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Ce qu’on ne vous dit pas sur l’Ukraine

mercredi 9 avril 2014

Les événements en Ukraine ont été présentés comme un soulèvement populaire contre un gouvernement corrompu et extrêmement impopulaire, ce qui a entraîné une sympathie généralisée, encouragée par certains médias qui, encore figés dans une idéologie héritée de la Guerre froide, considèrent la Russie comme un ennemi, d’autant plus que celle-ci avait apporté son soutien au gouvernement de Yanoukovitch, alors que ceux qui s’opposaient à lui soutenaient l’adhésion de l’Ukraine à l’Europe.

Oleksandr Sych, vice-premier ministre pour les Affaires économiques du <img761|right> gouvernement de facto en Ukraine, est l’idéologue du parti Svoboda (Liberté) d’inspiration fasciste.
D’où une lecture très favorable des contestations populaires contre le précédent gouvernement de Kiev, qui s’achevèrent par la destitution de Viktor Yanoukovitch, bien qu’il ait été élu démocratiquement.
Il est évident que les manifestations antigouvernementales ont été un soulèvement populaire. Par contre, la réalité se révèle bien plus complexe que ce que les médias ont voulu nous faire croire.

En vérité, ce qui a été passé sous silence, c’est qu’aujourd’hui l’Ukraine est le seul pays en Europe où des membres d’un parti nazi sont en position de force. Paradoxalement, ce parti nazi s’appelle Svoboda (Liberté) et ses membres au gouvernement sont le ministre de la Défense Ihor Tenioukh ; le vice premier ministre pour les Affaires économiques (Oleksandr Sych), qui est l’idéologue du parti qui a fait pression, entre autres mesures, pour l’interdiction de l’avortement) ; le ministre de l’Agriculture, Ihor Shvaik (l’un des plus grands propriétaires terriens ukrainiens) ; la ministre de l’Écologie Andriy Moknik, qui fut le contact avec les groupes nazis européens) ; le directeur du Conseil national de Sécurité Andriy Parubiy (directeur de la milice militaire du parti) ; le procureur général de l’État (Oleh Makhnitsky) ; et le ministre de l’Éducation Serhiy Kvit, entre beaucoup d’autres. Le nouveau gouvernement ukrainien est nettement sous l’influence de ce parti.

Le parti Svoboda, créé en 1991, est présenté comme le successeur de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) fondée par Stepan Bandera, un personnage clé de l’Histoire récente de l’Ukraine, que le parti considère comme sa plus grande inspiration. Il fut déclaré Héros national en 2010 par le président Viktor Iouchtchenko, qui fut remplacé par Viktor Yanoukovitch, le président destitué à la suite des manifestations populaires. À l’arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, l’attribution de ce titre à Bandera fut annulée. Il est cependant fort probable que le nouveau gouvernement le lui restituera.

Bandera, dont l’attribution à titre posthume du titre de Héros national fut <img762|right> très controversée, notamment par le Tribunal européen de Justice, fut le principal allié du régime hitlérien en Ukraine : il dirigea deux bataillons qui furent intégrés aux unités Waffen SS allemandes pour aider à la lutte contre l’Union soviétique durant la Deuxième guerre mondiale (selon le Centre Simon Wiesenthal, ces bataillons arrêtèrent 4 000 juifs ukrainiens et les envoyèrent en camp de concentration à Lvid, en juillet 1941).

Les documents de l’OUN affirmaient clairement la nécessité de « nettoyer la race », en éliminant les juifs. Le professeur d’Histoire Gary Leupp de l’Université Tufos, dans un article détaillé sur l’Ukraine : The Sovereignty Argument, and the Real Problem of Fascism (L’argument de la souveraineté et le réel problème du fascisme) – site ConterPunch, 10 mars 2014 –, cite des textes entiers démontrant le caractère nazi de cette organisation.
Lorsque l’Allemagne fasciste envahit l’Ukraine, Bandera déclara l’indépendance du pays et son gouvernement travailla « très étroitement et très fraternellement avec le national-socialisme de la Grande Allemagne, sous la direction d’Adolf Hitler » qui, selon lui, « était en train de construire une nouvelle Europe ».

Svoboda, le parti dominant dans l’Ukraine d’aujourd’hui, se dit le fier héritier de l’organisation fondée par Bandera. Il se propose de purifier la société ukrainienne en poursuivant violemment les homosexuels, en interdisant l’avortement, en établissant un nouvel ordre basé sur la hiérarchie et la discipline, en insistant sur la virilité et l’attirail militaire, en appelant à l’expulsion de la « mafia juive moscovite » et en éliminant le communisme, en commençant par interdire le Parti communiste et en poursuivant ses membres ou les intellectuels proches de cette idéologie.

Cette formation politique envisage également d’éliminer plus tard tous les <img763|right> autres partis. En réalité, son programme ne saurait être plus clair. En 2010, on pouvait lire sur son site internet : « Pour créer une Ukraine libre… nous devrons supprimer le Parlement et le parlementarisme, interdire tous les partis politiques, étatiser tous les médias, procéder à la purge de tout le secteur public et exécuter tous les membres des partis politiques anti-ukrainiens ».

Le Congrès mondial juif a déclaré ce parti comme un parti néonazi au mois de mai 2013.

Comment un parti néonazi peut-il gouverner l’Ukraine aujourd’hui ?

Au départ, les mobilisations populaires qui aboutirent à la chute du gouvernement étaient en majorité des mobilisations spontanées, peu organisées. Cependant, il fut facile pour un groupe, parfois armé, bénéficiant d’un soutien politique international, de manipuler ces manifestations et de jouer un rôle important dans l’issue du mouvement populaire. Par ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse paraître, aussi bien les États-Unis que l’Union européenne ont un rôle clé dans cette promotion. En réalité, les États-Unis davantage que l’Union européenne.

Ce fut précisément Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe chargée de l’Europe et de l’Asie (une fonctionnaire d’extrême droite nommée par le vice-président Cheney durant l’administration Bush, et qui fut maintenue à ce poste par l’administration Obama), qui soutint le plus activement et le plus ouvertement le parti Svoboda, qui a durci sa ligne antirusse pendant les manifestations.

C’est elle qui s’exclama : « Fuck the EU ! » (Que l’Union européenne aille se faire…), lors d’une conversation téléphonique, en insistant sur le fait que le gouvernement devait tenir compte du parti Svoboda, quelle que soit la mauvaise image qui en résulterait.

En réalité, ce parti n’avait obtenu que 10% des voix lors des dernières élections. Son immense influence ne vient pas du soutien populaire, mais des manipulations qui ont eu lieu et dans lesquelles l’administration étasunienne et allemande ont joué un rôle déterminant. Ces deux pays, qui souhaitent élargir la zone d’influence de l’OTAN vers l’est de l’Europe, considèrent que la situation en Ukraine devrait favoriser cet objectif. De son côté, le ministre de la Défense, qui est membre de Svoboda, est favorable à l’OTAN et il a étudié au Pentagone.

Quel avenir pour l’Ukraine ?

Aujourd’hui, les élites gouvernantes des deux côtés de l’Atlantique se trouvent en situation de conflit. D’un côté, le complexe militaire industriel des États-Unis, sur la défensive – du fait des coupes sombres dans les dépenses militaires par le gouvernement fédéral, résultat du rejet de la population étasunienne des campagnes de guerre qui caractérisent la politique extérieure des États-Unis –, qui souhaite réactiver la Guerre froide par tous les moyens afin de récupérer son rôle central dans le système politique et économique des États-Unis.

De l’autre, cette stratégie est en contradiction avec les intérêts financiers et économiques de l’Union européenne et également avec ceux des États-Unis. La Russie est le troisième partenaire commercial de l’Union européenne, après les États-Unis et la Chine, avec un échange commercial de plus des 50 milliards de dollars en 2012 (Bob Dreyfuss : Capitalism Will Prevent a Cold War Over Ukraine, The Nation, 10.03.2014). Environ 75% de tous les investissements étrangers en Russie proviennent de l’Union européenne, la Russie étant le premier fournisseur de gaz de l’Union européenne. Par ailleurs, le capital des grandes oligarchies russes est placé dans les banques européennes, majoritairement à la City, à Londres.

C’est pourquoi, on aura beau parler de pénaliser la Russie, une action militaire est peu probable. Nous ne sommes pas à veille de la 3e Guerre mondiale, mais cela ne signifie pas que nous ne sommes pas en train d’assister au renouveau du nazisme, soutenu paradoxalement par des élites gouvernementales des deux côtés de l’Atlantique Nord, qui représente la main dure nécessaire pour faire appliquer les politiques néolibérales que le gouvernement ukrainien devra mettre en œuvre pour faciliter son intégration dans l’Union européenne.

Vicenç Navarro

27.03.2014

(Tiré de Other News)


Voir en ligne : Source de l’article in Granma : ici