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Cheminots, grèves décembre 2007. Grève à la Société Nationale des Transports Ferroviaires (SNTF).
mardi 11 mai 2010, par
Jeudi 22 novembre 2007, le piquet de grève installé par les cheminots au niveau du dépôt d’Alger (Les Halles), en est à son sixième jour. Les grévistes réunis devant des banderoles contestataires s’informent du titre de notre journal avant que rapidement la discussion ne s’enclenche sur les motifs de ce débrayage. Ils ne manquent pas d’ironiser sur la télé nationale « qui parle des grèves des cheminots organisés en France, en Allemagne, au Portugal, mais ne touche pas un mot sur la nôtre. Eux sont mieux lotis que nous, mais se mobilisent pour améliorer leurs conditions. Notre situation est pire. Pourquoi la télévision algérienne ne s’intéresse pas aux problèmes des citoyens ? »
Un travailleur, membre de la section syndicale met en avant la discrimination entre travailleurs et qui va à l’encontre de l’article 6 du règlement intérieur de la SNTF. Ce dernier précise que « tous les travailleurs sont égaux », pourtant les augmentations qui avaient touché le personnel administratif ne sont toujours pas appliquées au personnel de traction (conducteur, mécanicien…), alors que l’opération était prévue pour l’application de la deuxième phase de la convention de branche signée en septembre 2006.
Des revendications légitimes.
Dans leur communiqué, annonçant un arrêt de travail illimité et l’éventualité d’une grève de la faim si leurs revendications étaient ignorées, les travailleurs mettent l’accent sur leurs conditions professionnelles lamentables, la précarité dans lesquelles ils se trouvent, et leur pouvoir d’achat en régression continue. Ils citent le cas des primes (PRK et IDRP) et indemnités (grue, astreinte, découcher, travaux exceptionnels, heures supplémentaires, IDRG) restées en de ça de leurs dépenses quotidiennes. Concernant les œuvres sociales, ils déplorent l’insuffisance des dotations et l’absence des subventions. Le communiqué signale les dysfonctionnements touchant la gestion des carrières professionnelles, la médecine du travail et les maladies professionnelles.
Dans toutes leurs interventions, les cheminots font référence à la grève de 1977 :
« C’est une grève héritée des anciens cheminots. C’était la première entreprise qui avait organisé une grève dans l’Algérie indépendante, alors que les grèves étaient interdites, cela avait nécessité l’intervention du président Boumediene ».
C’est une manière peut être de nous faire comprendre qu’ils ont un héritage à sauvegarder, celle de l’école des cheminots et qu’ils sont déterminés à poursuivre leur mouvement jusqu’à l’aboutissement de leurs revendications.
Le représentant des travailleurs explique la colère des cheminots en rapport aux heures de travail, et les dures conditions de labeur : « Le code du travail précise que le nombre d’heures de travail est fixé à 40 par semaine, seulement chez nous, dans le rail, il y a des travailleurs qui en font 8 de plus dans la semaine. En un mois, ils se retrouvent avec 40 heures de travail supplémentaires non payées. La spécificité de ce travail oblige l’entreprise à faire des heures supplémentaires impossibles à éliminer, car l’entretien courant des machines, le service 3 x 8 (les brigades) ou le service normal nécessitent des heures supplémentaires pour que l’entreprise marche. Ils travaillent 6 nuits sur 6. Six matinées, de 5h ? 13 h, un temps repos ; six soirées de 13 h à 21 h et enfin six nuits de 20 h à 6h. Un timing adapté à la décennie noire, mais les horaires n’ont pas été changés même avec l’amélioration de l’état sécuritaire. Nous devrions toucher une indemnité de « travaux exceptionnels et urgents jour, et travaux exceptionnels et urgents nuit. » Cette grue, par exemple de 80 tonnes est utilisée en cas de déraillement accidentel, ou à cause d’un acte de sabotage ; nous intervenons sous haute surveillance, et nous avons peur...Ce sont des interventions très délicates. »
La grève déclarée « illégale ».
Les cheminots tiennent à préciser qu’ils ont décidé seuls de la grève, sans passer par la section syndicale, un de leurs représentants qui participe à l’arrêt de travail est là à leurs côtés : « Les travailleurs ont eu marre des tergiversations de l’administration et de la fédération. À chaque fois on nous remet des communiqués de l’administration et de la fédération où l’on nous informe qu’il y a des négociations, mais toujours sans aucun résultat. Nous n’avons pas de conflit syndico-syndical, nous n’avons aucun problème avec la fédération que nous reconnaissons, mais par rapport aux droits des travailleurs, elle a laissée traîner les choses ».
Il insiste pour rappeler que la section syndicale avaient attiré l’attention de l’administration régionale, locale, et la direction générale, sur le fait que les travailleurs risquaient d’exprimer leur ras-le-bol- le - bol. Les travailleurs ont tenté à maintes reprises des arrêts de travail : « nous les en avons empêché et ils nous ont même accusé de manquer de courage et d’être complice de l’administration, depuis 2000, les sections syndicales ne cessent de négocier avec l’administration, les représentants des travailleurs au niveau central, nous envoyons nos PV et l’administration en est arrivée même à refuser d’accuser réception, de peur que nous ne les confondions, auprès de l’inspection du travail. »
Les cheminots ont déclenché la grève sans avoir déposé un préavis. La justice déclare la grève « illégale », après le dépôt de plainte de l’administration, et ordonne la reprise du travail. Une décision restée sans effet sur les travailleurs qui persistent dans leur mouvement : « La grève est un droit constitutionnel et les cheminots sont prêts à aller jusqu’au bout, être licenciés ou mis en prison, jusqu’à l’aboutissement de nos revendications, nous ne demandons pas le départ du PDG, ni ne sommes contre l’administration ou la fédération ; nous voulons seulement nos droits légitimes mais aussi l’amélioration de notre fiche de paie. Notre pouvoir d’achat a baissé, c’est la misère. » Ils disent aujourd’hui, exiger seulement du respect à leur égard :« On ne leur demande pas un appartement ou une voiture, tout ce que nous voulons c’est nos droits. Moi je trime et j’ai droit à un salaire décent. J’aimerais vivre décemment et surtout arriver à finir le mois sans aller emprunter ailleurs pour faire vivre mes enfants. Aucun d’entre nous n’a un sou de côté, nous ne pouvons pas épargner. »
Les cheminots parlent d’un grand mouvement et ils sont d’après leurs estimations, 8 000 sur 9 000 à participer à la grève sur l’ensemble du territoire national regroupant les quatre régions. Alger, Oran, Constantine et Annaba. « Ce ne sont pas quelques agitateurs qui ont déclenché la grève, comme on a voulu le faire croire, nous sommes nombreux à y participer et, dès les premiers jours, d’autres gares ont rejoint le mouvement. » affirme un gréviste.
Ceux qui ont négocié la convention de branche n’avaient pas de liens ni avec les travailleurs ni avec le métier pour avoir une véritable idée sur la spécificité du travail des cheminots donc leurs besoins et les conditions de travail.
Y, non plus ne décolère pas, comme toutes leurs promesses, en voilà une autre oubliée : Dans un communiqué le fédéral des cheminots annonce que nous avons bénéficié en 2007 d’une augmentation de 22%. Nous on sait que nous avons bénéficié de 15% fractionnés en deux : 10% en 2006 et 5% en septembre 2007, sans effet. Où sont alors les 5% qui restent ?
États des lieux et conditions de travail
Après la grève d’une semaine en 1977, il y a eu un plan de redressement, une augmentation des salaires, modernisation des rails, des signalisations, il y a eu des subventions pour la SNTF. Un syndicaliste à la retraite précise : « aux ateliers El Hamma, il y avait 600 travailleurs (Actuellement 250 ) et on y faisait toutes les réparations, on avait des tourneurs… maintenant il n y a que les pigeons... »
Y, sans aigreur mais non sans amertume : « après l’indépendance, on n’avait ni techniciens, ni ingénieurs, sur les machines françaises, des DC électriques diesel, le moteur de bobinage était fabriqué aux ateliers. Au 3éme millénaire on ne fait plus rien. »
Le chemin de fer est la colonne vertébrale de notre économie. Rappellent les cheminots, c’est le deuxième moyen de transport après le bateau, un train de 5 voitures est l’équivalent de 70 bus. Y, attire l’attention sur l’état du « fil du rail ». « Allez voir » dit-il « combien de trains circulent sur la ligne Thenia - Tizi ouzou ? Très peu, pourtant c’est un petit tronçon. Combien de rails ont été posés depuis l’indépendance ?
Dans leurs projets, en 2008 Tizi Ouzou ferait partie de la banlieue d’Alger avec une vitesse commerciale de 160 km/heure. Nous sommes trop loin de 160 km. Le tronçon de Tizi Ouzou est délaissé. Comment ça va se faire ?
Les mécaniciens travaillent sans chauffage, sans essuie-glaces et sans compteur d’enregistreur de vitesse, les mécaniciens utilisent la règle de trois, et font leurs propres calculs pour savoir à quelle vitesse ils roulent. Normalement il est interdit de sortir sans ces outillages, mais ils n’ont pas le choix.
Au service 3X8, service maintenance, pas de pièces de rechange fabriquées ici ou d’origine. Les travailleurs utilisent les machines à l’arrêt, les désosse pour équiper les autres machines, si bien sur ils ont la chance de tomber sur des pièces en bon état. C’est un double travail et une perte de temps alors que ce service souffre déjà d’un manque d’effectif.
Le parc d’engins a été rénové : « des machines très rares et modernes ont été importées des États Unis, alors que notre outil de travail est obsolète, digne de l’âge de pierre. Pendant notre formation, on nous parlait d’informatique, d’électronique, d’automatique, pour serrer et desserrer, changer de pièces…dans la réalité notre outil de travail est inexistant. Nous avons des 14 pipes cassées. Pour desserrer un moteur, nous sommes obligés d’échanger nos clés.
Il y a un hangar délaissé depuis 20 ou 30 ans, et qui a été remis à neuf, il est devenu sophistiqué, luxueux, parce que nous réceptionnons bientôt des autorails importés d’Espagne, et qui serons accompagnés par des Espagnols ; par contre venez voir, l’état des lieux où travaillent les Algériens. Les gaz d ’échappement, l’amiante, les courants d’air, le froid, les infiltrations d’eau, alors que nous travaillons sur des machines ? haute tension, si une goutte d’eau tombe dessus, c’en est fini pour nous. »
Les cheminots gagnent une bataille.
Au quatrième jour de grève, déclenchée le 17 novembre, le bureau national de la fédération des cheminots a diffusé un communiqué appelant les travailleurs à reprendre le travail, contre la promesse de mener à terme les négociations salariales et indemnitaires dans un délai de trois mois. Les négociations en question, portent sur le salaire de base, l’indemnité de déplacement régime général (IDRG). L’indemnité de transport régime particulier (IDRP), indemnité de panier, indemnité de transport, l’indemnité de l’expérience professionnelle (IEP), la prime de transport, et la prime de rendement kilométrique (PRK), indemnité femme au foyer.
Échaudé, un cheminot précise ceci : « La fédération nous a remis un communiqué qui regroupait nos revendications. Les travailleurs ont refusé de le prendre en considération jusqu’à ce que le PDG atteste de prendre en charge ces revendications, les travailleurs n’avaient plus confiance dans les nombreuses promesses non tenues. »
Ce qui met encore plus en colère les travailleurs, c’est l’indifférence du PDG par intérim. « C’est un enfant de l’entreprise, il a travaillé au dépôt, il aurait pu venir ou nous appeler et discuter avec les travailleurs. »
Il a fallu attendre une dizaine de jours pour que la centrale intervienne, et que la société nationale de transport ferroviaire SNTF, décide d’engager le dialogue avec les cheminots en grève. Après une assemblée générale, les cheminots reprennent le travail le mercredi 28 novembre. La reprise est advenue suite à l’adoption d’un communiqué commun au PDG , le SG de la fédération des cheminots et un représentant de l’UGTA. Le communiqué retient en plus des revendications contenues dans la plate-forme du 20 novembre ; la prime de traction, la prime de risque, la prime d’astreinte (train de secours, grue), la rémunération des heures supplémentaires, l’indemnité de salaire unique.
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Safia Ouared et Hamid Kechad
in Alger républicain de décembre 2007