Sabotage de l’économie nationale et ampleur de la collusion des corrompus avec les multinationales*

samedi 8 juin 2013

A travers ces larges extraits que nous reprenons d’un article du général à la retraite Mohand Tahar Yala, ancien commandant en chef de la marine militaire algérienne, publié dans El Watan du 21 mai 2013, le lecteur peut avoir une idée de l’étendue de la catastrophe que vit quotidiennement le pays. Le cauchemar dont parle le général Yala, n’est pas « macro-économique ». C’est le cauchemar de la libéralisation de l’économie du pays. Les phénomènes qu’il dénonce et les chiffres qu’il révèle ou qu’il rappelle dans son écrit sont des réalités étroitement liées au capitalisme réel et à sa « globalisation ».

Nous reviendrons dans un prochain article sur l’analyse politique du général Yala.

AR.

« ( … ) l’analyse de ce cauchemar macro-économique a aussi permis d’identifier un nombre étonnant de « dossiers sensibles » caractérisés par des déviations hors normes par rapport aux usages dans le monde (coûts multipliés par 150% à 200%, voire 300%) et de projets stratégiques voués à l’absence totale et irréversible de rentabilité et de compétitivité, GNL en particulier.

Quelques cas de dossiers sensibles

Après 2005, année d’augmentation des prix et de la manne pétrolière, pratiquement tous les grands projets d’investissement constituaient une cible et une proie certaines pour les commissions et les surfacturations. La démonstration de cette gabegie repose sur l’évidence des surfacturations qui peuvent être aisément calculées par un tout expert qui dispose d’une base de données.

Or, ces surfacturations ne peuvent être commises que s’il y a connivence du côté algérien, connivence mue et « récompensée » par le système de commissions. Ce système généralisé repose sur une mécanique simple :

  • Gré à gré ou faux appels d’offres. Entente et oligopole entre quelques entreprises, système de sous-traitance.
  • Doublement, voire triplement du montant de l’investissement.
  • Monopole de l’accès aux matières subventionnées (gaz naturel algérien).
  • Financement en devises entièrement supporté par l’Algérie pour des projets supposés en partenariat.

Les cas étant innombrables, nous ne concentrerons notre attention que sur quelques uns.

1) Projets de liquéfaction GNL

Investissement de 3 à 4 milliards dollars au lieu de 1,5. Il s’agit des projets GNL d’Arzew (avec Saipem) et de Skikda (avec Kellog Brown & Root-Halliburton).

La presse a suffisamment évoqué les travers du contrat GNL d’Arzew (affaire Saipem). Dans le cas du contrat GNL de Skikda, nous relevons les déviations suivantes :

  • Contrat attribué en gré à gré à Kellog Brown & Root-Halliburton.
  • Montant initial du projet 2,5 milliards, réévalué à plus de 3 milliards dollars.

A titre de comparaison, le montant du projet similaire en Guinée équatoriale est de 1,5 milliard dollars. Même l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), s’était inquiétée de cette dérive. Enfin, avec un tel coût (amortissement), le gaz naturel liquéfié de Skikda et d’Arzew ne sera pas compétitif par rapport à celui du Qatar, de l’Egypte, de Trinidad. Et donc vendu à perte.

2) Projets d’engrais en partenariat à environ 2,5 milliards de dollars au lieu de 700 à 800 millions.

Il s’agit de deux contrats de construction et d’exploitation d’usines d’engrais « ammoniac-urée », l’un en partenariat avec Orascom, l’autre avec Suhail Bahwan Group Holding LLC (SBGH Oman). Les deux projets, passés en gré à gré, sont similaires quant aux surfacturations.

Quelques données concernant le projet engrais Orascom :

  • Orascom n’avait en 2006 aucune expérience ni référence pour construire une usine d’engrais « ammoniac/urée ».
  • Le coût prévisionnel a été fixé « arbitrairement » à 1,9 milliard dollars alors que les services de Sonatrach avaient, suite à un appel d’offres précédent, reçu d’une société allemande, une offre complète pour une usine clés en main pour un prix avoisinant les 700 millions dollars.
  • Le coût prévisionnel de 1,9 milliard de dollars a connu des réévaluations.
  • Orascom utilise contractuellement du gaz algérien au prix subventionné. Les besoins ont été majorés à tel point qu’uniquement par ce subterfuge, Orascom pourrait gagner plus de 200 millions de dollars/an.
  • Les effectifs annoncés sont de 450 employés (en quasi totalité des étrangers) alors qu’au Moyen-Orient, les usines similaires ne prévoient que quelque 50 emplois.
  • Grâce à l’Algérie, Orascom a créé une filiale « engrais » qui a investi dans d’autres pays et qui vise à devenir le n°3 mondial. L’Algérie, importateur permanent d’engrais, aurait pu être n°1 mondial des engrais azotés, phosphatés et binaires si les décideurs étaient soucieux de l’intérêt du pays et des Algériens.

Il y a lieu de noter que, selon certaines sources, Orascom, partie de presque rien en 2000, est présente aujourd’hui en Algérie à travers ses différentes filiales dans des domaines aussi variés que les télécoms, la production de ciment, le dessalement d’eau de mer et ses projets d’investissement s’élèvent à quelque 10 milliards dollars.

Grâce au cadeau algérien, Orascom a pu acquérir 11% du capital de Lafarge, devenu n°1 mondial de ciment, devançant le suisse Holcim et le mexicain Cemex. Citadel Capital, une autre société égyptienne, a suivi le même chemin qu’Orascom en exploitant à Djelfa des carrières appartenant à une entreprise publique, avec un financement algérien très favorable et un coût de l’énergie 10 fois inférieur aux normes internationales.

3) Les projets de centrales électriques ont connu des surfacturations similaires

A titre d’exemple, celle de Hadjret Ennous, dans la wilaya de Tipasa, d’une capacité de 1200 MW, a coûté 2,7 milliards dollars au lieu de 720 millions dollars selon les standards universels, qui donnent un coût spécifique de 600 dollars le KW installé.

Les partenaires qui ont réalisé l’usine sont la « réputée » société Lavalin et la société Mubadala créée en 2002, véritable « cheval de Troie » dans le dispositif, nouveau venu dans le domaine industriel et essentiellement connue comme actionnaire de la marque automobile Ferrari et d’une société italienne de prêt-à -porter.

La centrale hybride de Hassi R’mel a, quant à elle, fait l’objet d’un faux appel d’offres entre deux soumissionnaires effectifs, à savoir une société espagnole et sa filiale, les deux logées à la même adresse à Hydra. Evidemment, elle a connu aussi un surcoût faramineux pour un projet non rentable et non compétitif, dont les subventions pendant la durée de vie (25 ans) seront difficiles à supporter pour l’Algérie. L’éventuel apport technologique ne bénéficiant pour l’instant qu’au partenaire.

4) Les projets d’unités de dessalement de l’eau de mer ont également connu d’énormes surfacturations

Pour le constater, aucune étude n’est requise. Il suffit de se demander comment, parmi les 13 usines de dessalement, plusieurs usines similaires et de même capacité ont des coûts différents et, bien entendu, largement supérieurs à ceux des autres usines dans le monde (y compris celles installées dans les pays du Golfe).

Par ailleurs, bien que la technologie soit banale, le procédé retenu est toujours le plus coûteux et le plus difficile à entretenir parce que devant faire appel à des approvisionnements logistiques et techniques de l’étranger.

5) Les surfacturations de l’autoroute Est-Ouest.

Ils ont fait dire à certains experts que c’est le scandale du siècle en termes de surcoûts (300 à 400%), en plus de la qualité médiocre de sa réalisation. Dossier largement médiatisé.

Quasiment tous les autres projets budgétivores connaissent les mêmes surcoûts en application du même système mettant en œuvre des sociétés étrangères : les pipelines, les centres de production d’hydrocarbures, les infrastructures importantes, etc.

Notre analyse fait ressortir deux autres dysfonctionnements :

  • L’exportation du brut algérien de qualité supérieur (densité plus favorable, concentration en soufre minime), en dessous du prix du Brent pendant la période 2002 -2004, visant ainsi à dégager des primes octroyées en tirant profit de la volatilité des prix.
  • Des investissements à l’étranger avec une comptabilité opaque ; parmi eux l’investissement pour l’exploration off-shore du gaz en Egypte. Comte tenu du marché actuel et à court terme, le prix de gaz à la vente sera inférieur au prix de revient à la production.

Mais personne ne perdra un dollar, sauf l’Algérie. La principale cause est donc la prédation, installée au cœur de tous les secteurs.

Des informations qui nous sont parvenues concernant le projet de construction de la Grande mosquée évoquent également des surfacturations et des manœuvres pour éviter l’acquisition des matériaux locaux, même de qualité supérieure et à des prix inférieurs. Ceci pour faire appel au marché extérieur, plus facile à surfacturer."

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in El Watan

21 mai 2013

* Le titre est de la rédaction d’Alger républicain