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Autobiographie d’Angela Davis : Un héritage pour les révoltés
samedi 23 novembre 2013
L’autobiographie d’Angela Davis n’en est pas une. Ou, du moins, est bien plus que cela. Car s’il s’agit de suivre son parcours et son histoire, ce livre est avant tout un ouvrage d’histoire, un essai politique, un manifeste pour la lutte. Et pour cause : Angela Davis est probablement l’un des symboles les plus importants des luttes antiracistes, féministes et pour la justice sociale.
Angela Davis, considérée en 1970 comme une dangereuse <img638|right> terroriste aux Etats-Unis, a été faite docteur honoris causa par l’ULB le 14 mai 2012. (Photo Solidaire, Vinciane Convens)
Le livre s’ouvre au moment où Angela Davis devient connue dans le monde entier. Au moment où, pourtant, elle doit vivre dans l’ombre, en cavale. Parce que l’élite étasunienne en a eu marre de cette femme – noire et communiste de surcroît – qui n’arrêtait pas de les défier. Lorsqu’une arme enregistrée à son nom est utilisée dans une tentative d’évasion qui tourne mal, la machine se met en branle. Angela Davis devient l’ennemi d’État n°1. Craignant pour sa vie, elle prend la fuite, et sera arrêtée le 13 octobre 1970, après près de deux mois d’une cavale qui aura fait la Une des journaux de tout le pays.
La fin de cette poursuite annonce le début d’un des procès les plus médiatisés de l’époque. Un procès qui se retournera d’ailleurs contre l’establishment. Car, si certains pensaient pouvoir écraser une des figures de la contestation noire aux États-Unis, et ainsi porter un coup à l’ensemble du mouvement, ce sera finalement l’inverse qui se passera, et la mobilisation n’en sortira que grandie.
Angela Davis était déjà connue pour son soutien aux prisonniers politiques américains, et son procès est devenu le symbole de ce combat, qui en l’occurrence a mené à une victoire. « Le seul événement extraordinaire de mon existence, écrit-elle dans la préface de son autobiographie, ne me concerne pas en tant qu’individu – il suffisait d’une pirouette de l’histoire pour que tout autre sœur (ou frère) devienne cette prisonnière politique que des millions de gens à travers le monde ont sauvée de la persécution et de la mort. »
Avec le marxisme comme arme
En tant que petite fille noire élevée dans le Sud des États-Unis dans les années 1950-60, Angela Davis n’a pas été épargnée par le racisme et la ségrégation. De nombreuses familles noires qui venaient s’installer dans son quartier étaient accueillies par des bombes : « … les attentats furent si fréquents que, bientôt, notre quartier fut connu sous le nom de Dynamite Hill. »
École noire, quartiers noirs, places pour Noirs dans les bus, violence policière raciste… Le racisme institutionnalisé de l’époque ne pouvait que révolter, et la jeune Angela Davis participa très tôt à des actions dans la vague du mouvement pour les droits civiques.
Cependant, le mouvement, le racisme, la politique restent souvent flous pour elle, et c’est lorsqu’elle arrive à New York pour étudier dans un lycée progressiste qu’elle découvrira un cadre lui permettant de répondre à ses questions : le marxisme. « Le Manifeste communiste me frappa comme un coup de foudre. Je le lus avec avidité, car j’y trouvais des réponses aux dilemmes apparemment sans réponse qui m’avaient assaillie. […] Je commençai à replacer les problèmes du peuple noir dans le contexte plus large d’un mouvement de la classe ouvrière. »
C’est là que se trouve une des grandes qualités de l’autobiographie d’Angela Davis : sa révélation est celle du lecteur. Et son cheminement intellectuel et idéologique est expliqué avec limpidité, de sorte que chacun est invité à réfléchir sur ses conceptions et son analyse du monde. En l’occurrence, l’un de concepts les plus importants mis en évidence est la lecture de classe du racisme, expliquée non comme un simple principe théorique, mais comme une réalité vécue et découverte par l’expérience : « Tout ce qui m’avait semblé être une haine personnelle à mon égard, un refus inexplicable de la part des Blancs du Sud d’assumer leurs propres émotions, ou l’acquiescement borné des Noirs, tout cela était en fait la conséquence d’un système impitoyable qui vivait bel et bien en encourageant l’envie, la compétition et l’oppression d’un groupe par un autre. Profit en était le mot-clef […]. »
Ces réflexions politiques sont semées dans le livre au gré des enjeux de la lutte dans laquelle Angela Davis se plonge progressivement : place du marxisme dans la lutte antiraciste, rôle de l’État et de la répression dans le capitalisme, sexisme et place des femmes dans les mouvements radicaux… sont autant de thèmes abordés. De la pratique, Davis passe à la théorie dans un souci dialectique, ce qui fait de cet ouvrage un outil de réflexion et de débat accessible autant que passionnant.
« Quand on s’engage, c’est pour la vie »
Ainsi, le cheminement d’Angela Davis l’amène à se radicaliser. Des voyages en Europe et à Cuba contribuent encore à aiguiser sa révolte et ses capacités de meneuse politique. Elle devient rapidement une figure de proue des mouvements de gauche aux États-Unis. Un engagement, explique-t-elle à plusieurs reprises, dicté par une nécessité politique et qu’elle entend bien mener jusqu’au bout. Ainsi, alors qu’elle a la chance d’avoir été acceptée pour aller étudier la philosophie à Francfort, elle ne peut résister à écourter son séjour, tant la lutte l’attend auprès des siens. Et, plus tard, lorsque son emploi à l’Université de Californie à Los Angeles est menacé en raison de son engagement, loin de s’excuser et de s’écraser, elle fait de son cas un enjeu politique, quitte à sacrifier sa carrière universitaire.
Là aussi, l’autobiographie d’Angela Davis est plus qu’un récit de vie, c’est un plaidoyer pour l’engagement, une leçon de courage et de dévouement à une cause. « La révolution ne fut jamais pour moi “quelque chose qu’il faut faire” avant de s’installer, écrit-elle. Ce ne fut pas un club à la mode qui se serait créé un nouveau jargon, ni une nouvelle vie mondaine que le risque et les affrontements auraient rendue excitante, et le costume, séduisante. La révolution est une chose sérieuse, la chose la plus sérieuse dans la vie d’un révolutionnaire. Quand on s’engage pour la lutte, ce doit être pour la vie. »
Le combat en continu
À la veille de ses 70 ans, Angela Davis manifeste toujours le même dynamisme, la même révolte et le même espoir dans un autre monde, plus juste. L’entretien exclusif accordé aux éditeurs d’Aden et qui enrichit la nouvelle édition de son autobiographie en témoigne. Au fil des ans, Davis a poursuivi la lutte, pour la libération des prisonniers politiques, contre le racisme, contre le capitalisme… Suite à son passage en prison, elle s’est intéressée de près au système carcéral et à l’industrie qui y est liée. Plus récemment, Angela Davis est devenue l’une des figures de proue au niveau international de la solidarité avec le peuple palestinien, notamment en tant que membre du Tribunal Russell sur la Palestine.
Un engagement, donc, de toute une vie. Son autobiographie est une ouvrage riche, témoignage autant qu’essai politique, il peut contribuer à approfondir la formation de ceux qui s’intéressent à ses combats, et plus généralement de tous ceux qui veulent lutter pour un monde meilleur. Il s’agit, sans aucun doute, d’un livre qui doit trouver sa place dans tout bonne bibliothèque de révolté.
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Angela Davis, Autobiographie, 2013, Éditions Aden.
Le Procès
Le procès d’Angela Davis prend évidemment une place importante dans son autobiographie. Celle-ci a été écrite en 1974, juste après cet épisode. Là aussi, Davis partage ses doutes, ses espoirs, témoigne de la réalité carcérale, de la solidarité des autres prisonnières, raconte les débats stratégiques et politiques qui ont eu lieu avec ses avocats, avec le Parti communiste et ses compagnons de lutte. Avec, toujours, le souci de ne pas faire d’elle-même le point central du récit, mais bien d’en tirer les éléments politiques les plus pertinents, ce qui fait à nouveau du livre un document encore passionnant et actuel, 40 ans après.
Angela Davis y analyse notamment l’importance de l’énorme mobilisation internationale dans la victoire juridique. Ainsi, lors de sa libération sous caution, qui était loin d’être gagnée vu les faits qui lui étaient reprochés, elle indique que le juge lui-même témoigne de cette influence : « Il avait parlé du “courrier que j’avais reçu ces deux derniers jours, et les coups de téléphone […] qui venaient… d’un nombre incroyable d’États, et les télégrammes de pays étrangers […].” La véritable raison pour laquelle il s’était senti obligé de nous accorder une décision favorable avait quelque chose à voir avec la campagne de défense.? »
Elle y pointe également le rôle fondamental des pays socialistes dans ce processus, et notamment le soutien actif qu’a apporté Cuba à la cause. Ainsi, lorsqu’elle est acquittée, Angela Davis entreprend une tournée nationale et internationale pour remercier les millions de personnes qui, dans le monde entier, s’étaient mobilisés pour elle. Le but était alors également de sensibiliser à la question des prisonniers politiques. « À la Havane, se souvient Angela Davis, je citai dans mon discours le cas de Billy Dean Smith, un GI noir, militant antimilitariste qui était accusé du meurtre de deux officiers US blancs au Vietnam. Quand le Premier ministre, Fidel Castro, fit son discours, il promit au nom du peuple cubain que, comme ils s’étaient battus pour ma libération, ils allaient maintenant élever la voix pour la libération de Billy Dean Smith. Le lendemain matin, comme par magie, les murs de la Havane étaient couverts d’affiches exigeant la libération de Billy Dean Smith. Au cours de notre voyage dans l’île, les enfants qui avaient fait des dessins et composé des chansons sur Billy Dean voulaient être sûrs que nous allions sauver leur hermano. »
Le procès est donc clairement avant tout un enjeu politique, comme le montre Angela Davis. Une leçon qui, au regard de la criminalisation croissante des mouvements sociaux en Europe, est particulièrement d’actualité.
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Free Angela Davis, le film
Outre la réédition de son autobiographie, une autre sortie récente concernant Angela Davis vaut le détour. Il s’agit du documentaire Free Angela Davis and all Political Prisoners, réalisé par Shola Lynch. Celui-ci revient très spécifiquement sur le procès d’Angela Davis, 40 ans après les faits. De nombreux proches de celle-ci y témoignent, amis, camarades, avocats, mais aussi des personnes impliquées dans l’accusation. Le documentaire fait ainsi le lien entre les images d’archives, le contexte de l’époque, et l’analyse qu’en font les acteurs aujourd’hui.
Touchant, passionnant et très documenté, ce film est une excellente porte d’entrée pour comprendre qui est cette silhouette avec une coupe afro qui, il y a 40 ans, est devenue un symbole pour plus d’une génération.
Free Angela Davis and All Political Prisoners, de Shola Lynch ( Angela Davis et tous les prisonniers politiques, libres ), 2012. Disponible en DVD.
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Quentin Vanbaelen
21 novembre 2013
Voir en ligne : in ptb.be