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Décès de Fanny Colonna
vendredi 28 novembre 2014
Voici l’intervention de Mohammed Harbi lors de la célébration religieuse en mémoire de Fanny Colonna, en l’église Saint-Jean-Baptiste de Belleville, à Paris, mardi 25 novembre 2014.
Fanny Colonna sera enterrée au cimetière chrétien de Constantine, samedi 29 novembre, à 15 heures.
J’ai connu Fanny Colonna, en juin 1975, lors d’un colloque consacré aux rapports entre le politique et l’ethnologie au Maghreb. Sa communication s’intitulait : « Production scientifique et position dans le champ intellectuel et politique : deux cas, Augustin Berque et Joseph Desparmet ».
Toutefois, mon rapport à Fanny ne s’inscrivait pas dans le champ académique mais dans le champ politique. Ce fut, d’abord, un rapport à distance. Lycéen à Skikda, je fus un jour sollicité par un chef scout, Zerouk Bouzid, pour assurer la diffusion d’une publication que lui avait envoyée Salah Louanchi : il s’agit de Consciences maghrébines, une revue annonciatrice de la naissance d’un courant de pensée anticolonialiste au nom de la conscience chrétienne. Le professeur André Mandouze en était l’animateur. Je sus, plus tard, que Fanny appartenait à ce courant, qui constituait une chance pour l’affirmation d’un nationalisme démocratique, oeuvrant à une société multiculturelle et multiethnique.
Chacun sait que l’éveil de l’Algérie à une existence historique a fait de grands progrès après 1945. La critique des mythes fondateurs de l’Algérie coloniale, qui gagnait des secteurs de plus en plus étendus de la société, n’épargna pas la communauté européenne. Une mince frange des chrétiens d’Algérie – prêtres, étudiants et syndicalistes, à l’image d’Evelyne Lavalette, détenue politique – s’attaquèrent aux « écrans accumulés pour nier le caractère politique du problème algérien et le réduire à un problème économique et social ». Cette donnée, oh combien féconde, de l’histoire algérienne a été prise en charge à Alger par les Scouts musulmans, avec Mahfoud Kaddache, Salah Louanchi, Omar Lagha, Mohammed Drareni, Reda Bastandji et les centralistes du MTLD – auxquels Fanny a consacré une étude qui revoit les polémiques anciennes à la lumière des politiques de notre temps.
Loin d’atténuer cette avancée, la guerre la précipita. Des prêtres comme les abbés Albert Berenguer, Pierre Mamet, Jobic Kerlan, Jean Scotto…, les militants de l’AJAAS et les animateurs de Consciences maghrébines s’engagent dans la résistance et incitent l’Eglise d’Algérie, avec à sa tête le cardinal Duval, et le Vatican à la défendre. Hommes de l’ombre sur le sol algérien, détenus politiques dans les prisons, exilés à l’étranger, ils ont tous mis leur énergie et leur foi au service de la nation algérienne : « Nous ne venons pas en aide au FLN, dixit Pierre Chaulet. Nous sommes Algériens comme vous : notre sol, notre patrie, c’est l’Algérie, nous la défendons avec vous. Nous sommes du FLN. » Cette profession de foi, c’est aussi celle de Fanny. Son amour de la terre natale, qu’elle a exprimé tout au long de la guerre civile des années 1990 et jusqu’à son dernier souffle, a transformé sa vie de manière à lui donner un sens que la mort ne peut lui ravir.
L’hommage que l’Algérie lui doit va aussi à tous les chrétiens que le fanatisme religieux n’a pas épargnés. Ne les oublions pas. Le silence institutionnel sur leur contribution à la victoire contre le colonialisme n’a pas aidé à assurer leur sécurité dans la tourmente qu’a connue l’Algérie ces dernières années. Espérons que le rattrapage en cours y remédiera.
Mohammed Harbi,
25 novembre 2014.