Djamila Bouhired, héroïne de la guerre de libération nationale, gravement malade. Son appel à l’aide révèle la politique d’abandon par le pouvoir des structures de santé publiques en faveur de la médecine privée du « bizness »

lundi 14 décembre 2009
par  Alger républicain

Nous apprenons que la grande dame de la révolution algérienne, chère à tous les patriotes, Madame Djamila Bouhired est gravement malade et qu’elle n’a pas les moyens de se soigner car les soins qu’elle doit subir ne peuvent être donnés qu’à l’étranger.

Il est grave que Djamila Bouhired en soit aujourd’hui réduite à rechercher dans son état, des solutions de solidarité, compte tenu de l’inexistence de possibilités réelles de soins dans notre pays.

C’est un grand déshonneur pour ce pays qu’une figure emblématique de la lutte pour son indépendance, condamnée à mort à l’âge de 22 ans pour que vive l’Algérie, se retrouve dans la situation d’incertitude que vit aujourd’hui Madame Djamila Bouhired.

Elle a adressé une lettre au président de la République et une autre lettre aux citoyens algériens pour les informer de son problème de santé et des difficultés qu’elle rencontre pour se soigner. Ces deux lettres sont une véritable leçon et une morale devra en être tirée.
Nous apprenons ainsi que Djamila Bouhired a du mal à boucler son mois, à payer son boucher et son épicier avec sa retraite d’ancienne combattante.
Elle a donc été contrainte d’en appeler à la solidarité nationale pour l’aider à se soigner.

Ce pays a enregistré beaucoup de hontes et de flétrissures ces dernières années mais jamais il ne sera pardonné de traiter ainsi ceux qui ont donné leur jeunesse et leur foi pour qu’il vive libre et n’en ont pas profité pour se constituer des fortunes avec toutes les combines qui existent à foison et dont beaucoup ne se sont pas privés.

La lettre de Madame Djamila Bouhired écrite avec sa délicatesse habituelle, touche des points sensibles et nous rappelle que ce pays a raté des engagements importants. Elle redonne à penser de nouveau, à la situation de carence épouvantable régnant dans le domaine des soins médicaux et hospitaliers en Algérie.

Il est inique de constater que 55 ans après le déclenchement de la révolution, 47 ans après l’indépendance, après des milliards de devises purgées et les capacités que nous avons, ce pays ne soit pas en mesure de faire soigner correctement et décemment et ce, conformément à l’acception du terme en ce début du 21e siècle.
Si l’on prend juste la capitale du pays, il y a quelques hôpitaux péniblement bâtis en plus de ceux (tel l’hôpital Mustapha Bacha) laissés par la France. Il est inutile de parler des autres villes. De plus, tout le monde sait que les médecins et le personnel soignant qui travaillent dans les hôpitaux, s’y sacrifient devant les innombrables et insurmontables difficultés rencontrées chaque jour pour réaliser l’acte de soigner.

En Algérie, pays qui a des moyens, du pétrole, des possibilités, des ressources diverses et de l’intelligence, il y a aujourd’hui un manque grave de capacités réelles de soins conformes aux exigences de la médecine.
Qu’il nous soit répondu le contraire. Si nous nous trompons, que ceux parmi les hautes personnalités, dirigeants et hauts responsables qui ne vont pas se soigner à l’étranger, nous éclairent et nous disent que nous sommes mal informés.

Tout le monde sait que l’offre de soin de qualité dans notre pays est aujourd’hui devenue dérisoire, non pas en raison du manque de médecins et de spécialistes compétents mais en raison de l’absence de réflexion, d’élaboration, de conception, de programmation, d’organisation et de mise en place réelle, effective, efficace, d’un système de soins de qualité.

Ce système de soins sera crédible lorsque les hauts responsables du pays se soigneront en Algérie et ne laisseront plus le soin au peuple d’expérimenter les hôpitaux nationaux et leurs carences dont les personnels médicaux sont les premiers à souffrir et dont la plupart sont devenus des mouroirs.

Djamila Bouhired par Mustapha BoutadjineIl est inadmissible, inacceptable et insurmontable que Madame Djamila Bouhired en soit réduite à appeler à l’aide lorsque nous voyons comment des sommes folles sont dépensées pour des importations de produits de tous ordres. Lorsque nous observons la facture nationale d’importation de médicaments et que le citoyen commun ne peut plus aujourd’hui assurer le paiement d’une ordonnance sans sacrifier une autre dépense nécessaire pour lui ou ses enfants et mettre en danger l’intégrité de son salaire.

Lorsque les citoyens sont livrés aux cliniques privées qui se sont ouvertes après que le système de santé public ait été assassiné, il est aisé d’observer les comportements des responsables de ces lieux. Il est devenu plus que « normal » qu’un citoyen qui arrive dans une clinique de radiologie, se voit faire faire des examens en plus pour payer plus ou bien de subir un examen moins important alors qu’il a payé pour avoir un autre examen.

Dans les cliniques de soins et de chirurgie privées, apparues au grand jour grâce aux dispositions ayant permis l’octroi de grasses tranches de crédits confortables, on refusera la plupart du temps dans plusieurs d’entre elles de vous délivrer même une facture. Souvent, il vous sera demandé d’apporter vos antibiotiques ou du fil de suture ou des compresses. Dans beaucoup d’entre elles, les citoyens avant d’être opérés, paient la clinique et paient le chirurgien puis doivent donner un « remerciement » à certains membres du personnel paramédical et parfois c’est l’un des membres de la famille qui veille auprès d’eux la nuit en prévention d’un problème possible.

Le citoyen est la proie d’un système de profit sauvage qui a fait oublier à la plupart de ceux qui se sont engagés dans l’aventure du système médical privé qu’ils ont le devoir de faire appel à leur conscience en reconnaissant honnêtement lorsqu’ils ne sont plus capables d’assurer la mission plutôt que de la transformer en commerce de bas étage à l’image des trafiquants en pratiquant et excellant dans la médecine du t’bèznisse et en pensant que le citoyen algérien et là pour subir et se taire.

C’est le montant de la facture qui maintenant est le maître à penser des nouveaux patrons de beaucoup de ces cliniques, devenus potentats et pour lesquels le serment d’Hypocrate fait désormais partie des ruines archéologique de la médecine en Algérie.
Beaucoup même pensent qu’avec les bonnes relations acquises grâce à ces nouvelles officines spécialisées dans la santé de bas étage, ils sont prémunis de tout danger et amassent le pactole engrangé en comptes devises grassement mis à l’abri à l’étranger.

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Même dans les pays capitalistes de longue date, la vocation de la médecine publique a encore gardé de l’honneur.

Dans notre pays, l’hôpital est mourant. Le système a mis en place une politique de déstructuration des capacités de soins alors qu’à une certaine époque, le citoyen avait la possibilité de recevoir des soins corrects dans les hôpitaux même si beaucoup restait encore à faire et à organiser. Le pays a subi dans le domaine de la santé comme dans beaucoup d’autres une régression inouïe, une régression méthodiquement organisée sous les hauts conseils des experts de la Banque mondiale et du FMI

Quel citoyen vivant uniquement de son modeste revenu peut-il payer la facture assommante présentée par les cliniciens-spéculateurs et vampires encouragés dans ce fonctionnement ? La défaillance des hôpitaux est scientifiquement organisée par la bourgeoisie et les affairistes pour écarter tout concurrent dans leur course à l’enrichissement aux dépens de la santé des citoyens. Cette situation n’est en aucune façon la conséquence de « l’incompétence ». L’incompétence n’est qu’apparente. Elle est organisée. Le chaos organisé est devenu depuis plus de 30 ans un art dans lequel excellent les partisans du capitalisme et de la dilapidation de ce pays. Rien ne relève du hasard sauf quand, grâce à l’opiniâtreté de certains médecins, une structure publique de soins parvient miraculeusement à échapper au sabordage institutionnel et à fonctionner plus ou moins normalement. Le scandale de la « nationalisation » des cliniques ophtalmologiques cubaines sous la pression des gros patrons de la médecine mercantile qui n’ont pu tolérer qu’un secteur aussi juteux échappe à leur emprise, en est un exemple édifiant. On leur a reproché de fonctionner pour ramasser de l’argent. Si l’argent des riches a pu procurer pour une fois une bouffée d’oxygène à Cuba assiégée par les USA, c’est tant mieux. La vérité c’est que cet argent qui ne tombait plus dans la tirelire des trafiquants algériens bardés de diplômes en médecine affairiste a mis en rage ces derniers.

Aujourd’hui, grâce à la médecine privée qui est venue « faire ses preuves », nous avons eu un retour de la peste et de la tuberculose, maladies qui avaient été combattues et pratiquement éradiquées, contre lesquelles la lutte a avait été menée de façon résolue.

La défaillance des hôpitaux est scientifiquement organisée.

Le pouvoir ne veut ni améliorer ni développer les structures publiques de soin en fonction des besoins et des immenses possibilités financières dont le pays jouit depuis quelques années. En fait les actes, les carences, l’indifférence, les négligences, volontairement entretenues indiquent qu’il n’en veut plus. Il a pratiquement décidé de sacrifier les structures publiques. Tout est fait pour dégoûter le citoyen de l’hôpital ou de la polyclinique publique : laboratoires d’analyses saturées ou souffrant en permanence de ruptures de produits, appareils radio et scanners très souvent en panne ou en nombre insuffisant, pour ne pas dire sabotés, complaisance vis-à -vis de certains médecins qui passent leur temps à conseiller au malade d’aller vers une clinique où ils exercent la majeure partie de leur temps, passe-droits et favoritisme et manque de formation de qualité qui minent la discipline au sein du personnel médical et paramédical, etc. Tous ces fléaux qui se sont généralisés avec les ajustements structurels sont habilement ou grossièrement encouragés pour pousser les malades à rechercher leur salut dans les cliniques privées. Le pouvoir est obligé malgré lui d’afficher un semblant de volonté de gérer des structures héritées des époques précédentes. Mais même quand il dote aujourd’hui les hôpitaux de matériel flambant neuf comme il est en train de le faire grâce aux revenus pétroliers, la rumeur lie cet intérêt soudain pour la modernisation des hôpitaux avec du matériel importé à la perception de grasses commissions, placées comme de bien entendu à l’étranger.

Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis plus de 20 ans ont joué, à de rares exceptions, la carte du pourrissement pour créer les conditions justifiant la promotion d’un secteur privé qui se comporte en véritable vampire. Est-ce un hasard si la rumeur encore dit avec persistance que des personnalités haut placées sont actionnaires dans les cliniques luxueuses qui ont prospéré depuis une quinzaine d’années ? Qui ne sait que les gouvernants les ont généreusement arrosées de crédits publics bon marché accompagnés de divers cadeaux fiscaux sous couvert de favoriser l’investissement ? Pourquoi tolère-t-on, au vu et au su de tout le monde, qu’elles ne délivrent aucune facture et que le contrôle fiscal semble être complètement absent ? Il est connu que ces cliniques fonctionnement en partie au noir et n’ont pas l’obligation légale d’intégrer un système de comptabilité accessible sur leurs ordinateurs de suivi qui soit transparent. La plupart ont une comptabilité publique et une comptabilité masquée.

Pourquoi s’étonner que des médecins soient partis ? Et lorsque certains ont tenté malgré tout de venir apporter de l’aide, de la formation, ils ont été découragés par l’état des lieux effroyable qui règne aujourd’hui.

L’offre de prise en charge des soins au niveau national de la CNAS est plus que dérisoire.

C’est une volonté politique de faire en sorte que la CNAS (Caisse Nationale d’Assurance Sociale) aujourd’hui, se base sur des tarifs datant de temps anciens alors que les tarifs des consultations des médecins installés dans secteur privé ont été revus plusieurs fois à la hausse.
Tout le monde sait et les services des impôts en premier, que les tarifs déclarés sur les feuilles de maladie ne sont pas ceux pratiqués dans la réalité car les médecins n’ont pas réussi à s’entendre sur les tarfis avec la CNAS qui ferme les yeux sur la réalité.

C’est le citoyen qui prend deux fois en charge les dépenses du système de santé.

D’une part en payant la totalité des prix des consultations privées ainsi que les examens (scanners, radiographies, échographies et analyses diverses, extrêmement coûteux) qui ne sont quasiment pas remboursés par la sécurité sociale et ensuite, c’est toujours le citoyen qui finance les magnats de l’import du médicament en payant cash les produits sans que la CNAS ne le protège. Il est notoire que la liste agréée par la CNAS n’est pas à jour si l’on voit l’évolution des thérapies. Et c’est le citoyen qui paie.
L’importation du médicament a été un véritable fleuve d’exportation de devises. Le citoyen algérien ne s’en est pas mieux porté mais les magnats de l’import se sont plus qu’enrichis.

Aujourd’hui, une personne qui représente ce que l’Algérie a de meilleur est en danger. Les dirigeants de ce pays devraient grandement réfléchir à ce que son message qui a déjà fait le tour du monde signifie.

Il est pourtant possible de redresser la situation. L’argent, les compétences, le dévouement, l’expérience, le personnel, tout cela est disponible. Il faut que les citoyens, les médecins, les infirmiers, le personnel des hôpitaux et polycliniques, se mobilisent et se battent la main dans la main pour mettre fin au laisser-aller et à la politique criminelle de pourrissement. La médecine doit être accessible à ceux qui ne vivent que du produit de leur travail. Au lieu de dilapider l’argent du pays dans des projets pharaoniques comme l’autoroute est-ouest il faut que gouvernement oriente le budget de l’Etat vers l’amélioration rapide du fonctionnement des structures publiques et aide les citoyens à faible revenu à recevoir tous les soins que leur état de santé nécessite sans avoir à payer de leur poche. Il est inadmissible que les plus riches de ce pays ne payent pratiquement plus d’impôts ce qui prive l’État d’importantes ressources fiscales indispensables au bon fonctionnement et au développement des infrastructures de santé qui doivent être érigées en priorité absolue.

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Alger républicain

14.12.09


Toute l’équipe d’Alger républicain souhaite une prompte guérison à Madame Djamila Bouhired qui est et restera toujours, l’image que les Algériens ont, des militants dotés de noblesse et de grandeur.

Qu’elle guérisse et revienne vite car l’Algérie a toujours besoin d’elle et du symbole qu’elle représente.


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