur la nationalité algérienne ; le coup d’État militaire qui en 1965 renverse le Président Ahmed Ben Bella ; l’emprisonnement de nombreux ? communistes et autres démocrates ; la torture à nouveau qui n’épargnera pas Bachir Hadj Ali, le Secrétaire général du PCA . William Sportisse fut lui aussi arrêté et torturé, avant d’être déporté au bagne de Lambèse puis assigné à résidence à Tiaret.

Les Communistes algériens, avec un sens aigu des responsabilités devant leur Peuple, soutiendront malgré tout, les mesures positives décidées et mises en œuvre sous la Présidence de Houari Boumediene, nationalisations, politique agraires, etc, en dépit de la répression dont ils étaient victimes et dont ils souffraient dans leur chair.

William Sportisse a été contraint de quitter l’Algérie en 1994, en raison des menaces précises dont il fut l’objet pendant la « décennie noire », mais son cœur est resté en Algérie où il revient désormais régulièrement ; « trop vieux cependant, nous dit-il, pour s’y réinstaller. » William Sportisse, un grand patriote algérien. A 90 ans, il est toujours communiste, membre du PADS (Parti Algérien pour la Démocratie et le Socialisme).

.

Bernard DESCHAMPS,

4 mars 2013