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Chronique de Arezki Metref : WILLIAM SPORTISSE ET GILBERTE CHAMOULI DEUX FIGURES DU PROGRESSISME ALGERIEN
lundi 2 juin 2025
Chronique reprise de Le Soir d’Algerie du dimanche 1 juin 2025
William Sportisse a plus de 100 ans aujourd’hui. Et il n’en a jamais démordu, il a été communiste et il le reste avec le cœur et la raison. Sa vie aura été un combat mené sincèrement, généreusement, passionnément au service de la classe ouvrière et des masses populaires. Au service des plus faibles contre les puissants, des colonisés contre les colonisateurs. Ces mots, démagnétisés, dévalués, passés de mode, discrédités, ont un sens pour lui. Ils gardent tout leur sens, en dépit des cahots de l’histoire. Il le disait dans un entretien accordé au Soir d’Algérie en 2014 : « Être communiste, c’est refuser le défaitisme ». L’appel est à entendre à l’échelle planétaire, au moment où l’ultralibéralisme règne au profit des tenants de la finance et au détriment des pauvres et de ceux qui vivent de leur travail.
Né à Constantine en 1923 dans une famille juive d’assise arabo-berbère, il adhère très jeune, à l’âge de 16 ans, au Parti Communiste Algérien dans le sillage de son frère ainé Lucien. Ce dernier a été une figure la lutte anticoloniste en Algérie et de la résistance antinazie en France où il a été assassiné par balles par la Gestapo à Lyon en mars 1944.
William Sportisse combat pour l’indépendance de l’Algérie, puis après la libération, militant du PCA, il fera partie de l’ORP. En 1965, comme la plupart de ceux et celles qui se dressent contre le coup d’Etat de Boumediene, il est arrêté.
Commence alors pour lui, une longue période d’incarcérations suivies de mises en résidence surveillée. Il adhère au PAGS dès sa naissance. Il fait partie de ces vieux militants communistes algériens qui seront doublement atterrés, d’abord par l’effondrement du camp socialiste en 1989, puis par l’implosion du PAGS en 1990. Il ne quittera l’Algérie qu’au milieu des années 1990 avec sa compagne Gilberte Chemoul qui fut aussi l’épouse d’un héros de la guerre de Libération, Bouali Taleb mort au maquis les armes à la main.
Il y a quelques années William Sportisse a consigné ses mémoires dans un livre d’entretiens avec Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « Le camp des oliviers », un ouvrage que l’on aurait pu sous-titrer : Autobiographie collective d’un humble militant de base. Car ce qui le caractérise, tout comme sa compagne Gilberte, c’est la simplicité, l’humilité, une profonde humilité, l’attachement à la liberté des peuples, la détermination dans la résistance au capitalisme et la fidélité à leur engagement. Des modèles.
Quand on lit ces entretiens, on se dit fatalement que cela mériterait un film. Jean Asselmeyer et Sandrine Malika Charlemagne l’ont fait, mettant en parallèle son parcours et celui de Gilberte dans un film documentaire, « Deux vies pour l’Algérie et tous les damnés de la terre » sorti sur les écrans en 2024. William et Gilberte y racontent chacun leur enfance, leur jeunesse, leur trajectoire politique engagée à Constantine et à Alger. Ou on apprend, accessoirement, que l’on peut vivre des événements graves et dangereux, dramatiques même, et les raconter avec humour et détachement. Film de témoignages, enrichi par l’éclairage de deux historiens spécialistes des communistes algériens,, Alain Ruscio et Pierre-Jean Le Foll-Luciani, il dévoile les luttes publiques et clandestines du Parti communiste algérien avant et après l’indépendance, à travers les combats de ce couple d’algériens communistes et juifs antisionistes qui ont consacrés leur vie à la lutte contre le colonialisme, le fascisme et l’autoritarisme, pour la justice et la défense des droits humains.
Ce sont 70 années de l’histoire de l’Algérie coloniale et postcoloniale, une histoire de guerre et de résistance, qui nous sont exposées là. 70 années de lutte qui n’ont pas entamé la détermination et l’énergie de William et Gilberte Sportisse, déjà presque centenaires au moment du tournage. Gilberte Chemouili Sportisse est décédée à l’âge de 103 ans en 2021.
Quelques compagnons de lutte témoigneront à leur côté, Abdelkader Guerroudj, dirigeant des Combattants de la libération, branche armée du PCA, Zoheir Bessa, directeur du journal Alger Républicain et dirigeant du PADS, et Sadek Hadjerès, dirigeant du Parti communiste algérien puis du PAGS.
Si le film traite du rôle du PCA dans la revendication indépendantiste algérienne, il n’omet pas de mettre en lumière la continuité de la lutte du Parti communiste dans l’Algérie indépendante dont témoignent la répression exercée contre ses membres. Gilberte et William seront l’un et l’autre, arrêtés, emprisonnés et torturés, de septembre 1965 à novembre 1966 pour la première et de 1965 jusqu’en 1968 pour le second.
Interrogés sur la longueur inédite du tournage, 8 années, les réalisateurs ont souligné la difficulté de trouver du financement que ce soit en France ou en Algérie. Dans un argumentaire relatif à un financement participatif, ils s’en expliquent en partie : « Notre approche se démarque des critères de chaîne de télévision par deux points essentiels, d’une part nous nous refusons de limiter notre vision de l’histoire de l’Algérie à la seule période de la guerre de libération mais prenons en compte les 130 années de colonisation de peuplement, et d’autre part nous ne plaçons pas sur un pied d’égalité les souffrances des populations colonisées et celle des colons à l’indépendance. »
La réalisation a également dû palier à l’inaccessibilité des archives dont le coût était trop élevé. C’est grâce à la fille de René Vautier et aux Mutins de Pangée, une coopérative de production, qu’ils ont pu avoir accès à des images du maquis tournées par Vautier.
Un documentaire qui mérite d’être montré à satiété en Algérie. Les jeunes doivent savoir.
Le Soir d’Algerie du dimanche 1 juin 2025