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Hors la loi Film de Rachid Bouchareb - L’esprit et l’intelligence dans l’art pour une véritable connaissance de l’Histoire
lundi 4 octobre 2010, par
L’esprit et l’intelligence dans l’art
pour une véritable connaissance de l’Histoire
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Il ne fait aucun doute que le dernier film de Bouchareb va marquer durablement le cinéma. Au travers d’une histoire romancée mais étroitement intriquée dans des faits historiques établis, ce film rappelle combien la lutte pour l’indépendance de l’Algérie a nécessité de sacrifices.
Hors la loi est un film conçu avec beaucoup d’intelligence. Il redonne avec éclat, la parole au peuple algérien dans des lieux et ? une époque où tous les discours travaillaient ? détourner l’attention du monde, de sa tragédie et de son destin.
La première scène du film saisit immédiatement et coupe le souffle. Un caïd préposé aux relations avec le peuple algérien, coursier de la puissance française, vient signifier, flanqué de deux gendarmes, ? une famille de paysans l’ordre de quitter son lopin dans les 3 jours. Au nom de la loi de la puissance occupante, le gros colon voisin va étendre son domaine en s’emparant de leur terre. En quelques plans, la gigantesque campagne de dépossession de la paysannerie algérienne est exposée sans fioritures.
D’autres grands moments sont ainsi abordés tel celui du 8 Mai 1945 et le massacre qui a été organisé ? Sétif et dans l’est algérien.
Ce que le film relate ? l’aide d’images et de scènes d’une force saisissante c’est que La violence est d’abord l’œuvre du colonialiste. Les Algériens auront emprunté en vain toutes les voies pacifiques et légales afin d’en finir avec l’oppression et la misère.
Le film rappelle bien que le 8 Mai 1945, les Algériens avaient manifesté pour l’obtention de leurs droits et il est notoire que la France coloniale qui fêtait avec toute l’Europe et l’Amérique, la fin de la guerre contre les nazis, n’avait pas imaginé d’autre solution dans des moments aussi majeurs de l’Histoire que de procéder ? une impitoyable et démentielle boucherie dans les villes algériennes de Sétif et Guelma alors que les populations n’étaient pas armées et que la majeure partie, y compris femmes, enfants, malades et vieillards furent massacrés ? l’intérieur même de leurs demeures.
Dans un autre grand film de Bouchareb « Indigènes », il montrera comment, alors que des peuples, d’Afrique (Tunisiens, Marocains, Sénégalais, Maliens...), des Malgaches, et des Algériens, avaient lutté pour participer ? la guerre mondiale et donc au combat contre le fascisme, la répression du colonialisme français n’a eu aucune hésitation face ? l’un de leurs peuples. On sait que les massacres du 8 mai 1945 furent réédités ? une échelle encore plus grande trois ans plus tard ? Madagascar. Plus de 80 000 Malgaches furent ? leur tour exterminés. L’impérialisme français n’a lésiné sur aucun moyen pour terroriser les peuples colonisés.
Avec un grand talent, Bouchareb évite de tomber dans le piège de déclarations tonitruantes du cinéma de sensation. Il parcourt le livre de l’Histoire de l’Algérie. Il reprend des points historiquement établis et extrêmement sensibles du cheminement algérien depuis la colonisation jusqu’ ? l’indépendance et pose un regard sur la lutte qui s’est déroulée dans le pays occupant, en France, renforçant celle qui avait lieu en Algérie. Il rappelle comment s’est organisée la communauté algérienne expatriée pour mener elle aussi le combat. Ce fut la première fois qu’un peuple colonisé et en lutte, a transporté sa lutte de libération jusqu’ ? l’intérieur du pays oppresseur.
Par ses scènes et des actions d’une grande rigueur il raconte l’Histoire d’Algérie dans la vie de ces trois frères mis ? nu face ? nous, des faits établis et bien connus des historiens sur l’occupation coloniale implacable et la lutte de libération du joug colonial français.
Il donne ? voir la souffrance infinie d’un peuple déchiré qui fut aussi contraint de fuir, contraint de se retrouver dans le pays occupant lui-même et auquel fut arraché tout espoir après qu’on lui eut volé sa terre.
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Les points les plus sensibles sont parcourus sans pesanteur ni excès mais avec gravité. Il relate l’Algérie durant la lutte de libération nationale ? travers la saga d’une famille, de 3 frères qui n’auront pas les mêmes motivations et qui chercheront chacun une voie pour redonner ? entendre et ? voir que l’Algérie existe et veut être libre.
Nous replongeons dans les bidonvilles, tel celui de Nanterre en particulier, le si tristement célèbre où furent parqués les Algériens misérables qui pour pouvoir survivre, s’engouffrèrent dans les usines où ils donnèrent leur force de travail ? bas prix.
Et ce furent ces travailleurs l ? qui rejoignirent le FLN et lui donnèrent un peu de leurs misérables salaires d’ouvriers pour financer le combat libérateur de leur pays.
Bouchareb donnera ? voir également, la lutte terrible qui eut lieu entre le MNA et le FLN. Un film sera peut-être fait un jour qui expliquera et nous éclairera sur cet antagonisme lourd ? un moment crucial de notre Histoire.
Nous découvrons aussi les actions visibles et occultes de l’armée, de la DST (Direction de la Sécurité du territoire, …) qui ont travaillé ? saper le moral et l’espoir d’un peuple et de ses combattants de pouvoir un jour vivre libres.
Il montrera comment une partie du peuple français a intégré la lutte du peuple algérien. Parmi eux, les porteurs de valises qui ont tant fait et, d’autres composantes de ce peuple qui a défendu avec honneur ses grands idéaux de justice et de liberté comme les communistes français qui furent présents toujours, jusqu’ ? l’indépendance.
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Les enfants et les jeunes algériens vivant en France, dont les parents ou les grands parents sont originaires d’Algérie qui verront ce film, en apprendront beaucoup sur le pourquoi et le comment de l’installation de leur famille en France et la vie qu’ils ont menée. Quant ? ceux qui sont en Algérie, ils verront peut-être plus clairement, cette partie du combat qu’on mené des Algériens qui étaient exilés mais qui avaient pris l’engagement dans la misère, le racisme et l’oppression, de travailler ? la libération de leur pays et de leur peuple.
L’Algérie a participé ? la production de ce film. Il est ? espérer que la télévision algérienne le diffusera dès que cela sera possible.
Il est dommage que notre pays ait un déficit aussi désastreux et aussi dramatique de salles de cinéma qui semble ne pas déranger sachant les énormes budgets qui ont été claqués ? grands fracas dans cette période festivalière. Or nous pensons que « Hors la loi » est un film ? montrer partout dans le pays ainsi d’ailleurs que « Indigènes », film du même réalisateur qui retrace la participation des peuples colonisés aux combats atroce de la guerre mondiale, en qualité de chair ? canons.
Nous noterons les réactions assez vives qui ont eu lieu pour empêcher que « Hors la loi » soit projeté. A Marseille notamment, des menaces ? la bombe ont été lancées contre le film s’il venait ? être diffusé. Des Français ainsi que des harkis ont manifesté pour empêcher la projection du film. Le film dérange les nostalgiques du colonialisme. Mais pas seulement ces attardés de l’histoire. Il rend difficile l’entreprise de réhabilitation du colonialisme et les tentatives de recolonisation sous des formes indirectes qui n’excluent pas cependant des velléités d’intervention directes ? l’aide des prétextes les plus divers. Le film contribue ? exposer de façon magistrale les crimes du capitalisme qui est la matrice du colonialisme. C’est pourquoi il n’y a rien d’étonnant si des menaces sont agitées pour en perturber la présentation.
Pour finir, et pour dire un mot sur la longue durée de cette guerre, nous citerons l’historienne Annie Lacroix-Ritz [1] qui en donne les raisons véritables et explique que la guerre d’Algérie a duré si longtemps car le pouvoir français ne voulait absolument pas lâcher la manne pétrolière ? laquelle il avait accès en Algérie.
Ceci nous explique d’ailleurs les raisons de la volonté initiale de la France lors des négociations d’Evian, de donner le Nord aux Algériens mais de maintenir le Sahara, territoire français.
Alger républicain félicite Rachid Bouchareb pour la qualité de ce travail cinématographique. Il lui exprime ses encouragements les plus vifs pour qu’une une belle continuité soit imprimée ? son œuvre
Alger républicain
30 septembre 2010
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[1] Annie Lacroix-Ritz : « De manière systématique, les grandes banques, en Algérie, en Indochine avaient fait durer les guerres parce que cela permettait de ménager des compromis.
… La guerre d’Algérie a duré beaucoup plus qu’elle n’eut duré parce que l’on avait découvert du pétrole et parce que les grande banques ont trouvé nécessaire de se ménager dans les agréments futurs, une part essentielle sur ce pétrole.
… On ne peut pas faire l’histoire des tortures en Indochine comme on ne peut pas faire l’histoire des tortures en Algérie si on ne sait pas pourquoi l’État français a maintenu ces tortures ou le droit ? torturer pendant si longtemps… »
(Conférence suite ? la parution de l’ouvrage : « Le choix de la défaite - les élites françaises dans les années 30 » Annie Lacroix-Ritz - Armand Colin 2006)
http://www.youtube.com/watch?v=aoUatq7UdG4&feature=player_embedded#!