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Afrique du Sud : une grève historique, le retour de la lutte des classes !
dimanche 6 juillet 2014
Ils ont gagné ! Les mineurs sud-africains de platine ont repris le travail après plus de cinq mois de grève. Un mouvement historique lancé le 23 janvier dernier, qui marque un tournant dans la vie politique et syndicale de l’Afrique du Sud. « Amcu a fait la différence. Par cette grève, vous avez fait l’Histoire », a déclaré le président du jeune syndicat indépendant, Joseph Mathunjwa, au cours du meeting au Royal Bafokeng Sports Palace, à Phokeng, près de Rustenburg où se trouvent les sites miniers, devant des milliers de mineurs venus célébrer leur victoire sur les trois géants mondiaux du platine.
Le massacre de la mine de Marikana, en août 2012 par les forces de police, n’a pas découragé les employés d’Amplats (Anglo-American Platinum), Lonmin (dirigée par le tycoon zimbabwéen, Ben Magara), et Imapala Platinum. Les grévistes ont su faire quelques compromis, mais l’essentiel de leurs revendications dont, en premier lieu, un salaire « vital » minimum de 12500 rands (850 euros) par mois (contre 5000 rands-345 euros avant la grève) et le paiement rétroactif des salaires, ont été satisfaites. À cela, il faut ajouter les améliorations des conditions de vie dans les villages miniers, officiels ou informels, et autres avantages. L’augmentation salariale sera immédiate pour certains et s’étalera jusqu’en 2017 pour d’autres.
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Une grève historique
Une grève historique, d’abord, parce que, pour la première fois depuis la fin de l’apartheid en 1994, elle a été lancée à l’appel d’un syndicat indépendant, l’AMCU (Association of Mineworkers and Construction Union), non affilié à la Confédération des syndicats d’Afrique du Sud, la COSATU qui forme, depuis la fin de l’apartheid, avec le Parti Communiste et l’ANC, la « Triple alliance » au pouvoir. Le syndicat officiel, NUM (National Union of Miners), a été complètement balayé par les salariés de ce secteur, stratégique pour l’économie, et son attitude agressive envers les mineurs lors du massacre de Marikana, en août 2012, a fini de le discréditer. Il faut se souvenir que le vice-président d’Afrique du Sud, ancien dirigeant et glorieux président du NUM pendant la lutte contre l’apartheid, Cyril Ramaphosa, est aujourd’hui milliardaire et siégeait encore au Conseil d’administration de Lonmin (entre autres compagnies) en août 2012. Il a été révélé après le massacre qu’il avait demandé aux forces de police d’intervenir « efficacement » contre les mineurs de Marikana en grève, et leurs représentants d’AMCU.
Historique ensuite car, alors que le secteur minier est crucial pour l’économie sud-africaine, l’AMCU n’a reçu aucun soutien du gouvernement, ni de l’ANC. Au contraire, le jeune syndicat indépendant qui a réussi à rassembler plus de 70 000 salariés de compagnies étrangères parmi les plus riches au monde et qui avait réussi à mettre en grève, en 2012, la quasi totalité des mines, y compris d’or, a subi insultes, menaces, brutalités policières, arrestations et embûches de toutes sortes de la part des autorités. Enfermé dans ses certitudes et son incapacité à ouvrir le champ syndical à la démocratie, la droite de l’ANC au pouvoir ne comprend, ou ne veut admettre, que la dialectique de l’Histoire et la marche vers la démocratie en Afrique du Sud, leitmotiv de la lutte contre l’apartheid et la construction de la nouvelle nation, mais cela impose inévitablement des évolutions dans le paysage politique et syndicale. Le plus virulent parmi les virulents fut sans doute Gwede Mantashe, secrétaire général de l’organisation historique, mais aussi dirigeant du Parti communiste, qui a utilisé les arguments les plus fallacieux pour discréditer les mineurs en grève et leur syndicat.
Parlant pour l’ANC, Mantashe a utilisé les vieilles ficelles, accusant, par exemple, l’avocat des mineurs emprisonnés après Marikana, Dani Mpofu, de vouloir transformer la grève en conflit politique, au bénéfice du parti populiste de Julius Malema, l’Economic Freedom Fighters, l’EFF arrivé en troisième position aux dernières élections qui étaient son coup d’essai. Julius Malema a été le seul dirigeant politique à avoir soutenu les grévistes, avec un discours pseudo-révolutionnaire, certes, mais il était là aux pires moments. De même Mantashe a-t-il accusé, avec un relent raciste, l’AMCU d’être manipulé par des forces étrangères, provoquant des réactions indignées, notamment de la part de l’évêque anglican Jo Seoka. « La définition de la position d’AMCU par des étrangers blancs montre l’intérêt des forces étrangères dans la déstabilisation de notre économie, a-t-il déclaré. La participation directe d’EFF dans les négociations, collaborant ainsi avec les forces étrangères est également une préoccupation. Ces deux facteurs ont conduit la direction de l’ANC à conseiller au ministre des Ressources minières à être prudent dans son intervention. »
Bien sûr, la grève des mineurs de platine a une dimension politique que nul ne peut contester. Mais certainement pas au sens où l’entend Gwede Mantashe. « Elle (la grève) plonge ses racines dans les inégalités, la pauvreté, dans l’apartheid et dans le massacre de Marikana. Elle parle du manque de changement, de manque de confiance et d’un manque de quelque chose à perdre. Les travailleurs et leurs familles vivaient sans argent, pensant que c’était là un combat qu’ils devaient gagner pour le futur. Elle (la grève) est fondée sur l’espoir de changement. C’est vraiment ce dont on a besoin, ici, le changement », écrivait le très respecté journaliste analyste sud-africain Stephen Grootes.
Pour revenir aux propos de Gwede Mantashe, effectivement, le nouveau ministre responsable du secteur minier, Ngoako Ramatlhodi, nommé au lendemain des élections, avait décidé, contrairement à la position adoptée par le gouvernement et l’ANC, d’intervenir dans les négociations pour arriver à un accord rapide entre les deux parties, les compagnies campant sur leurs positions de refus face à un syndicat qui avait déjà fait des compromis. Il semble qu’il ait reçu plus que des conseils et que les pressions exercées sur lui l’aient rapidement découragé de jouer les médiateurs. Il a jeté l’éponge au bout de quelques jours. Mais plus grave, le 27 juin, le quotidien Mail and Guardian révélait qu’il était actionnaire à hauteur de 20 millions de rands (1 371 400 euros) dans des compagnies minières comme Atlatsa Resources, une compagnie issue de la politique de discrimination positive dite Black Economic Empowerment (BEE) mise en place par le gouvernement ANC après 1994 pour obliger les compagnies étrangères à intégrer des Noirs dans leurs conseils d’administration, et considérée, aujourd’hui, comme ayant favoriser la corruption à grande échelle dans la sphère dirigeante du pays. Atlatsa Ressources est partenaire d’Anglo American Platinum (Amplats) l’un des trois géants miniers du platine touchés par la grève.
Une grève très dure
Les mineurs en grève et leurs familles, privés de salaires, qui ont essuyé le refus d’une aide financière sur fonds publics, ont vécu une situation extrêmement difficile au quotidien. Rongés par la faim, sans l’aide de la société civile, ils n’auraient pas tenu. Fin mai, par exemple, mais c’était déjà tard, des milliers d’entre eux ont pu bénéficier d’une distribution de paquet de maïs, de riz, de haricots et de pain, de la part de l’organisation de secours d’urgence basée à Pietermarizburg, Gift of the Givers. « Les gens sont vraiment désespérés et dans l’insécurité », expliquait Imtiaz Sooliman, président de l’organisation, « Ils ont tout perdu. Ils ont faim et nous voyons beaucoup de mineurs et leurs familles dénutris ». Gift of the Givers a reçu le soutien matériel de la population sud-africaine, des donations des églises, des mosquées et des organisations médicales. La perte en salaire des grévistes a atteint près d’un milliard de dollars. AMCU avait, également, organisé en avril un fond de soutien aux familles des mineurs en grève qui a permis d’attribuer quelques rands à chaque foyer.
Bloquant les négociations, les trois géants, de leur côté, ont tout fait pour briser le mouvement, allant jusqu’à envoyer des SMS de menace aux mineurs s’ils ne reprenaient pas le travail, ou pour leur offrir des conditions alléchantes. Une pratique qu’AMCU a considéré comme illégale et l’a conduite à déposer une plainte en justice. Mais aujourd’hui, alors que le travail doit reprendre dans les mines, force est aux patrons des compagnies de constater les conséquences désastreuses de leur entêtement. L’activité ne pourra pas reprendre complètement avant trois mois. Compte tenu de l’état d’épuisement des mineurs, il a fallu aux compagnies mettre en place des dispositifs sanitaires, de soins, visites médicales, traitements, nutrition, des dispositifs de remise en forme pour pouvoir affronter la dureté du travail, et de (re) formation pour retrouver toutes les gestes et aptitudes nécessaires. C’est dire à quel point cette grève a été dure pour les 70 000 adhérents d’AMCU.
Impact sur l’économie, le prix du platine et les compagnies
Alors que la grève commençait à toucher l’économie sud-africaine qui enregistrait un recul de 0,6%, Gill Marcus, Gouverneur de la Reserve Bank, tirait, le 10 juin, la sonnette d’alarme sur les effets négatifs sur la croissance économique et pressait les deux parties à parvenir rapidement à un accord. Cependant, elle soulignait qu’il n’y avait pas encore d’effets sur les exportations compte tenu des réserves en platine des compagnies. À elles seules, les trois compagnies ont produit 3,5 millions d’onces en 2012, soit environ 60% de la production mondiale. Leurs réserves ont, effectivement, permis, dès le début de la grève, d’injecter sur le marché la quantité nécessaire à la stabilité du prix. En terme de perte de revenus, selon les chiffres des compagnies, elles auraient perdu $21 milliards, les salariés 9,7 milliards en termes de salaires ;
L’argument du danger que faisait peser la grève sur l’économie du pays et sur la santé des trois compagnies a été largement utilisé, sans emporter, cependant, l’adhésion d’une population réaliste confrontée en permanence à un étalage de richesse indécent par une poignée de leurs concitoyens dont le président Zuma et son entourage, et aux revenus mirobolants des compagnies minières et de leurs dirigeants. Les mineurs de platine demandent-ils l’impossible en exigeant de fortes hausses de salaires ? Se sont demandés des économistes sud-africains et britanniques à Johannesburg. Ces experts ont étudié les comptes d’Amplats, Implats et Lonmin, les trois premières compagnies minières mondiales, sur quatorze ans. « Si les actionnaires se servaient moins, les salaires pourraient aisément être augmentés », ont-ils conclu.
En effet, la revendication d’AMCU et des 70 000 grévistes, d’un salaire mensuel de 12500 rands par mois (800 euros environ) d’ici quatre ans, avec une augmentation de 1800 rands chaque année, représente « un renoncement d’un cinquième des gains des actionnaires d’Amplats (-20%) et Implats (-22%) et -55% chez Lonmin » selon Andrew Bowman (Manchester) et Gilad Isaacs (Witwatersrand-Johannesburg). En outre, les deux chercheurs ont battu en brèche l’affirmation selon laquelle la grève mettait en danger les compagnies : « Les compagnies minières ont été hautement profitables durant le boom mondial des matières premières de 2000 à 2008, » écrivent-ils précisant que leurs marges bénéficiaires se situaient entre 37 et 44%. En juin 2014, Daniel Krajka écrivait sur le site du magazine L’Usine Nouvelle, « Cinq mois de grève dans les mines des trois plus importants producteurs mondiaux de platine, les sud-africains Amplats, Implats et Lonmin – n’ont pas suffi à faire bouger les cours du platinoïde, constate Robin Bahr, l’analyste des métaux de la Société générale. Les stocks considérables constitués avant la grève et le surplus structurel du secteur, avec une consommation de l’industrie automobile en reflux ont prévenu une pénurie de matière malgré une augmentation de 300 000 onces des volumes détenus par les fonds indiciels (ETF). »
Une révolution dans le mouvement syndical
Enfin, et peut-être surtout, la grève des mineurs de platine, exemplaire (en dehors de quelques incidents sporadiques entre les membres d’AMCU et ceux du syndicat officiel balayé des sites, NUM qui ont fait quatre morts), restera historique pour avoir ouvert une brèche dans le consensus national qui prévaut depuis 1994 autour de l’ANC et la voie vers le retour au syndicalisme de classe, en provoquant un bouleversement immédiat des règles imposées aux relations de travail.
Une voie sur laquelle s’est aussitôt engagé, le 24 juin, quelques jours après l’accord signé par AMCU, le plus puissant syndicat, celui de la métallurgie (220 000 membres), NUMSA, engagé dans les négociations salariales annuelles pour une augmentation de 12%, qui a déclarait une grève illimitée. Son secrétaire général, Zwelinzima Vavi, qui représente la gauche de l’organisation et avait été exclu de son poste il y a quelques mois avant d’y être réintégré sur décision de justice, a déclaré soutenir le mouvement. Plus extraordinaire et significatif encore, le syndicat officiel des mineurs, le NUM, et la COSATU dans son ensemble, ont exprimé leur soutien à NUMSA et des marches solidaires ont aussitôt été organisées à Cape Town, George, Durban, Port Elizabeth et East London.
Pourtant, NUMSA, très à gauche de la COSATU et très critique envers le pouvoir et l’ANC – le syndicat avait refusé de financer la campagne de l’ANC comme devaient le faire tous les syndicats de la COSATU, et ses dirigeants avaient même annoncé qu’ils allaient créer un « front populaire », après les élections générales de mai dernier, menaçant à plusieurs reprises de sortir de la COSATU si la confédération ne retirait pas de la Triple alliance avec l’ANC et le Parti communiste. Il avait, en outre, soutenu la grève des mineurs.
C’est une véritable révolution dans le mouvement syndical. Alors qu’il s’était opposé violemment à AMCU et à la grève des mineurs, et à NUMSA, le NUM soutient aujourd’hui pleinement son ancien ennemi. « Le NUM soutient NUMSA dans son combat pour réduire le fossé des salaires de l’apartheid, combattant pour l’équité dans le travail et exigeant un salaire minimum. Il est important pour la classe ouvrière de poursuivre le combat pour de meilleurs salaires et de meilleurs conditions de travail », a déclaré le syndicat dans un communiqué. La COSATU, de son côté, juge les revendications de NUMSA « raisonnables » et appelle tous ses affiliés à soutenir la grève. « Nous appuyons la détermination de NUMSA à ne pas se laisser intimider par tous ceux qui représente les intérêts de classe des affaires et du grand capital », a déclaré la confédération.
Une déferlante de grèves ?
Les négociations par branche qui se déroulement actuellement pourraient provoquer une déferlante de grèves dans les secteurs de la chimie, de l’énergie (notamment la compagnie d’électricité ESKOM où les tensions sont déjà fortes), du papier, de l’imprimerie, du bois et autres. Dans ce pays classé au 29è rang mondial, devant le Danemark en termes de produit intérieur brut (PIB), mais parmi les plus inégalitaires au monde, où près de 55% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et près de 30% avec moins de 3 dollars par jour, la conscience et le discours de classe reprennent leurs droits. Étouffés au nom d’un consensus national après l’arrivée de Nelson Mandela et de l’ANC au pouvoir, en 1994, mettant fin au régime d’apartheid, il refait surface aujourd’hui de façon incontournable. Nelson Mandela n’est plus, le pouvoir est entaché par des scandales sans fin, la nouvelle classe moyenne a posé ses marques et la nouvelle classe capitaliste noire composée pour la plupart d’anciens dirigeants de l’ANC des années apartheid, a largement oublié ses engagements historiques. Sur le bord de la route de l’Histoire, des millions de Sud-Africains voient leur conditions de vie se dégrader encore plus et attendent toujours de percevoir les dividendes des souffrances acceptées, il y a 20 ans, au nom de la lutte contre l’apartheid, pour la démocratie, l’égalité et contre le racisme.
Jacob Zuma et l’ANC ont gagné les élections une nouvelle fois. Certes, mais peu d’analystes ou de politiciens, qui par ailleurs ont noté le recul constant de l’organisation historique, ont souligné que cette fois, elle ne représente plus que 36% de la population en âge de voter. Un chiffre qu’il faut prendre en compte pour comprendre les évolutions en train de prendre forme et de dessiner un nouveau paysage syndical et politique de l’Afrique du Sud. Si l’ANC, phagocytée par toutes sortes d’opportunistes, y compris venus du monde des affaires et de la finance, juste avant et après 1994, semble avoir quelque peu perdu son âme, le peuple sud-africain semble, lui, avoir décidé de la rappeler sérieusement à l’ordre et à ses devoirs historiques.
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Christine Abdelkrim-Delanne
01.07.14
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