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Harcèlement judiciaire des attributaires des terres nationalisées en 1965 à Draa Ben Khadda
lundi 23 décembre 2013, par
Les agriculteurs des EAC et EAI de Draa Ben Khadda ne baissent pas les bras. Ils affrontent depuis 20 ans les Smaïl, héritiers des collaborateurs du colonialisme dont l’Etat algérien avait nationalisé les terres en février 1965. Les Smaïl ont leurs appuis dans l’administration. C’est grâce à ces appuis qu’ils ont réussi à obtenir des décisions de récupération des terres nationalisées. Les décisions ont été prises au moment où les hordes criminelles du FIS ensanglantaient le pays et où les paysans ne pouvaient se défendre contre les actes arbitraires des représentants de l’Etat.
Durant toutes ces années ils ont été traînés devant les tribunaux, menacés et intimidés par des gendarmes et des policiers. Ils ont subi des interrogatoires sous n’importe quel prétexte. Maintes fois ils ont été agressés, frappés en toute impunité par les Smaïl pour qu’ils quittent les terres sur lesquelles ils sont nés et ont grandi, pour que les descendants des collaborateurs du colonialisme s’y installent de nouveau. Ce fut donc pour eux une nouvelle tout à fait inattendue lorsqu’ils apprirent il y a quelques jours que la justice venait enfin de donner suite à la plainte de l’un d’entre eux. Un membre de l’EAC Hamdane avait été assommé et jeté dans la fosse d’huiles de vidange d’une station-service de la ville. Les 3 auteurs de cette agression sauvage ont été condamnés à 18 mois de prison ferme.
Le feuilleton de l’arbitraire et de l’injustice a commencé en 1992 lorsque le wali de Tizi Ouzou de l’époque avait décidé en toute illégalité de remettre en cause les décisions de nationalisation de 1965.
C’est le 22 février 1965 que préfet de la région avait pris un arrêté de nationalisation des biens de Smaïl Lounes.
Voir le Document 1. <doc667|center>
Ce sont quelque 2000 ha qui sont touchés par cette mesure. A l’échelle de toute l’Algérie des dizaines de milliers d’hectares sont ainsi récupérées par l’Etat. Les terres nationalisées seront exploitées sous le régime des domaines auto-gérés suivant les décrets de mars 1963.
En 1987 le régime de Chadli décide de morceler les domaines auto-gérés, devenus dans les faits des Domaines agricoles d’Etat. L’opération vise en réalité à préparer leur redistribution un jour en faveur des affairistes et des pontes du régime. Les domaines sont remplacés par des Exploitations agricoles collectives (AEC) ou individuelles (EAI) plus petites et plus faciles à brader. Les membres de ces nouvelles exploitations sont désignés parmi les travailleurs des anciens Domaines. Ils reçoivent tous, un arrêté qui précise la contenance et la délimitation des terres. L’arrêté est censé théoriquement protéger le bénéficiaire de toute décision arbitraire. En principe il ne peut être déchu de ses droits d’exploitant que par décision de justice.
La réalité est différente. Durant les années les plus effroyables du terrorisme des milliers d’exploitants fuient les campagnes pour échapper à la terreur. Leurs terres seront dans la plupart des cas réattribuées de façon frauduleuse au profit de dignitaires du régime, pour soi-disant assurer une "retraite-vieillesse" dorée aux anciens moudjahidines. En fait les anciens moudjahidines comblés par ces mesures ne sont pas ceux qui sont dans le besoin mais ceux qui jouissent déjà de privilèges de toutes sortes et notamment de militaires et de hauts fonctionnaires qui rêvent de terminer leurs vieux jours dans de superbes "ranchs". Bien sûr ils ne se compromettront pas de façon grossière. Les terres accaparées durant les années du terrorisme seront mises au nom de leurs enfants. Des circulaires contraires à la Loi sont pondues pour permettre à l’exploitant pris à la gorge de céder son lopin de terre à un puissant. Les notaires sont autorisés par simple instruction ministérielle d’établir des actes de cession. Les walis entérinent ces actes illégaux qui finiront par être légalisés grâce à la nouvelle loi foncière d’août 2010.
En novembre 1990, le gouvernement réformateur de Hamrouche, qui a mis le cap sur le capitalisme en maquillant ses choix pour tromper le peuple, et l’Assemblée nationale présidée par Belkhadem décident de restituer les terres nationalisées du temps de Boumediene en application de l’Ordonnance du 8 novembre 1971. La contre-révolution agraire de Hamrouche est présentée sous le nom de Loi d’orientation foncière. Mais les terres nationalisées entre 1963 et 1965, terres confisquées par l’Etat algérien pour sanctionner les notables qui avaient collaboré avec le colonialisme, ne sont pas du tout concernées par cette Loi. Il faudra attendre encore 5 ans pour qu’au plus fort de la terreur intégriste Zeroual décide de s’attaquer aux terres nationalisées entre 1962 et 1965.
Et pourtant c’est sur cette Loi de 1990 que Benmansour, le Wali de Tizi Ouzou, va s’appuyer pour spolier les paysans qui exploitent les terres nationalisées depuis 30 ans.
On peut ainsi découvrir un spécimen de cet acte illégal en lisant dans le document 2 l’arrêté de restitution en faveur d’un membre de la famille Smaïl.
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Voir Document 2 <doc668|left>
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Document 2, page 2 - <doc669|left>
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Comme on peut le voir, cet arrêté omet de citer le décret du 9 mai 1963 et l’arrêté préfectoral du 22 février 1965. Le wali ne veut pas éveiller les soupçons. Dans les textes visés en référence l’arrêté de Benmansour cite la Loi d’orientation foncière de novembre 1990 pour faire croire que sa décision a une assise juridique légale. Il cite également l’Ordonnance 75/74 du 12 novembre 1975 portant institution du cadastre et du livret foncier. Mais ce texte n’a rien à voir avec les nationalisations opérées dans le cadre de la Révolution agraire. Il y a tromperie délibérée pour faire croire que la terre est restituée en application de la Loi hamrouchienne de 1990.
On remarquera aussi que la décision du wali viole toutes les procédures qui donnent un caractère légal à un arrêté. Ainsi le wali n’a pas au préalable annulé les arrêtés nationalisation de 1965, ni les arrêtés d’attribution aux membres des EAC-EAI de 1987, pour que la décision de restitution puisse reposer sur un fondement légal. Il ne l’a pas fait parce que son arrêté ne pouvait reposer sur aucune base légale. On remarquera enfin que l’arrêté de restitution ne se réfère à aucun plan de délimitation par le cadastre et de l’emplacement de ces terres. Il se contente de situer vaguement les terres sur les vastes territoires de Draa Ben Khadda et de Tirmitine.
En principe aucun magistrat ne peut, sur la base d’un arrêté qui ne repose sur aucun fondement juridique, ordonner l’expulsion de paysans installés par l’Etat sur des terres nationalisées. Il ne peut sur la base d’un arrêté aussi vague, statuer pour donner raison ou tort à un plaignant qui prétend détenir des droits sur une parcelle de terre qu’aucun repère cadastral ne permet d’identifier avec précision. Le magistrat ne peut donner raison à l’un et condamner celui qui est nanti d’un arrêté qui lui a attribué en 1987 un morceau de terres, au motif qu’il refuse de déguerpir des lieux. Il faut d’abord que le plaignant fasse la preuve que la terre dont il réclame la restitution est bien celle visée par l’arrêté. Et pourtant c’est sur la base d’une simple affirmation des bénéficiaires des restitutions que la justice va donner raison à ces derniers et que les membres des EAC-EAI vont se retrouver entraînés dans un tourbillon de procès, de convocations, d’affrontements avec les services de sécurité, de peines d’emprisonnement, de harcèlements judiciaires. Le plus incroyable est que les services des Domaines n’ont jamais été officiellement saisis par les services de la wilaya de leur décision d’alléger le patrimoine étatique de milliers d’hectares !
Ce n’est qu’en septembre 1995 que Zeroual promulgue une ordonnance qui restitue les terres nationalisées en vertu du décret de mai 1963. Les arrêtés signés en 1992, trois ans avant, par le wali Benmansour sont nuls.
L’Ordonnance Zeroual exclut cependant du droit à la restitution ceux qui ont collaboré avec le colonialisme. En principe les héritiers Smaïl n’auraient pas dû être concernés par les mesures de restitution.
Et cependant le calvaire des membres des EAC-EAI de Draa Ben Khadda n’est pas terminé.
Le déni de justice, l’arbitraire de classe, l’illégalité érigée en code juridique scélérat, le mépris pour les règles de droit qui protègent le petit citoyen, la morgue des détenteurs de l’autorité, la toute-puissance des rapports fondés sur l’argent et les vestiges du féodalisme, voilà ce qui se reflète dans l’affaire qui oppose les EAC-EAI de Draa Ben Khadda aux descendants des Caïds et Bachaghas.
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Z.B.