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Eliette Loup aperçu sur sa participation au combat libérateur

lundi 30 octobre 2023

Interview d’Eliette Loup
Extraits du livre d’Andrée Dore-Audibert
Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération,
Editions Karthala, 1995.

Née en 1934, Eliette Loup est fille de colons qui possédaient 100 hectares dans la Mitidja, à Birtouta. Elle milite en 1953 au PCA ; arrêtée à Alger le 2 avril 1957 - torturée - emprisonnée jusqu’en 1960, expulsée en France, elle revient clandestinement et reprend ses activités jusqu’à l’indépendance.

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D’origine espagnole, ma grand-mère Victorine née en 1873 est arrivée en Algérie vers 1890. Ma mère née en Algérie en 1898 à Boufarik m’impressionnait beaucoup, car c’était une femme remarquable, indépendante, indifférente à mon égard, généreuse avec les autres.

Elle avait épousé son cousin contre le gré de sa famille « un acrobate de l’air » comme on disait à l’époque pour se moquer, c’est-à-dire un sous-officier de l’armée de l’air, qui s’était couvert de citations pendant la guerre de 1914-1918. Comme il n’était pas assez « huppé » pour sa belle-famille, il avait dû enlever ma mère pour l’épouser en 1920.

Lorsque je suis née, elle voulait un garçon. J’étais sa troisième fille, j’avais besoin de son amour car elle était tout pour moi, j’ai toujours eu l’impression qu’elle ne m’aimait pas et je voulais lui plaire, c’était une mère castratrice. Elle oubliait même de m’acheter des souliers, elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi, je n’existais pas pour elle. J’en souffrais beaucoup.
Mon père est né à Sidi-Moussa. Il avait eu une enfance très malheureuse. Très beau, c’était un coureur de jupons ; face à l’autoritarisme de ma mère il n’existait pas ; il a vite compris, est parti au Maroc, puis en France avec la bonne espagnole.
Ma mère était une démocrate, elle était allée avec mon père en 1936 en URSS qu’elle admirait. Elle faisait du social, construisait des logements en dur pour ses employés, les soignait, c’était un patron paternaliste qui voulait améliorer la condition des travailleurs agricoles.
Elle se présenta aux élections sur une liste de démocrates, sympathisante du PCA alors qu’elle n’a jamais était inscrite au Parti.

L’engagement au PCA. La clandestinité

Ma mère est morte en 1948, ma sœur lui succéda à la ferme. Je considérais à l’époque qu’elle avait la mentalité colon car son comportement me choquait souvent.
J’ai passé le bac à Alger, j’allais acheter des livres à« la librairie nouvelle » qui était celle du Parti où j’avais le plaisir de rencontrer des communistes, j’étais très marquée par ma mère ; ces communistes me rapprochaient d’elle. J’avais gardé un souvenir inoubliable des communistes français et des réfugiés espagnols, hébergés en 1945 à la ferme. Ils avaient été internés sous Pétain dans les camps du Sud, ma mère leur offrait l’hospitalité par petits groupes afin qu’ils puissent retrouver une santé éprouvée par la vie des camps. Un groupe de trois remplaçait un autre
groupe.
Les inégalités, les injustices, la misère que je constatais, le besoin de retrouver ma mère m’ont amenée à m’inscrire au PCA en 1953.

C’est le parti qui m’a fait comprendre la vie, qui m’a donné l’amour national pour l’Algérie ou plutôt qui me l’a révélé, qui lui a donné pour moi sa signification. Grâce au Parti, j’ai appris aussi l’histoire de l’Algérie, son passé, les luttes de son peuple. Je me suis rendu compte des méfaits du colonialisme.

J’avais également besoin de retrouver le père qui m’avait manqué et de me démarquer par rapport à mes sœurs.

Le Parti communiste étant frappé d’interdiction, en septembre 1955, les policiers sont venus à la ferme pour m’expulser en France avec un autre groupe qui était fiché, j’avais véhiculé des candidats communistes lors des élections. On me surveillait. Ma sœur a dit que je n’étais plus là.
J’ai pris position pour la clandestinité. J’étais agent de liaison.
J’avais le privilège de posséder à 23 ans une voiture. Je m’occupais du courrier, des tracts, de l’imprimerie. Nous changions régulièrement de domicile pour ne point nous faire repérer, car il fallait poursuivre l’impression de notre journal et de nos tracts. Lorsqu’on est un clandestin, on vit au jour le jour, on assume des tâches multiples et l’essentiel est de ne pas se faire prendre. J’ai travaillé à l’imprimerie du PCA, avec André Moine secrétaire de région du Parti communiste français, déporté en Algérie au début de la guerre dès 1939, avec Ahmed Akkache secrétaire du Parti communiste algérien, rédacteur et responsable du journal du Parti Liberté. Les femmes qui nous aidaient étaient : Claudine Lacascade, Madeleine Chaumat, Colette Chouraqui (cousine de Roger Benichou).

Plusieurs fois je l’ai échappé belle. Les paras investissaient un lieu de rendez-vous et ramassaient tous les arrivants.
Un jeudi alors que je me rendais chez Lucie Coscas, un para m’ouvrit la porte, m’empoigna et m’attira à l’intérieur. J’étais prise. La maman de Lucie pleurait sur sa fille emmenée en pleine nuit, il fallait attendre la venue du capitaine qui faisait la relève. Ces paras étaient des jeunes, un Polonais et un Allemand. Je leur ai expliqué que j’étais dactylo, que mon patron m’attendait et que deux seules choses m’intéressaient dans la vie : mon travail et la danse. Je consolais la maman de Lucie, je lui ai fait le ménage, la vaisselle, je chantais comme si de rien n’était et j’ai invité les deux paras à partager le repas. Le jeune Polonais me faisait de l’œil et me racontait sa vie, je lui ai donné mon adresse, bref on a fraternisé pendant un jour et une nuit, et lorsque le chef est arrivé avec un camion plein de prisonniers qui attendait devant la porte, j’étais dans la cuisine en train de faire la vaisselle. Il fallait maintenir la porte de la cuisine fermée pour pouvoir ouvrir la porte d’entrée vue l’exiguïté de l’appartement, ce qui m’a sauvée ; Faulques me dira plus tard : « le para qui t’a ratée on lui a rasé les cheveux et on l’a mis en prison ». Certains paras n’étaient pas très volontaires pour ces arrestations.

Arrestation - tortures

Depuis ce jour, je ne Sortais plus, puis une fois j’ai dû aller prévenir un camarade. Je longeais le front de mer : contrôle d’identité, un para qui avait vu ma photo me reconnaît et m’emmène dans un café pour téléphoner au fameux capitaine Faulques chargé du ratissage qui arrive aussitôt. Direction « Villa Sésini », mémorable pour tous les combattants,
J’étais le dernier anneau de la chaîne avant que ne soient pris les deux dirigeants, un camarade ayant parlé sous la torture. André Moine sera arrêté le 5 juiillet 1957, condamné à 5 ans de prison et 25 ans de réclusion, et Akkache Ahmed du PC le sera également par la suite.

A la villa Sésini, le régime était la torture systématique pour faire parler.

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Extrait de la plainte de Mlle Eliette Loup étudiante et militante algérienne d’origine européenne au Tribunal ...

J’ai été arrêtée le mardi 2 avril 1957 dans la rue par les béret verts (parachutistes de la légion étrangère) et c’est une auto civile qui m’a conduite à la villa de Sésini. Je fus interrogée et fouillée immédiatement, ceci accompagné de gifles violentes. Brusquement on me couvrit la tête d’une cagoule et, bousculée à coups de poings dans le dos, on me conduisit à la torture. On me fit mettre nue, mains liées dans le dos, pieds liés, enveloppée dans une couverture et ficelée par terre un chiffon appliqué sur la bouche. Le supplice de l’eau commençait. ils étaient plusieurs à me maintenir dont un très lourd assis sur mon estomac. Arrêt lorsque je suffoquais trop pour me poser des questions et cela recommençait jusqu’à l’évanouissement. J’ai repris conscience sur le côté, je vomissais d’énormes quantités d’eau. Ils m’avaient enlevé la cagoule et je pouvais voir les paras qui m’entouraient, c’était dans une petite cour mauresque avec, au milieu, un bassin à poissons rouges tellement paisibles ! Et c’était leur eau qu’ils utilisaient. Enfin arrêt ! Déficelée, pliée en deux pour vomir encore, rhabillée avec leur aide. Après cela, interrogatoire dans le bureaux, giflée jusqu’au saignement de nez, conduite en cellule
au secret.

Mercredi 3 matin, menée à l’interrogatoire avec cagoule dans le bureau du capitaine Faulques, là coups sur la figure, tête cognée contre le mur, gifles à nouveau jusqu’au saignement de nez. l’avais la joue et le nez enflés et très mal aux oreilles. Retour en cellule, Le soir amenée, cagoule sous laquelle on peut à peine respirer, mise nue, torture à l’électricité sur tout le corps avec menaces : « il fait nuit, personne ne sait que tu es là, tu parleras où on te tuera ».

L’un des bourreaux demande que l’on mette l’électricité dans le sexe, un autre faisait le simulacre de me couper le bout du sein. En plus des secousses électriques, je suffoquais sous la cagoule et sous une main qui étouffait mes cris. Je fus relevée et une séance d’étranglement contre le mur suivit. Et toujours la même question m’était posée « Tu parles ? » Puis ce fut le gonflage à l’eau, arrêt pour questions à nouveau, reprise de torture à l’électricité sur la figure mouillée, de douleur je crois avoir bousculé en me retournant le gros « para » qui était assis sur moi. Toute mouillée, je me rhabillais, ils me bâillonnèrent et je fus jetée dans le fond d’une voiture. Ils parlaient de m’égorger dans un coin de campagne « un coup des fellagah » disaient-ils. Arrêt sur le bord de la route. Dans le fossé, trois hommes sur moi, étranglement et poignard contre ma poitrine, menaces et questions. Lorsqu’une auto passait, ils me camouflaient. Remise au fond de l’auto, traînée par les cheveux, arrêt près de la mer, menaces de m’y jeter, puis, « la mort serait trop douce pour toi, tu serais trop heureuse, tu vas encore souffrir ». Retour à la cellule à coups de pieds et de poings, jetée violemment sur la natte. Consignes : pas manger, pas beaucoup dormir (réveil toutes les 1/2 heures pour rester 10 minutes debout).

Jeudi 4 matin 8 heures, cagoule, je me trouvais dans la petite cour mauresque debout, les bras en l’air, je fus attachée par des menottes aux barreaux les plus élevés d’une échelle. Je devais rester dans cette position toute la journée jusqu’à 8 heures du soir, soit 12 heures sans arrêt. Consignes aux gardes qui se relayaient : - ne pas lui parler, ne pas la laisser s’asseoir ou poser le pied sur un échelon - ne pas lui donner à boire. L’un des bourreaux est venu vers 14 h, il dégustait une orange. Sans me détacher, question à nouveau, étranglements contre le mur jusqu’à l’évanouissement, coups à la tête et frottements des coudes contre le mur. « Je ne reviendrai qu’à 8 h puisque tu ne veux rien dire ». A 18 h retour. il m’a parlé gentiment : « Tu es fatiguée, tu as mal aux bras, à la tête, tu as faim, je te détache, je te donne à boire et à manger, tu te couches dans un lit et on discute, sinon je te laisse là toute la nuit ! » A 20 h retour : questions « Reste là et demain on te trouvera morte ». A 20 h 30, on me détachait, je fus conduite en cellule, mais ce n’était pas fini. On me mit sur le côté pour me lier ensemble derrière le dos les deux mains et un pied. Les deux mains étaient attachées par des menottes et une corde de dix centimètres environ reliait le pied gauche aux mains. Il m’était impossible de bouger. Une seule position m’était possible ; celle dans laquelle ils m’avaient laissé, m’asseoir représentait beaucoup d’efforts et mon épaule à vif des tortures précédentes m’empêchait de m’adosser. Réveil tous les quarts d’heure pour aller au w.-c. Il fallait attendre mon bourreau qui craignait que les gendarmes ne me religotent pas assez étroitement.

Vendredi 5. Dans l’après-midi, amenée, traînée plutôt car mon corps était tout paralysé devant le capitaine Faulques « Tu parles ? ». « Non ». Retour immédiat en cellule dans la même position, menottes serrées dernier cran, corde encore plus courte liant mon pied aux mains. Mon genou était extrêmement douloureux, ma jambe repliée me faisait souffrir et lorsque par épuisement je m’endors, mais quelques minutes, le réveil était torturant à hurler parce que c’était toujours sur la même épaule que reposait mon poids. D’ailleurs je délirais très fort et les gardes venaient me voir, je reprenais conscience, je ressentais une fatigue intense dans tout le corps et j’avais soif, soif, soif. Avec tout cela j’ avais mes règles. Je suis restée comme cela par conséquent deux nuits et un jour.

Samedi 6. Matin, torture terminée, conduite par l’un de mes bourreaux pour boire un café au lait, pour me laver. Je marchais très difficilement. Je n’arrivais pas à manger tant je suffoquais et pleurais nerveusement : je fus incapable de me peigner, mon bourreau me peigna en me demandant « Je ne te fais pas mal au moins ? C’est hier. Tu es arrivée, n’est-ce pas ? ». Il me sortit dans le jardin, mais je demandais à rentrer dans la cellule, incapable de supporter la lumière. J’étais épuisée. texte.)

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Maintenant avec le recul lorsque j’y repense, je me rends compte que j’ai subi la torture pendant 4 jours et 4 nuits. J’étais attachée, c’est-à-dire liée aux pieds et mains comme un mouton.
Dans les périodes spéciales, on devient spécial. J’avais une petite boule lumineuse, rouge que je protégeais, ils pouvaient tout faire sur mon corps, je savais qu’ils ne voyaient pas cette petite boule. Je me rappelle surtout de tous les petits détails souvent sans importance, mais c’est ainsi. Lorsqu’ils m’ont déshabillée, je leur ai demandé de faire attention aux boutons de mon pull, peut-être pour ne pas penser à ce qu’ils faisaient. Dans l’eau j’essayais de ne pas bouger pour qu’ils croient qu’ils m’avaient étouffée, mais mon corps tressaillait malgré moi. Ils me faisaient boire pendant qu’un gros était assis sur mon ventre, je pissais me disant « heureusement qu’ils n’ont pas enlevé la culotte », je ne pensais que des bêtises, je me suis évanouie, mais c’est difficile de s’évanouir !

Vers vingt-deux heures, ils m’ont engueulée parce qu’ils n’obtenaient rien de moi et que je les empêchais de manger, ils m’ont rhabillée et mise dans une cave.

Le lendemain, le capitaine Faulques lui dit que tout le monde a parlé et donc que c’est à son tour, elle lui répond :
« Si vous savez tout ce n’est pas la peine que je répète », ce qui lui valu une gifle magistrale qui l’a projetée au bout de la pièce.

Beaucoup étaient des détraqués.
Au bout de quatre jours, ils n’avaient rien obtenu, je ne servais plus à rien ils m’ont transférée à la prison de Barberousse. Il y avait Anne Greki, Colette Chouraki, Blanche Moine, l’épouse d’André Moine que j’avais accompagnée jusqu’à la gare de Blida lorsqu’elle dut partir pour Oran rejoindre l’ ALN le 15 août. Elle sera arrêtée, torturée avec Gaby Jimenez, Joséphine Carmona dans « les coffres du Trésor » d’Oran, Jacqueline Guerroudj condamnée à mort, était également là. Je sortais de la torture, j’étais complètement déboussolée.

Je suis restée 2 ans à Barberousse. Je n’ai pas ressenti de haine. C’est la règle du jeu.
Je suis rentrée dans ma coquille comme un escargot. On sait au départ à quoi on s’engage.
Lorsque j’avais été jetée par terre dans le camion, un jeune homme blond, très beau prenait plaisir à me piétiner. Un jour il m’emmène à l’infirmerie en me donnant des bourrades dans le dos sous les rires des militaires. Je lui ai dit : « c’est étonnant qu’un si beau garçon soit si méchant. », il a rougi, j’étais étonnée comment un être aussi pervers peut encore rougir, j’avais trouvé la réaction humaine chez ce pervers.

De l’infirmerie, on me conduisit au cachot. Je me sentais supérieure parce que je n’avais pas lâché de nom, ni d’adresse. J’étais dans un monde autre, ils n’avaient pas de prise sur moi. Un seul objectif : ne pas parler. Le plus important est le moral, j’ai vu un homme qui avait parlé, il avait le regard mort, il était brisé.
J’avais l’impression d’être dédoublée, d’être réduite à un petit noyau qu’il fallait sauver ; le corps n’a plus d’importance, j’ai gueulé, j’ai souffert, mais je me suis concentrée sur ce petit noyau. Je n’ai pas pu parler. Il y avait un blocage en moi qui m’empêchait de prononcer une parole. Je pensais, j’existe parce que je ne parle pas.

J’avais beaucoup lu et reçu des lettres de copains torturés qui racontaient ce qu’ils avaient subi et comment leurs tortionnaires procédaient pour essayer de les faire parler. Leur méthode est toujours la même : « On sait tout. Tu peux parler ».
Ils m’emmènent à la mer : « On va te jeter à la flotte. »
On m’avait expliqué ce chantage. Ils ont besoin de nous pour nous faire parler, donc ils ne mettent pas en pratique la menace.

Les prisons

Arrêtée le 2 avril, j’ai été incarcérée le 12.
Quel bonheur ça été pour moi de rentrer en prison. Pourtant en rentrant de l’instruction, j’ai croisé Djamila, conduite sous bonne garde à sa cellule. Elle a eu le temps de me dire qu’une sœur avait été giflée par le sous-directeur. Je suis arrivée en pleine manifestation, tous les dortoirs criaient et chantaient. Les CRS sont venus, nous les avons accueillis à coup de projectiles de toutes sortes ; souliers, quarts, morceaux de savon noir. Ils ont déroulé une lance à incendie pour nous arroser. La manifestation s’étant calmée, ils ont pensé qu’elle était terminée. Il n’en fut rien. Avant de faire ouvrir les dortoirs pour matraquer, ils ont hurlé : que les mères et les enfants sortent. Parmi nous, il y avait une future maman et une jeune maman qui avait sa petite fille de deux ans. Elles ont refusé. Finalement, c’est dans la cellule des condamnés à mort qu’ils sont entrés, Elles ont été arrosées et frappées à coups de poing• Je n’avais pas l’habitude de vivre en collectivité, je ne suis pas tellement courageuse, lorsqu’il y avait des exécutions, on chantait des chants patriotiques, ça me rendait malade car on exécutait pendant que nous chantions. Depuis j’ai en horreur les chants patriotiques. Je ne peux plus les supporter. J’essayais de m’adapter, je prends ce qu’il y a de plus positif et je suis contente. Toutes les sœurs faisaient le ramadan sauf moi, je me mettais avec celles qui avaient leurs règles et qui de ce fait ne pouvaient pas jeûner, pour manger avec elles. Ma sœur m’envoyait des cochonnailles que je mangeais toute seule bien sûr, jamais personne ne m’a fait de reproches.

Le procès

En novembre 1958 a eu lieu le premier procès dit de « La Voix du Soldat » devant le tribunal militaire, regroupant 26 inculpés pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État et participation à une entreprise de démoralisation de l’armée.
Parmi les femmes Lucie Coscas, d’origine tunisienne juive, a été condamnée à 2 ans de prison et moi-même à 3 ans, transférée
à Maison-Carrée, puis quelques mois plus tard aux Baumettes en France.

Libérée par une remise de peine du général de Gaulle j’étais en « résidence surveillée » à Rennes où je devais faire tamponner un carnet. l’ai loué une chambre et travaillé pour un journal communiste.

Retour en Algérie

Revenue clandestinement en Algérie par bateau, embarquée avec de faux papiers fournis par le Parti, j’ai recommencé à travailler dans la clandestinité à Alger où j’étais agent de liaison, puis à Oran où je tapais des tracts de propagande.
C’est à Oran que je fais la connaissance du secrétaire général du PCA, le Dr Sadek Hadjérès en 1960. On ne se marie pas car le PCA ne donne même pas la permission. On doit se consacrer entièrement au Parti. A cette époque, je me sentais fragilisée, je me posais la question « si je suis à nouveau arrêtée et torturée est-ce que je parlerai ? » Je ne savais pas ?

L’indépendance - 1962
Après les accords d’Évian, c’est-à-dire après la guerre, elle épouse enfin en 1962 Sadek Hadjères ; puis la clandestinité recommence après le coup d’État de Boumediene en 1965.

Le PCA est à nouveau interdit. Son mari est arrêté, torturé puis relâché, la sécurité militaire algérienne venait à deux heures du matin chez elle pour l’interroger au moment où elle travaillait comme professeur à Hussein-Dey pour élever ses enfants dans les structures scolaires algériennes.