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Vivre dans les égouts de Bogota

vendredi 7 décembre 2012

Le gouvernement colombien développe une nouvelle image de son pays afin d’attirer massivement les capitaux étrangers tandis que l’extermination des individus jugés indésirables se perpétue dans la capitale.

C’est au mois de septembre dernier, lors de l’ouverture d’un match de football contre l’Uruguay, que la Colombie a dévoilé ce qu’elle désigne comme sa « nouvelle identité visuelle » à travers le lancement d’une vaste campagne publicitaire. [1]

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« La Colombie traverse un bon moment. Nous sommes en train de construire ensemble un pays meilleur. Aujourd’hui on nous regarde avec d’autres yeux, on parle de notre pays comme d’une étoile fulgurante. Nous possédons tout ce dont le monde a besoin et nous allons lui apporter des solutions » déclare le Président colombien Juan Manuel Santos dans le film publicitaire de la « Marque Colombie » aux côtés du Ministre du Commerce, et dont la diffusion coïncidait avec l’annonce de négociations de paix avec la guérilla. [2]

« La respuesta es Colombia »

Avec un budget publicitaire de 3 millions de dollars, l’État colombien vient en effet de s’offrir une nouvelle vitrine en déployant une opération médiatique d’envergure afin de promouvoir les différents secteurs de son économie pour tenter de « rectifier l’image négative » du pays et attirer les investisseurs du monde entier : ‘La respuesta es Colombia’ (La réponse c’est la Colombie). [3] Un autre projet d’envergure verra le jour en 2014 ? Bogota puisque la Colombie est en train de faire construire son plus haut gratte-ciel (66 étages), un projet immobilier pharaonique de 186 millions de dollars, symbole de cette ascension fulgurante que Monsieur Santos et son gouvernement ambitionnent pour les années ? venir. [4]

La paix, une affaire rentable

Après cinquante années d’un conflit interne sanglant financé par les Etats-Unis ? hauteur de 10 milliards de dollars via le Plan Colombie, et au cours duquel des dizaines de milliers de vie auront été sacrifiées, il est bien évident que le pays en paie un lourd tribut.

La guerre coûtant chaque année deux points de croissance à l’économie du pays, la signature hypothétique d’un accord pour mettre fin au conflit qui frappe le pays depuis plus d’un demi-siècle pourrait ainsi avoir des conséquences profondes sur l’économie nationale.

Pourtant, tandis que le Président Santos a le regard tourné vers les étoiles et se prend à rêver que le monde entier ne peut plus se passer de lui, de profondes inégalités sociales demeurent au cœur du conflit toujours en cours et d’innombrables violations des droits humains restent une constante à travers tout le pays.

Parmi un des aspects de cette véritable crise humanitaire que vit la Colombie, une réalité particulièrement sordide se déroule tout juste sous les pieds des habitants de Bogota, puisque c’est au fond des égouts que les sans-abris ont trouvé un bien sinistre refuge, pour tenter d’échapper aux opérations de « nettoyage social  » que les forces de police colombiennes et les escadrons de la mort pratiquent régulièrement dans la capitale.

Le nettoyage social en Colombie, une pratique de longue date

Le phénomène du « nettoyage social » ou limpieza social n’est pas nouveau en Colombie et fait son apparition à la fin des années 70.
 [5]

Ce sont les individus jugés indésirables pour la société, les « habitantes de las calle » (« habitants des rues ») qualifiés de « desechables » (« jetables ») qui sont les cibles de cette éradication de la pauvreté : enfants des rues, délinquants, toxicomanes, sans-abris, prostituées, travestis… Afin de « nettoyer » la société, des escadrons de la mort, les milices paramilitaires d’extrême droite, mais également les forces de police colombiennes, se livrent littéralement au massacre de ces personnes, depuis plusieurs décennies et en toute impunité. Une vaste tragédie dont l’écho est à peine perceptible et qui persiste jusqu’à ce jour.

Le « nettoyage social » est un phénomène diffus en Colombie et connaîtra différentes phases au cours des décennies avec, parfois, la diffusion de tracts dans certaines villes annonçant la venue de ces escadrons de la mort. Mais c’est peut-être plus particulièrement à Bogota, capitale de 8 millions d’habitants, qui compte la plus grande population de réfugiés du pays, que s’exerce sans relâche ce procédé infâme auquel les autorités colombiennes ont recours. [6]

Descente aux enfers

Un documentaire intitulé «  Les égouts de Bogota  », réalisé par Vice Magazine, nous emmène au fond des égouts de la capitale colombienne et dévoile le sinistre quotidien de ces personnes condamnées à la déchéance. Transis de froid, crevant de faim, des hommes, des femmes et des enfants survivent dans l’obscurité, au milieu d’excréments humains, entourés de rats et de détritus, dans la misère la plus extrême et sous la menace permanente du « nettoyage social » dont ils savent qu’ils sont la cible. [7]

Le Docteur Jaime Jaramillo est une des rares personnes en Colombie à venir en aide aux personnes vivant dans les égouts et a fait sortir des centaines d’enfants des canalisations de Bogota. C’est dans les années 70 que le Docteur Jaime Jaramillo, ou comme on le surnomme en Colombie « Papa Jaime », a commencé à descendre dans les égouts afin de sauver les enfants des rues des abus et de la mort. [8]

« J’étais asthmatique et je n’arrivais pas croire que des êtres humains puissent vivre comme çà », raconte le Docteur qui a créé la Fondation Enfants des Andes, une organisation sanitaire et sociale qui recueille, soigne, éduque et socialise ces enfants qui ont vécu les pires souffrances. « Malheureusement, pour pouvoir manger ces enfants doivent voler, et pour voler ils doivent prendre de la drogue. C’est un cercle vicieux. » explique t-il.

« Quand c’est ton tour, c’est ton tour »

Contraints de se terrer dans les égouts où ils continuent d’être traqués par la police et les escadrons de la mort, des hommes, des femmes et des enfants sont les victimes d’agressions barbares. Pedro, qui a survécu à une agression au couteau, témoigne : « Il y a six mois les paramilitaires sont venus et ont mis le feu à une petite fille. Ils ont versé de l’essence sur elle et l’ont enflammée. C’est terrible. » Lorsque leurs agresseurs ne peuvent pas les atteindre par balles ou au couteau alors ils déversent de l’essence dans les bouches d’égouts et y mettent le feu. 22 enfants sont ainsi morts brûlés vifs. Le harcèlement par la police, qui agit généralement le dimanche, est permanent et les pousse à se réfugier au plus profond des canalisations de la ville.

« Ils viennent constamment ici, t’attrapent et t’emmènent au poste de police. Là ils te frappent dur et t’aspergent avec un puissant jet d’eau. Ils te disent que tu es bon pour le nettoyage social. Ils ne te disent pas quand mais quand c’est ton tour, c’est ton tour », raconte Roberto. Un autre homme, Pablo, raconte qu’il a perdu sa femme, emportée par une brusque montée des eaux dans les canalisations lors d’une forte pluie à Bogota.

L’année dernière, une pétition en ligne a été lancé sur internet par le site Care2 afin d’attirer l’attention de l’opinion internationale sur le cas du « nettoyage social » en Colombie et pour demander au Président Juan Manuel Santos, au Ministre de la Défense et au Directeur de la Police Nationale que cesse enfin le massacre des sans-abri par les forces de l’ordre et autres escadrons de la mort. La pétition a rassemblé près de 25.000 signatures des quatre coins du monde mais n’aura, semble-t-il, connu aucune suite… [9]

Alors que viennent tout juste de s’engager des pourparlers entre le gouvernement et la guérilla, la Colombie, troisième pays le plus inégalitaire au monde, figure toujours sur la liste noire des différents organismes des droits de l’Homme. Tout récemment, la Cour pénale Internationale vient d’émettre un rapport sur la situation de la Colombie et adresse clairement, à travers celui-ci, un dernier avertissement à l’État colombien afin que des changements importants soient mis en œuvre dans la politique pénale de ce pays. [10]

Une vidéo qui raconte : http://www.youtube.com/watch?featur...;;v=X4koXeZvAfg

Source : Libertad


Voir en ligne : In Investig’action


[1La marque Colombie se déplace partout dans le monde – vidéo 10 septembre 2012
http://www.youtube.com/watch?featur...;;NR=1&...

[2Marca Colombia (La Marque Colombie) – vidéo 7 septembre 2012
http://www.youtube.com/watch?v=ktW5...

[3Marca Colombia – site internet du gouvernement colombien
http://www.colombia.co/

[4Financement participatif pour le plus haut gratte-ciel de Colombie – article SmartPlanet du 10 octobre 2012
http://www.smartplanet.fr/smart-peo......
Projet BD Bacata (Bogota Downtown) – vidéo 17 juillet 2012
http://www.youtube.com/watch?v=KpVb...;;feature=share...

[5Marginalité et répression en Colombie : le cas du « nettoyage social » (Thèse de Doctorat de Delphine Minotti-Vu Ngoc, 2002, Département d’Etudes ibériques et ibéro-américaines) http://delphine.minotti.free.fr/the...

[6Colombie : La nouvelle phase du « nettoyage social » - article Tlaxcala du 5 avril 2009
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?lg=fr...;;reference=7381

[7Les égouts de Bogota – vidéo 18 mai 2012
http://www.youtube.com/watch?v=X4ko...

[8Qui est Papa Jaime - vidéo 2011

http://www.youtube.com/watch?v=MWpM...;;feature=relat...

[9Des milliers de sans-abri massacrés, obligés de vivre dans les égouts - article Care2 petitionsite du 5 décembre 2011 http://www.care2.com/causes/thousan......
Colombie, stop à l’assassinat des sans-abri au nom du nettoyage social ! (pétition en ligne)
http://www.thepetitionsite.com/1/co......

[10La Cour Pénale Internationale adresse un dernier avertissement à la Colombie - article Fédération Internationale des Droits de l’Homme du 15 novembre 2012
http://www.fidh.org/La-Cour-Penale-...