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Casbah, je te pleure
mardi 14 mai 2013, par
Je te pleure, belle Casbah. Ce n’est par sentiment seulement, encore que ceux-ci comptent beaucoup. Ce n’est pas non plus par envie de m’élancer dans une envolée lyrique sans fin. Peut-être ai-je simplement la nostalgie de mon enfance et de mon adolescence.
C’était dans les années 40 du siècle passé, période à laquelle je sillonnais passionnément les venelles, sans jamais me lasser de la vieille citadelle et, allant à l’aventure, y découvrais sa population de travailleurs, de petits artisans qui s’adonnaient avec constance à leur ouvrage plus ou moins – mais plutôt moins –nourricier et, hélas, aussi ses malheureux porteurs d’eau aux épaules meurtries par leur amphore de cuivre. Je suis sans doute un peu lyrique, pour me libérer de ce lyrisme inconvenant aux yeux de beaucoup, je me dois d’exprimer mes perceptions d’aujourd’hui mêlées d’indignation … et de révolte. Pourquoi ne pas le dire ?
On a beaucoup écrit et dit, même des voix autorisées se sont exprimées souvent avec indignation, parfois avec colère. Ces lignes ne sont pas celles d’un architecte ou d’un urbaniste qui réagirait probablement différemment, avec d’autres mots, avec plus d’intelligence aussi, devant la catastrophe menaçante qui nous fait verser des larmes aujourd’hui sur un patrimoine disparaissant avec les ans. Eux aussi, probablement, pleurent-ils devant le délabrement qui se présente à leurs yeux et dans l’indifférence sourde des gouvernants.
La Casbah si vulnérable est de la sorte, par abandon, effrontément outragée par ceux qui devraient lui accorder un minimum de considération, la prendre en charge après des promesses mille fois répétées, ? l’instar d’autres monuments comme la Ketchaoua ou le mausolée Sidi Abderrahmane.
La prendre en charge par respect, parce qu’elle a enfanté les dockers qui se sont battus courageusement pour la débarrasser dans un premier temps des truands et qui ont courageusement opposé, malgré les risques de perdre leur emploi, une indicible solidarité aux moments des guerres coloniales dont celle du Viet Nam, également parce qu’elle a été le siège du combat héroïque des héros de la guerre de libération nationale - ne citons que Taleb Abderrahmane dont Mohamed Rebah vient d’écrire la biographie – Ali la Pointe, les femmes, les jeunes et les hommes qui ont courageusement opposé leur poitrine aux balles des forces militaires colonialistes, lors des manifestations de décembre 1960. Citons aussi Bachir Hadj Ali qui mena le combat en qualité de secrétaire du PCA durant toute la guerre de libération nationale. N’oublions pas non plus les artistes qui nous enchantèrent avec le Chaabi.
Parce qu’elle mérite d’être mise en valeur et de ne pas être délaissée comme un bidonville au profit de quartiers aisés. Parce qu’elle mérite d’être rayonnante pour les touristes nationaux en priorité, bien sûr, et étrangers qui emporteraient avec eux le ravissement d’un passé historique qui ne doit pas être gommé de notre histoire.
J’ai eu le plaisir de visiter des villes, plus particulièrement au Maroc, en Grèce et en Espagne, où le passé n’est pas totalement oublié bien que les pouvoirs en place s’en désintéressent le plus souvent parce que l’argent prime sur tout. J’ai visité Grenade et son inestimable Alhambra, Séville, Cordoue en Andalousie, Mykonos en Grèce et d’autres villes ; Marrakech, Fès et Meknès et j’ai été ébahi par l’importance des travaux entrepris pour sauvegarder les monuments historiques et certaines résidences, constituant un riche patrimoine.
Je n’ai pas eu cette joie à Alger, pourtant une des plus vieilles cité du bassin méditerranéen et, lorsque j’y pense, mes yeux s’embuent d’amertume, de tristesse. Il y a peu, lors ma dernière visite, avec mon fils Pablo Nazim dans la citadelle, j’ai pu constater combien les dégâts s’étaient aggravés encore et encore et se perpétuaient à mon grand désespoir.
Comme disait Bouchama Abderramane, le premier président algérien de l’Ordre des architectes, dans son lyrisme inné et infini, dans son rêve inachevé de socialisme : « La Casbah sera le joyau, le diamant éblouissant enchâssé dans le diadème de blancheur, de verdure et de lignes enchanteresses de la ville nouvelle, débarrassée à jamais de toutes les laideurs et de toutes les salissures »
La restauration de ce lieu, précieux entre tous, devrait avoir le privilège d’être une priorité, avant les dépenses somptueuses et parfois sans urgence, telles les sommes consacrées à la construction de l’autoroute Est-Ouest qui n’a pas manqué d’entraîner une corruption sans limite, ou de bâtiments luxueux qui ne profitent qu’à une poignée d’individus ivres de leurs dinars.
Que restera-il bientôt de cette richesse, des vestiges, des gravats ?
Cette cité, la belle Casbah et surtout sa population qui survit dans la pauvreté et la misère ne méritent pas un tel sort ; les sacrifices innombrables et surhumains de ses enfants ne doivent pas être oubliés !
COTS Pierre
N. B. : les paraboles qui défigurent son visage peuvent être remplacées par le câble comme cela se fait ailleurs.