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Auschwitz dans la mémoire des libérateurs et des libérés
mardi 27 janvier 2015
La Russie marque le 70ème anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz : le 27 janvier 1945, l’Armée soviétique, sous le commandement du maréchal Ivan Konev, libérait Auschwitz, le plus grand camp de concentration et d’extermination du Troisième Reich. RBTH publie des témoignages.
Les prisonniers d’Auschwitz ont été libérés par quatre divisions d’infanterie de l’Armée Rouge. L’offensive était menée par les 107ème et 100ème divisions. Dans cette dernière se trouvait le commandant Anatoli Chapiro, dont le détachement est arrivé le premier aux portes du camp.
Il raconte :
Dans l’après-midi, nous sommes entrés dans l’enceinte du camp, nous avons emprunté la porte principale portant l’inscription « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre). Il était impossible de pénétrer dans les baraques sans masque respiratoire. Des cadavres gisaient sur des châlits à deux étages. On voyait sortir de temps à autre des couchettes un squelette à demi-vivant qui jurait qu’il n’est pas juif. Personne ne croyait à une possible libération.
Il restait alors environ 7 000 détenus dans le camp, dont la prisonnière N74233 (le nom n’a pas été établi) :
J’ai vu tout à coup sur la route près du camp des silhouettes vêtues de blanc et de gris. Il était environ 17h00. Nous avons pensé qu’il s’agissait de prisonniers qui rentraient. Je suis sortie de la pharmacie pour voir qui c’était. Un vrai bonheur nous a envahis quand nous avons vu des éclaireurs soviétiques.
On n’en finissait pas de les saluer et de les embrasser. Ils nous disaient de partir, nous expliquaient qu’il ne fallait pas rester ici tant que l’ennemi n’était pas localisé. On reculait, mais après avoir fait quelques pas, on revenait.
Le général de division Vassili Petrenko, qui était en 1945 commandant de la 107ème division d’infanterie, est entré dans le camp peu après Anatoli Chapiro. Il évoque ce moment dans ses mémoires intitulées Avant et après l’Holocauste :
Les nazis ont emmené le 18 janvier tous ceux qui pouvaient marcher et ont abandonné les malades et les faibles. Nous avons su que le nombre de prisonniers dépassait 10 000. Ceux qui pouvaient marcher – ils étaient peu nombreux – ont pris la fuite quand notre armée s’est approchée du camp.
Nos troupes ont dirigé dans le camp les unités sanitaires des 108ème, 322ème et 107ème (la mienne) divisions. Les bataillons sanitaires de ces trois divisions ont déployé des bains, selon un ordre dans l’armée. L’alimentation était organisée également par ces divisions, avec des cuisines de campagne.
Le commandant de compagnie Vassili Gromadski a été lui aussi l’un des premiers à pénétrer dans « le camp de la mort » :
Les portes étaient verrouillées. Je ne sais même pas si c’était l’entrée principale ou une autre. J’ai donné l’ordre de casser le verrou. Il n’y avait personne. Nous avons marché sur environ deux cents mètres et nous avons vu des prisonniers : environ 300 personnes en vêtements rayés. Nous restions sur nos gardes, car nous étions prévenus que les Allemands enfilaient de tels vêtements.
Mais c’était vraiment des détenus. Ils pleuraient et nous serraient contre eux. Ils parlaient de l’extermination de millions de personnes. Je m’en souviens encore : ils nous ont dit que les poussettes à elles seules avaient formé tout un convoi de douze wagons.
Ivan Martynouchkine avait 21 ans en 1945. Il était lieutenant-chef et commandait une compagnie de mitrailleuses de la 322ème division d’infanterie. Il a découvert au dernier moment qu’il avait été envoyé libérer un camp de concentration :
Ma compagnie est arrivée à un portail, mais la nuit étant tombée, nous avons décidé de ne pas entrer. Nous avons occupé le poste de garde situé en dehors du camp. Il y faisait très chaud, nous avons même pensé que les Allemands avaient préparé le bâtiment pour eux.
Le lendemain, nous avons commencé le nettoyage. Il y avait un grand village, Brzezinka (Birkenau en allemand), avec de solides maisons en pierre. À peine entrés, nous sommes devenus la cible de tirs depuis l’un des bâtiments. Nous nous sommes planqués et nous avons pris contact avec le commandement pour demander une frappe d’artillerie, afin que l’on puisse continuer notre chemin.
À notre grande surprise, on nous a répondu qu’il n’était pas question d’employer l’artillerie parce qu’il y avait dans le secteur un camp de prisonniers et qu’il était indispensable d’éviter tout échange de tirs. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous avons réalisé ce qu’était le portail.
Les militaires entrés dans le camp ont été suivis de reporters, ceux du journal de division de la 38ème armée, Oucher Margoulis et Guennadi Savine. Voici leurs témoignages :
Nous sommes entrés dans un bâtiment en pierre et nous avons jeté un coup d’œil aux compartiments dont les portes n’étaient pas fermées. Nous avons vu dans le premier un tas de vêtements pour enfants : des petits manteaux, des pantalons, des vestes et des blouses, souvent tachés de sang. Un autre était rempli de caisses pleines de bridges et de couronnes en or. Un troisième contenait des caisses avec des cheveux des prisonnières.
Enfin, une femme [détenue du camp, ndlr] nous a fait entrer dans un compartiment avec d’élégants sacs à main, des abat-jours, des portefeuilles et d’autres articles en cuir. « C’est en peau d’homme », a-t-elle précisé.
Une fois Auschwitz libéré, un nouvel officier a été nommé chef du commandement de la ville. C’est Grigori Yelissavetinski, qui écrit à sa femme le 4 février 1945 :
Il y a dans le camp une baraque d’enfants où sont rassemblés des petits Juifs de différents âges (notamment des jumeaux). Ils servaient de cobayes humains pour des expériences. J’ai vu un garçon de 14 ans à qui du kérosène avait été injecté dans les veines à des fins « scientifiques ». Plus tard on lui a coupé un morceau de chair pour l’envoyer dans un laboratoire de Berlin et on lui en a greffé un autre.
Il se trouve actuellement à l’hôpital, tout couvert de plaies purulentes, et il est impossible de faire quoi que ce soit pour lui. Une jeune fille très belle, mais aliénée, se promène dans le camp. Je m’étonne que tous ces gens ne soient pas devenus fous.
Entretemps, les libérés qui ont réussi à reprendre des forces et à marcher pour quitter eux-mêmes Auschwitz. Témoignage du N74233 :
Le 5 février, nous sommes partis en direction de Cracovie.
D’un côté de la route, on voyait d’énormes usines construites par les prisonniers morts depuis longtemps d’un travail accablant. De l’autre, il y avait aussi un vaste camp. Nous y sommes entrés et nous y avons trouvé des malades qui, tout comme nous, ne sont restés vivants que parce qu’ils n’étaient pas partis avec les Allemands le 18 janvier.
Nous avons poursuivi notre chemin. Nous avons longtemps défilé le long de câbles électriques suspendus à des poteaux de pierre, symboles de l’esclavage et de la mort. Il nous semblait qu’on n’arriverait jamais à sortir. Mais le camp s’est terminé et nous sommes entrés dans le village de Vlosenjuszcza. Nous y avons passé la nuit et le lendemain, le 6 février, nous avons poursuivi notre chemin. Une voiture nous a emmenés à Cracovie.
Nous sommes libres, mais nous ne savons pas encore nous réjouir. Nous avons trop enduré et perdu trop de compagnons.
L’article est basé sur des documents de la Fondation russe Holocauste, les mémoires de V.Petrenko « Avant et après l’Holocauste », « J’ai vécu Auschwitz » de K. Jivoulskaya et « Le Livre noir » de V. Grossman et I. Ehrenbourg.
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[rouge]Auschwitz : faits et chiffres[/rouge]
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Plus d’un million de personnes ont été exterminées à Auschwitz tout au long de son existence (selon diverses sources, entre 1 100 000 et 1 600 000). La plupart des personnes exterminées étaient des juifs.
L’extermination massive de personnes dans les chambres à gaz a commencé en 1941 pour atteindre son apogée au printemps et à l’été 1944. À cette époque, 3-4 trains arrivaient quotidiennement à Auschwitz-Birkenau avec 3 000–3 500 personnes à bord. Un dixième d’entre eux était retenus pour « travailler », les autres envoyés dans les chambres à gaz.
Le camp de concentration se composait de plusieurs camps. Le camp principal, Auschwitz I, fut bâti sur le site d’une caserne polonaise. Il pouvait accueillir entre 15 000 et 18 000 prisonniers au maximum.
Auschwitz II (Birkenau) se trouvait à plusieurs kilomètres du camp principal, à l’emplacement du village de Brzezinka. Le nombre de prisonniers pouvait y atteindre 100 000 personnes, les conditions de détention étaient bien plus dramatiques et la mortalité nettement plus élevée.Auschwitz III (Monowitz) accueillait l’usine chimique du groupe IG Farben et 39 petites filiales. Le nombre de détenus pouvait atteindre 30 000 personnes.
Le camp de concentration était gardé par quelque 6 000 SS. Après la guerre, environ 1 000 SS furent démasqués en Allemagne et livrés aux autorités polonaises. 778 personnes furent traduites en justice.
En janvier 1945, informés de l’approche des troupes soviétiques, les nazis évacuèrent 58 000 détenus du camp. La garde SS qui resta dans le camp (plus de 4 500 personnes) extermina plus de 700 détenus la veille de la libération. Le jour de la libération, environ 7 000 détenus de plus de 20 pays se trouvaient à Auschwitz.
Les troupes soviétiques entrèrent dans le camp à 15h environ. 231 soldats soviétiques périrent dans la bataille pour le camp.
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