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Adieu Rabah !
jeudi 15 octobre 2009, par
Je me contenterai de relater les moments ou nos destins se sont croisés jusqu’à ce jour de juin 2008 où je le revis pour la dernière au cimetière d’El Madania pour la commémoration du sacrifice au combat d’Henri Maillot. Il était fatigué mais, à 80 ans, il était venu comme beaucoup d’anciens dirigeants nationalistes de progrès aux côtés des militants communistes braver l’interdiction annoncée de la cérémonie par les autorités…
Il avait demandé après moi, je l’ai cherché dans la foule et on s’est retrouvé quelques instants contents de nous revoir, peu bavards comme d’habitude l’un et l’autre ! On s’est promis de se revoir plus longtemps …
Notre première rencontre avait eu lieu juste après l’indépendance, en été, en France au cours d’un stage de formation des cadres de la Fédération de France du FLN. Ça faisait chaud au cœur, à la sortie de la clandestinité, de retrouver et de mettre un nom et un visage sur tous ses militants, femmes et hommes, et dirigeants de la lutte de la libération nationale. Nous sommes rentrés pour construire le pays et chacun avait tracé son chemin : j’avais choisi de rejoindre le PCA (Parti Communiste Algérien) et le journal Alger Républicain, Rabah sera député dans la première législature de l’Assemblée nationale et membre du comité central après le 1er congrès du FLN, avant d’être nommé préfet d’Alger.
Pendant toute cette période nos relations se poursuivirent, en dehors des rencontres des deux familles. Il m’appelait souvent à Alger républicain pour discuter, me demander un avis, exposer une idée. Nos discussions étaient toujours correctes et fraternelles même quand nous abordions nos divergences idéologiques et politiques. Je me rappelle, par exemple, de cette discussion, informelle, très tendue et serrée en marge du séminaire économique afro-asiatique tenue à Alger au printemps 1965.
Che Guevara défendait un point de vue disant que l’URSS n’aidait pas suffisamment les pays en voie de développement et qu’elle devait fournir des équipements et des usines à des prix inférieurs à ceux des pays impérialistes. Un tiers-mondisme débridé. Les ambassadeurs de Yougoslavie et de Tunisie étaient aux anges et en remettaient une couche : « les Russes vendent de vieilles usines, en les faisant passer pour neuves, après un coup de pinceau ! » Le représentant du FNL du Vietnam, prudent, ne disait rien. Rabah se rapprochait du point de vue de Guevara. Je contrais ce point de vue en disant que l’important était déjà d’avoir brisé le monopole que détenaient les pays impérialistes développés sur le commerce international et l’industrie, que les pays en voie de développement étaient très hétérogènes, que l’URSS (comme les autres pays socialistes) devait elle aussi rattraper son retard et assurer sa défense, que les pays du Tiers Monde devaient d’abord compter sur leurs propres forces et qu’il n’était pas question de subventionner les bourgeoisies de ces pays …
Alger Républicain du lendemain développa un point de vue plus complet. Entre Rabah et moi il y eu un nuage mais pas un conflit !
Au lendemain du coup d’Etat du 19 juin 1965, Rabah ne fut plus préfet. Je ne fus plus journaliste, après la disparition d’Alger Rép. Je le harcelais après les arrestations et les tortures subies par les progressistes et camarades. Il disait qu’il n’était pas inactif et que lui et ses amis essayaient de faire quelque chose.
En décembre il me demanda de passer le voir chez lui dans sa maison au dessus du Télemly. Je trouve l’ancien préfet en bleu, une brique dans une main et la truelle dans l’autre : il était en train de retaper lui-même sa maison. Sa proposition : faire équipe avec lui dans le lancement d’un projet industriel d’Etat dans le cuir. Je fus emballé par la proposition d’autant qu’il fallait suivre le projet de « a à z », depuis la construction jusqu’aux essais et la gestion de l’usine. J’étais dans mon élément et je quitte rapidement les assurances pour rejoindre l’équipe.
J’avais posé une seule « condition » : le recrutement d’un certain nombre de camarades qui venaient d’être libérés de prison et de deux femmes de camarades contraints à la clandestinité. Rabah répondit "oui" naturellement et c’est ainsi qu’une vingtaine de familles allaient retrouver un revenu et autant de camarades un travail. Le directeur général n’allait jamais regretter cette courageuse décision. Il trouva à ses côtés une équipe compétente, travailleuse, honnête, favorable au secteur d’Etat … Cette tradition d’orientation progressiste allait se poursuivre pendant longtemps dans le secteur du cuir et de la chaussure. La seule défection involontaire fut la mienne.
Mais avant d’en arriver à cette péripétie, je voudrais relater un moment douloureux de sa vie. Un jour, Rabah m’appelle de Paris oû il était en mission officielle pour le compte de l’entreprise TAL, pour dire qu’il venait d’apprendre le décès de son père et qu’il ne pouvait arriver à temps pour l’enterrement. Il me demanda d’y aller. Je me rendis juste à temps à Tizi Rached pour accompagner « à sa place » son père jusqu’à sa dernière demeure, au milieu des chants religieux, un rameau à la main …
Le jour ou mon père mourut, je ne pus aller consoler ma mère, pour des raisons de sécurité. Mais Rabah et Salima son épouse furent présents.
En effet, fin 1967 la gendarmerie se lança à ma recherche, presque toute l’organisation du PAGS de la zone industrielle de Rouiba venait de tomber … J’eus le temps de rejoindre le Parti dans la clandestinité.
Quand nous nous revîmes 25 ans après, Rabah me dit avec beaucoup de tendresse et le sourire qu’on lui connaît quand il voulait masquer une émotion : « tu a passé presque la moitié de ta vie en clandestinité ! ».
Depuis nous nous sommes rencontrés souvent au hasard des manifestations contre l’intégrisme et le terrorisme islamiste : « Djazair hourra démocratia ! »
Le dernier rendez-vous raté fut celui de juin 2009 pour l’hommage à Maillot. Salima y était. Je la félicite pour son excellent papier publié dans la presse en hommage aux sportives et sportifs de plusieurs générations. Je lui demande si Rabah allait venir. Elle me dit qu’il était malade. Le tourbillon de la vie ne me permit pas de le revoir chez lui, hélas !
Nous venons de perdre un moudjahed authentique !
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Alger, le 12 octobre 2009.
A. Noureddine