Questions démocratiques (3)

lundi 8 août 2016
par  Alger republicain

Benhadid en liberté, Al Magharibia doit-elle s’en réjouir ?

Après dix mois passés en prison, le général à la retraite Benhadid a fini, pour le plus grand bonheur de sa famille, par être extrait de sa cellule de prison le 11 juillet denier. Chanceux pour ainsi dire il passe du statut de la « détention provisoire » à celle de la « liberté provisoire » en attendant que son procès finisse par se tenir.

Apparemment sa « chance » a tenu à l’évolution préoccupante de son état de santé. La hantise d’assumer la responsabilité de sa mort pour manque de soins aurait persuadé les autorités de le laisser rentrer chez lui. Le cri d’alarme de ses avocats et neuf demandes de mise en liberté provisoire, toutes ignorées, ont empêché le pire de se produire.
Selon ses avocats le général à la retraite était poursuivi pour « atteinte au moral et à l’image de l’armée ». Mais aussi incroyable que cela paraisse ils affirment qu’ils sont dans l’incapacité de savoir qui est à l’origine de son arrestation, le ministère de la Défense nationale n’ayant déposé aucune plainte « dans ce sens » contre lui ! (Le Soir d’Algérie du 4 juillet 2016). Un exemple d’opacité qui fait courir des frissons dans le dos du citoyen anonyme.

Le général à la retraite avait provoqué la colère des sphères dirigeantes par les propos qu’il avait tenus à la radio Emergent en septembre dernier. Il s’était attaqué avec virulence au frère du chef de l’Etat et à Gaïd Salah chef d’état-major de l’armée, gratifiés de tous les noms d’oiseau et accusés de poursuivre de sordides desseins personnels. Les avocats du général ont blâmé l’exploitation de ses propos par des politiciens engagés dans des luttes de clans.

Ce qui retient surtout l’attention n’est pas tant l’existence ou l’inexistence de motifs valables de son incarcération. Ils ne peuvent être appréciés que sous l’angle des lois particulières qui régissent l’armée dans un contexte sécuritaire extrêmement inquiétant. C’est le peu de respect pour les règles de droit fixées par la loi qui demeure inquiétant. En d’autres termes, il y aurait eu, selon un de ses avocats, Me Bourayou, usage contestable, de la détention préventive. Le général Benhadid « a passé dix mois de prison « sans aucun acte d’instruction. Durant toute cette période, il a été écouté 1 heure 30. Une hérésie puisque la détention préventive est normalement appliquée pour des besoins d’enquête. Mais de quelle enquête s’agit-il dans ce cas ? » ». Or, soutient encore son avocat, la loi sanctionne « les juges qui n’entament pas les actions d’instruction au-delà de quatre mois d’incarcération. » (Le Soir d’Algérie du 10 juillet 2016).

Sur le plan du fond les questions qui taraudent l’esprit sont ailleurs. Ce que la presse opposée au clan ou groupe de clans qui tient le pouvoir a omis de souligner c’est l’interview donné par Benhadid à la chaîne de TV intégriste Al Magharibia. L’illustre général s’est prêté de façon désinvolte, voire consciemment complaisante, aux questions de son animateur. Depuis Londres où il opère grâce à l’argent du Qatar, ce personnage défend les thèses des islamo-fascistes avec autant d’acharnement que de hargne contre leurs adversaires. Il réchauffe les pires mensonges imputant les crimes barbares des hordes du FIS à ceux qui ont barré la route à l’instauration de l’Etat théocratique. C’est donc sur les ondes de cette chaîne lancée en 2011 - en plein « printemps arabe » - que le général, répétant les ragots parvenus à ses oreilles, a réanimé en septembre 2015, le « qui-tue-qui ? ». Répondant aux voeux insistants de l’animateur, métamorphosé en procureur d’un tribunal islamique, auquel ne manquait que le sabre, le général a exprimé sa disponibilité à témoigner de ces « crimes » devant tout organisme pouvant confondre les responsables de la décennie noire. Et les responsables, suggère-t-il, sont à chercher parmi ceux qui ont pris la décision d’interrompre le processus électoral en janvier 1992. Car, a-t-il tenu à le préciser, il avait, lui, pris position contre cette décision et exprimé à l’époque sa confiance dans la capacité de Chadli de défendre l’Etat républicain !

Etonnant que les « défenseurs de la démocratie » et de la « liberté de presse » se soient délectés des coups de canons tirés par le général à la retraite contre les hommes qu’il ne porte pas sur son cœur sans juger nécessaire de dénoncer ses propos choquants en faveur des thèses du FIS. Les dizaines de milliers de citoyens assassinés, égorgés, dépecés par les hordes de cette organisation obscurantiste ont dû se retourner dans leur tombe. Faut-il croire que le rejet affiché des clans au pouvoir doive justifier « L’alliance avec le diable » ? [1] Ou bien le « diable » a-t-il deux visages ?

La défense de la démocratie ne peut signifier liberté pour les ennemis de la liberté. On ne peut mettre sur le même plan celui qui fustige la corruption, les corrupteurs, les oppresseurs et celui qui fait la propagande pour un Etat théocratique. Il n’ya pas de liberté dans l’absolu. On ne peut au nom de la démocratie faire campagne pour la libération du responsable d’une télé qui a interviewé un chef criminel de l’AIS, se réjouir qu’il ait été mis en liberté au même moment que les artistes de KBC. On ne peut prendre partie pour une correspondante de la TV El Magharibia dont la finalité est de mettre le pays à feu et à sang dans l’espoir de justifier les ingérences extérieures propices au retour en force des sinistres émules de Djebhat En Nosra qui a fait du « bon boulot en Syrie » selon Fabius. Afficher sa solidarité, au nom « des principes de la corporation », avec un journaliste sanctionné pour avoir étalé en tant que « citoyen » son « opinion » intégriste sur cette même chaîne, c’est prendre le chemin de la compromission.

A oublier de quel côté de la barricade on doit se tenir on invite les vieux démons chassés par la porte à revenir par la fenêtre.

K.B.

27 juillet 2016


[1Article de Saïd BOUCETTA «  Des opposants et des personnalités crédibilisent El Magharibia  », L’Expression du 06 Octobre 2015 http://www.lexpressiondz.com/actual...