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Denis Goldberg : « Le procès de Rivonia fut une erreur stratégique du gouvernement de l’apartheid »

dimanche 15 décembre 2013

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En Afrique du Sud, il y a 50 ans jour pour jour, le régime de l’apartheid investissait le quartier général clandestin du Congrès national africain (ANC), une ferme dans une banlieue de Johannesburg appelée Rivonia, arrêtant tous ceux qui s’y trouvaient. Parmi eux, Denis Goldberg, un Blanc sud-africain chargé de fabriquer des armes pour la branche armée de l’ANC. Il se retrouvera sur le banc des accusés lors du célèbre procès de Rivonia aux côtés de Nelson Mandela. Il est aujourd’hui l’un des quatre derniers survivants de ce procès.

RFI : Il y a 50 ans, vous avez été arrêté, vous et d’autres membres de l’ANC. Pouvez-vous nous raconter les circonstances ?

Denis Goldberg : Le 11 juillet 1963, il y a eu une descente de police au quartier général clandestin du Congrès national africain qu’on partageait avec le Parti communiste et tout ce qui avait trait à la branche armée de notre mouvement de libération. Beaucoup d’entre nous ont été arrêtés. Chacun a été mis à l’isolement pendant 90 jours dans des conditions de détention terrible, sans contact avec nos familles, nos amis et même nos avocats. Beaucoup ont été torturés, certains ont même été tués. Et une poignée a été traduite en justice lors d’un procès connu sous le nom du procès de Rivonia. Parce que c’est là où se trouvait la ferme où nous avons été arrêtés.

Nelson Mandela était déjà en prison, il avait été condamné pour avoir quitté le pays illégalement, avoir appelé à la grève générale et protesté contre les pires lois de l’apartheid. Il a été présenté comme le principal accusé dans ce procès, parce dans notre quartier général clandestin, la police a trouvé l’un de ses carnets où il avait noté tout ce qui avait trait à la lutte armée, des pensées politiques, philosophiques. Et il apparaissait clairement que c’était le chef de cette lutte armée. Et c’était clair dès le départ que la police, le procureur, tous voulaient nous voir pendus. Ils nous ont dépeints comme de dangereux terroristes, ont cherché à prouver qu’eux-mêmes et le système de l’apartheid étaient totalement rationnels. Et notre défense à nous, c’était d’expliquer que c’était le système de l’apartheid lui-même qui abusait de l’usage de la force pour rester en place.

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Qu’est-ce que vous vous êtes dit quand les services de sécurité ont fait irruption dans votre quartier général

Je peux le dire en français… Merde ! Non, quel était mon sentiment ? C’est une journée d’hiver, il faisait froid. Mais d’un coup, l’air est devenu glacial. Parce que ça signifiait qu’on allait probablement mourir. Vraiment, on pensait être pendu pour ça. Ils ont saisi tellement de preuves nous accablant.

Mais en même temps, l’objectif de la branche militaire de l’ANC n’était pas de supplanter le combat politique, mais d’ajouter une composante de plus à notre action. Nous avions rédigé un manifeste en juin 1961, il était signé de notre commandant en chef, qui était Nelson Mandela, même s’il n’était pas nommé. On l’avait placardé sur les murs, envoyé aux journaux. Et ce manifeste disait : « Il y a un moment dans la vie où deux voies s’ouvrent au peuple : se soumettre et vivre à genoux ou bien de faire face et de se battre ». Et nous avions décidé de nous battre. Nous disions également qu’il fallait que les masses populaires soient mieux représentées au niveau des institutions. Mais que nous étions prêts à tout moment à négocier avec le régime de l’apartheid. C’était l’esprit de ce manifeste.

Et puis il y a eu le fameux procès de Rivonia et le discours de Nelson Mandela. Dans ce discours, il a décrit la situation dans le pays. Il a juste demandé à ce que tous les Sud-Africains bénéficient des mêmes droits, droits politiques, droits économiques, pour devenir juste des hommes comme les autres. Des idées qu’on retrouvait en Angleterre, en France aussi… Liberté, égalité, fraternité. Nous étions tous influencés par ces idées. Et Nelson Mandela a fini son discours en disant que pendant toute sa vie, il s’est battu contre la domination des Blancs sur les Noirs et contre la domination des Noirs sur les Blancs. Il rêvait de vivre dans une société où régnerait la paix et l’harmonie. Et cet idéal, il aimerait vivre pour le voir se réaliser – on se battait pour sauver nos vies, ils voulaient nous pendre –, mais qu’il était aussi prêt à mourir pour cet idéal. Et en disant cela, le message qu’il faisait passer, c’était : pendez-moi si vous osez. C’était un moment extraordinaire dans sa vie et dans la mienne aussi. J’étais assis, là, à ses côtés. Mais je ne me souviens pas avoir ressenti de la peur dans nos rangs. Moi, j’étais fier de partager cet instant. Et peu importe si nous devions être pendus…

Est-ce que vous pensez que ce discours a convaincu les juges de vous laisser en vie pour ne pas vous transformer en martyrs et que d’une certaine manière, c’est à ce moment-là que vous avez défait le régime de l’apartheid ?

Je ne suis pas sûr de savoir exactement pourquoi finalement le juge nous a laissés en vie. L’Assemblée générale des Nations unies avait voté une déclaration appelant le gouvernement de l’apartheid à mettre fin à ce procès et nous libérer. Deux pays avaient voté contre : l’Afrique du Sud et Israël qui étaient alliés à l’époque. Il y a aussi des appels du pape, de syndicats étrangers… Il y a eu des milliers et des milliers de messages de soutien. Je pense que ça a dû quand même jouer.

Est-ce à ce moment-là qu’on a défait le régime de l’apartheid ? Comment vous expliquer… Jour après jour, les médias anglophones, afrikaners suivaient le procès et publiaient ce qui nous disions, quelles étaient les preuves contre nous. Et tout ça dans des centaines, des milliers, voire même des millions d’exemplaires de ces journaux. On n’aurait jamais pu faire ça, atteindre autant de gens, leur faire comprendre les raisons de notre lutte. Les Blancs sud-africains se délectaient de ce qui se passait, nous étions présentés comme des personnages abominables. Mais du côté des oppressés, les Noirs, les Indiens d’Afrique du Sud, ils ont découvert et apprécié ce que nous faisions. Ils étaient en train de faire notre travail pour nous. Ce fut une erreur stratégique du gouvernement de l’apartheid. Nelson Mandela avait dit qu’il était prêt à mourir. Et nous aussi.

Le juge a dit que le châtiment approprié pour des actions qui s’apparentaient à la haute trahison était la peine de mort. Je connais le mot français : Trahison ! Mais… Et à ce moment-là, on a tous commencé à sourire. Ça signifiait qu’on allait échapper à la peine capitale. Et donc, il nous condamnait à la prison à perpétuité pour chaque chef d’accusation. Mais de toute ça, on ne peut passer qu’une vie en prison. Et ma mère, comme Nelson Mandela le raconte dans son livre, elle n’avait pas voulu suivre l’énoncé du verdict et elle m’a appelé : « Denis, Denis, quelle est la sentence ? » Et je lui ai répondu : « La prison à vie, mais la vie, c’est merveilleux ! »

Par Sonia Rolley

jeudi 11 juillet 2013

in RFI

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