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Abderrahmane Fardeheb il y a 20 ans
lundi 29 septembre 2014, par
Il y a 20 ans, le 26 septembre 1994, Abderrahmane Fardeheb était assassiné sous les yeux de sa fille qu’il emmenait à l’école. Ce meurtre fut exécuté par une bande de criminels qui se revendiquaient d’une conception rétrograde de l’Islam.
Il s’inscrivait dans une opération de liquidation des hommes de progrès commanditée pour faciliter le passage à l’accaparement des richesses du pays par les classes sociales privilégiées et prédatrices.
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"Né le 23 mai 1944 à Maghnia, Abderrahmane Fardeheb était connu pour être un grand humaniste, un syndicaliste acharné et un défenseur assidu des idées de progrès et de démocratie. Après l’obtention de son baccalauréat, en 1963, il a poursuivi ses études universitaires en sciences économiques à l’université d’Alger. Par la suite, il a embrassé, dès les années 1970, une carrière universitaire à Oran, durant laquelle il a dirigé différents travaux"
(El Watan du 27 septembre 2014).
Sa fille Amel a rédigé cette lettre afin que nul n’oublie que la "bête immonde" est toujours là.
Lettre pour l’Au-delà
( in El Watan du 27/09/2014)
20 ans, 20 ans depuis que tu es parti, assassiné. Il y a 20 ans, c’est toute une vie qui a basculé. Nous avons été contraints à l’exil. Toi tu n’es plus, mort, à tout juste 50 ans. Nous avions fêté tes 50 ans cette année-là en famille, en présence d’une de mes tantes ainsi que de mon oncle. Je me souviens encore de l’ambiance qui y régnait, des éclats de rire. Tu aimais dire que tu avais un demi-siècle ! Tu avais soufflé tes bougies, tu étais heureux.
Assassiné. Un mot encore difficilement prononçable. Peut-être même tabou. Car c’est reconnaître, qu’un jour en Algérie, des gens mouraient assassinés. Assassinés parce qu’ils affirmaient leur opinion, assassinés parce qu’ils refusaient le diktat, assassinés parce qu’ils résistaient en continuant à sortir, à aller travailler, à rejoindre les écoles... A vivre !
Aujourd’hui, il y a un déni, un déni du passé. On veut tellement dire que « tout va bien », que le pays ne souffre d’aucun mal, qu’« El hamdoullah, labas bina »... que rappeler la période de ladite « décennie noire » devient presque gênant. Oui, je perçois encore et toujours de la gêne chez certaines personnes. D’autres préfèrent même débattre de ce qui se passe ailleurs, des maux dans d’autres sociétés, mais de grâce « épargnez-nous la décennie » !
Pourquoi ?
Est-ce parce que cette tragédie n’était qu’un mauvais rêve qu’il fallait vite oublier ? Est-ce parce le problème n’a jamais été réellement résolu et qu’on a peur de réveiller la bête qui sommeille et qui demeure toujours présente ? Est-ce parce que justice n’a pas été rendue à toutes les victimes du terrorisme et que l’on estime, de façon d’ailleurs très approximative à 200 000 morts ?
Mais comme disent certaines personnes, « El hamdoullah, l’amnistie a ramené la paix » ! La paix, oui, mais pas à n’importe quel prix. La paix, oui, mais pas une paix intermittente ! Je ne veux pas de cette paix qui m’impose de pardonner à ceux qui m’ont faite orpheline. Par coup de décret, il a fallu apprendre à vivre avec cette idée, que les bourreaux d’hier, des terroristes amnistiés, vivent dans l’impunité la plus absolue et bénéficient d’une liberté sans failles.
Ma mémoire reste vivace et me dicte de réclamer justice. La mémoire ! Que dicte la mémoire, celle qui refuse l’oubli ? Ma mémoire à moi me porte à inscrire dans les profondeurs de l’âme ce que je ne veux pas effacer, elle garde vivace le mal que l’on m’a fait. Et jusqu’à mon dernier souffle, je dénoncerai les actes barbares des terroristes en Algérie. Je demanderai que la justice remplisse le rôle pour lequel elle est faite : celui de juger les criminels. On vient m’obliger à enterrer les souvenirs d’une tragédie meurtrière. Oh non ! C’est trop facile. Le drame des années noires a atteint des proportions si démesurées qu’il ne reste plus de place sur terre pour l’ensevelir. On aura beau s’ingénier, il reste apparent, et donc gravé dans les mémoires des plus frileux. L’amnésie même ne pourra l’engloutir, il est trop gros.
Impunité, voilà ce qui résume 10 années de terrorisme islamiste
Le paysage de l’Algérie de mon enfance s’est effacé. Mais, que l’Algérie d’avant disparaisse, c’est finalement normal, le temps y a laissé ses empreintes. Que je sois nostalgique du passé, là encore c’est bien normal. Mais l’absence de justice, plus encore, le fait qu’elle ne soit même pas à l’ordre du jour, ce n’est pas normal et me laisse amère. Qu’on ne me parle surtout pas de fatalité !
J’ai pourtant tenté, mais en vain, de comprendre comment cela a fonctionné dans d’autres pays, comment s’organise le vivre-ensemble, et l’acceptation du « tourner la page » et « passer à autre chose »... Je me suis inspirée d’autres expériences, dans d’autres pays... et j’avoue que je n’y arrive pas. Il y a une grande absente en Algérie : Dame Justice ! Je continue à espérer, qu’un jour, tous les crimes et massacres soient reconnus et qu’un mémorial soit enfin érigé au nom de toutes les victimes de la barbarie et de l’obscurantisme. Je continue à espérer une Algérie moins violente et moins archaïque. Je continue à espérer une Algérie moderne, avec une réelle démocratie installée et ancrée, plutôt qu’une démocratie approximative et une paix civile fragile.
Cette année encore, pour la vingtième année, ta famille, tes amis et tes collègues te rendent hommage.Repose en paix papa, toi et tous ceux sacrifiés pour une Algérie moderne et libre.