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"Apprenons de nos luttes - Octobre 1988 et nos amis de Ain Benian"
lundi 21 février 2011
Un ancien militant du PAGS raconte comment il a initié la riposte des citoyens de Aïn Benian à la répression du pouvoir en octobre 1988
Le témoignage qui suit est un hommage réel sans exagération au combat des militants du PAGS pour mobiliser les citoyens à la base contre la répression et la torture.
Saadallah était militant du PAGS en 1988. Il avait agi en militant conscient de ce parti comme des centaines de "pagsistes" l’avaient fait, parmi lesquels ceux qui avaient été emprisonnés et soumis à la torture dans les casernes et les commissariats, dès leur arrestation le 4 octobre 1988, vingt-quatre heures avant le début des manifestations. Il n’y a que des anticommunistes primaires pour tenter de déformer ces faits. La narration des faits par Saadallah est éloquente !
La liquidation du PAGS a été une tragédie pour les travailleurs, la population laborieuse, le pays, les patriotes, les progressistes et les communistes, au moment ou ils allaient affronter dans un combat dur et sanglant, la déferlante terroriste islamiste et la destruction des acquis du développement et du progrès social par les partisans du tournant en grand vers le capitalisme. Cette liquidation a plongé de nombreux militants dans le désarroi et les errements. Des militants autrefois valeureux ont sombré dans les reniements et ont même glissé sur des positions anticommunistes. A partir du moment où ils ont abandonné le terrain de la lutte pour le socialisme ils se sont placés sur celui des pires ennemis des aspirations des travailleurs à une vie meilleure, dans une société débarrassée de l’exploitation et de l’oppression.
D’autres ont cependant maintenu le cap sur les idéaux de progrès.
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Alger républicain
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"Apprenons de nos luttes Octobre 1988 et nos amis d’Ain Benian"
En ces moments difficiles, pleins d’espoirs, d’incertitudes et de risques, il est vital de trouver les meilleures formes d’organisation, de recherche des meilleures tactiques et stratégies, tout en apprenant des succès et des erreurs dans et au cours des luttes ; je pense qu’il est utile de puiser dans notre expérience de luttes communes pour en tirer les meilleurs enseignements.
Aussi j’ai cherché dans mes archives et dans ma mémoire pour y contribuer, à cet effet comment nous nous sommes organisés au cours du mois d’Octobre 1988 (cela remonteà 23 ans !), à la suite de la répression sanglante, brutale et violente qui a eu lieu partout en Algérie et notamment à la ville de Ain Benian (à 15 km à l’Ouest d’ Alger), qui a été particulièrement touchée par les émeutes et aussi par la répression qui a suivi.
Près d’une centaine de personnes avaient été arrêtées laissant leurs proches sans aucune nouvelle.
Je rédige ce texte en étant isolé de mes anciens compagnons de lutte, et forcement je ne vais pas citer de noms, mais ils savent tous que c’était une lutte commune, à la base et sur le terrain côte à côte avec tous les Algériens et ils se reconnaitront.
Le jour d’explosion, le 5 octobre 1988, en fin de journée je devais rentrer et récupérer des personnes sur mon passage et en déposer certaines sur ma route. A la sortie du grand Alger je voyais une colonne de fumée noire qui pouvait venir de Ain Benian ; en effet c’était la grande surface “Souk El Fellah” à la sortie Ouest de Ain Benian qui brulait comme une torche. Je me suis arrêté une fois en face pour voir les dégâts et les quelques personnes qui essayaient de récupérer ce qu’elles pouvaient.
Le lendemain les rues du centre offraient une vue désolante, la Kasma FLN (siège local du parti unique au pouvoir) saccagé et tout le mobilier et documents jetés dehors dans le rue, je n’avais d’yeux que pour la ronéo, mon arme préférée de combat et la seule avec un seul tir : les TRACTS !
On annonçait l’armée pour bientôt et je m’attendais à des répressions, alors que j’étais obligé de rester à Ain Benian pour probablement quelques jours, coupé des contacts et conseils d’amis d’Alger, et dans mon esprit une chose devenait primordiale : comment organiser la résistance localement ?
Il nous fallait un comité local pour réfléchir et prendre des initiatives, aussi je pris la décision de rédiger à la main sur une demi-page le texte suivant :
“Nous, sous-signataires et citoyens de Ain Benian, déclarons nous constituer librement en COMITÉ DE DÉFENSE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES. Nous lutterons par des moyens pacifiques pour que soient bannis à jamais à Ain Benian et dans le pays la répression massive, la torture, les sévices corporels, les atteintes à la dignité humaine, la torture morale et les pressions de toutes sortes pouvant être exercées par les autorités policières, militaires et civiles contre les libertés individuelles.
Nous nous fixons comme tache immédiate de recueillir les témoignages des torturés et de les publier avec le consentement de ces derniers. Nous les aiderons moralement et matériellement à dénoncer les tortionnaires et à les poursuivre en justice. Nous apportons notre contribution pour soigner les blessés et pour réconforter moralement et matériellement les familles des victimes”.
J’en avais fait une dizaine de manuscrits au stylo. Par la suite à travers le réseau existant et entrain de se développer, les tracts manuscrits commençaient à circuler et à être reproduits par d’autres, sous formes manuscrites.
La répression avait réellement commencé et on parlait déjà d’une centaine d’arrestation, un mort par balles à bout portant, des jeunes et des adolescents pour la plupart, les parents ne savaient même pas où ils avaient été internés.
On fixa la date du 30 Octobre comme, date pour un rassemblement devant la maison de la culture, mettant fin ? la préparation clandestine pour passer à la lutte visible et publique. Nous avons convenu qu’un groupe prendrait les devants et qu’en cas d’arrestation, un autre prendrait la relève pour diriger et organiser le mouvement.
Ce jour là je parti tôt à l’Université, où j’enseignais, pour trouver les moyens et le moment discret pour taper le texte de base sur une demi-page et conserver la feuille soigneusement entre 2 feuilles cartonnées.
De retour à Ain Benian, le soir à l’endroit convenu, une foule impressionnante était là, avec le maire, le chef de la gendarmerie et plusieurs policiers civils qui, sans être invités, se trouvaient aussi là.
Dans la discussion au milieu de la foule, j’expliquai que nous allons créer légalement une association, et que pour cela nous allons utiliser la salle de la maison des jeunes. Comme par hasard le maire n’avait pas la clef de la salle et qu’il fallait attendre. En attendant je pris la parole en m’adressant à la foule directement, le meeting commençait ! Quelques minutes plus tard, comme par hasard la clef avait été trouvée et la porte fut ouverte ! La salle fut archi comble !
Au cours du meeting, je me rappelle que des paroles avaient fait vibrer toute la salle, notamment le fait d’avoir dit haut et fort que :
- Il faut comme article numéro 1 dans la Constitution que “l’Armée ne doit jamais tirer sur le peuple”
- L’expression “à partir de maintenant tout ce que vous dites peut être retenu contre vous, vous avez le droit de vous taire, le droit à un avocat et à un coup de fil” nous ne voulons pas l’entendre uniquement dans les films policiers occidentaux, mais dans chaque commissariat de police, chaque bureau des services de sécurités et de l’Etat.
- Quelque soit le motif d’arrestation, la personne arrêtée doit être traitée avec dignité, ne doit en aucun cas être maltraitée, torturée ou tout autre forme de sévices corporels et moraux.
- Nous le disons haut et fort et encore plus nous l’écrivons noir sur blanc et signons avec nos noms et prenons et vous savez où nous habitons si vous voulez nous arrêter !
Une fois avoir lu le texte, que j’avais ramené avec moi, je pris le stylo et j’écris mon nom et je signai !
Tous se sont alignés pour signer, mais comme il n’y avait qu’une seule feuille, seulement 65 avaient pu signer en mettant leur nom et prénom. Nous nous sommes quittés en nous donnons rendez vous pour demain même heure même place.
Je suis rentré chez moi en étant persuadé que durant la nuit, on allait me faire disparaitre !
J’ai pris soins de bien cacher le document signé. Le lendemain je parti tôt à l’Université à Alger, et de nouveau j’ai trouvé les moyens pour faire le stencil électronique et tirer plusieurs centaines d’exemplaires.
Comme convenu vers midi, j’étais de retour à Ain Benian pour faire la tournée et distribuer les paquets de “tracts” à des amis de lutte qui se sont chargés du reste de la diffusion. En moins d’une heure, la déclaration de la naissance du CDLD (Comite De Défense Des Libertés Démocratiques), était placardée sur toutes les vitrines des magasins et cafés du centre de Ain Benian.
Le soir comme convenu, nous nous sommes retrouvés à la maison de la culture, à la suite des débats et prises de parole un programme d’action avait pris forme : à partir de demain envoyer des délégations et des télégrammes à diverses autorités de la commune, daira (arrondissement) et wilaya (département) et à la présidence pour demander le droit de visite des prisonniers, et de nouveau le rendez vous était pris pour le lendemain soir même heure et endroit. Et ce fut ce rythme pendant des jours et des jours !
Sans aller jusqu’aux détails et pour faire court, cette lutte avait continué, les prisonniers avaient été relâchés, la plupart avaient été maltraités et torturés. Nous avons continué à lutter pour organiser les témoignages sur place lors d’un grand meeting dans la salle de cinéma comble (la Soummam !). Une partie des témoignages avaient été recueillis par écrit, pendant plusieurs jours, dans différents cafés par plusieurs en même temps et dans différentes places. J’avais pris les originaux qui avaient été donnés à une femme admirable qui en a fait la frappe gratuitement “C’est ma contribution avait-elle dit !”. Ils seront publiés plus tard sous les numéros de 1 à 23 dans le livre noir d’Octobre 88 édité par le Comité National Contre la Torture. Toute une autre série d’expériences de luttes, à écrire un jour.
Le CDLD avait continué à lutter avec la population locale pendant plusieurs mois au cours de la période 1988-89 pour que finalement lors d’un rassemblement au début de l’été 1989, nous avons été kidnappés du milieu des manifestants, maltraités et emprisonnés tout l’été 89. A Ain Benian la lutte avait continué encore plus jusqu’à notre libération à la fin de l’été 89, nous étions 12. Encore une autre séries d’expériences de lutte, à rédiger !
J’ai pu avoir un exemplaire de ce tract, acte de naissance du CDLD signé par les 65, au cours d’une de mes visites à Ain Benian, un ami, que je remercie, me l’avait donné. Je l’ai scanné et inséré à ce texte.
Ce texte a été envoyé à plusieurs journaux pour être publié, je remercie ceux qui l’ont fait et je comprends ceux qui ne l’ont pas fait pour diverses raisons, je respecte leur décision.
Dr Abdelkader Saadallah,
14 février 2011.