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Hommage à Lakhdar Benhassine : un intellectuel qui a consacré toute sa vie à la lutte pour l’indépendance du pays et l’émancipation des travailleurs
mardi 1er juillet 2014, par
La nouvelle du décès de Lakhdar Benhassine a provoqué une grande émotion parmi ses amis, ses camarades et ses anciens collègues de l’Université et de la recherche. Tous avaient espéré qu’il allait se sortir des conséquences de l’AVC qui l’avait frappé un mois auparavant. A quelque courant patriotique et progressiste que l’on appartienne dans ces larges milieux universitaires, politiques, syndicaux, associatifs, où bouillonnent en permanence les réflexions sur le moyen de sortir le pays de l’impasse dans laquelle il a été plongé depuis plus de trente ans, il est difficile d’imaginer un horizon intellectuel sans Lakhdar Benhassine.
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Lakhdar devant la librairie Audin, son sac empli de livres, au milieu de jeunes fêtant la présence de l’équipe nationale de football au Soudan.
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Lakhdar était un homme de conviction. Il défendait ses idées et sa conception du monde en alliant rigueur scientifique et passion. Sa vie durant, l’objet de ses préoccupations permanentes a été le devenir de son pays, de son peuple, des travailleurs, des paysans et des jeunes qui espèrent que les richesses produites leur profitent un jour.
C’est cette passion comme moyen d’extériorisation de sa vision économique et politique du présent et de l’avenir du pays qui a provoqué ce fatal AVC. Il n’a pu réprimer un énorme mouvement de colère à l’annonce de la décision du gouvernement de lancer le pays dans l’exploitation du gaz de schiste, sans discussion, sans débats préalables, sans respect pour les institutions, fussent-elles de pure forme, sans qu’en soient analysée l’opportunité, sans que soient tirées les leçons de la ruineuse politique du GNL et des exportations massives de gaz qui avaient conduit à la création d’une énorme dette extérieure ; une décision dictée seulement par le besoin de consolidation des liens des classes au pouvoir avec les oligarchies des USA et du monde impérialiste, par la recherche - certainement illusoire - des devises qui permettraient d’importer encore plus et sans fin, les biens de luxe réclamés par les nouveaux nantis pour satisfaire leur soif illimitée d’ostentation. Toutes ces réflexions indignées se sont bousculées violemment dans sa tête. Elles briseront peu après les capacités de résistance neurologiques de ce grand savant économiste et militant marxiste engagé depuis son plus jeune âge dans le combat pour l’indépendance du pays, pour l’émancipation et la dignité de ses masses laborieuses.
Lakhar Benhassine inspirait le respect. Il ne s’est laissé compromettre par aucun calcul carriériste. Homme de vaste culture, polyglotte maniant avec facilité l’allemand, le russe, l’anglais ainsi que le français et l’arabe. Il aurait pu faire une belle carrière dans les arcanes corrupteurs du système, accumuler de l’argent et vivre très confortablement. Il ressentait comme Marx, à l’étude duquel il avait consacré sa vie intellectuelle, cette étrange situation où il écrit constamment sur l’argent et ses origines tout en en étant démuni ou faiblement pourvu. Brillant Professeur d’Université, il dut quitter écœuré le lieu où ses étudiants venaient étancher leur soif de connaissance en l’écoutant dérouler avec pédagogie son savoir encyclopédique. Il ne supportait plus la transformation de l’Université en rampe de lancement pour assouvir des ambitions mesquines. Il se retrouva avec une pension de retraite si indigente qu’il ne pouvait plus satisfaire son besoin irrépressible d’acheter les livres dont la lecture lui procurait un plaisir indicible ou stimulait sa réaction critique acérée.
Élevé, enfant, dans une éducation religieuse stricte et rigoriste, comme tous les autres citoyens de son pays, Lakhdar avait très tôt ressenti une profonde insatisfaction. Il ne trouvait pas dans la contemplation religieuse les réponses aux questions qu’il se posait. Il cherchait à comprendre pourquoi certains possédaient d’énormes richesses tandis que d’autres étaient condamnés à vivre misérablement à la sueur de leur front, pourquoi le colonialisme avait pu s’emparer du pays et asservir sa population, pourquoi des musulmans exploitaient d’autres musulmans et s’entendaient bien avec les colonialistes, ou même lorsqu’ils cherchaient à se libérer de leur domination, ils n’envisageaient pas d’autre avenir que de prendre leur place.
Et c’est à ce moment-là qu’il découvrit la pensée de Marx. Il en fut bouleversé. Il avait trouvé la clé qui lui permettait de comprendre le monde et le chemin à suivre pour le changer en profondeur. Sa vie en a été profondément transformée.
Jusqu’à ce jour fatidique où l’AVC a eu raison de lui, Lakhdar a consacré son temps à l’étude de Marx et Engels, à la possession de la méthode nécessaire à l’élucidation scientifique des faits économiques et historiques. Son souci constant était de faire partager ses connaissances avec la jeunesse. Il a laissé de très nombreux écrits sur la pensée de Marx. Toute personne qui veut comprendre les racines du colonialisme, les mécanismes de sa reproduction sous de nouvelles formes, impérialistes, devrait lire le recueil de ses articles effectué par l’Institut arabe du Travail. Victime de la conspiration du silence méthodiquement organisée par les tenants de la "bien-pensance", il fut un des premiers universitaires à découvrir les possibilités nouvelles offertes par internet pour rompre l’encerclement. Avec l’aide compétente de son fils, il crée le site "Marx-Engels" grâce auquel il put faire connaître les analyses de ces deux penseurs qui ont bouleversé le monde en fondant la théorie du matérialisme historique. Il diffusa par ce moyen ses propres analyses en s’appuyant de façon féconde sur leurs idées révolutionnaires. Malheureusement le site fut attaqué et réduit au silence.
<doc839|center> Lakhdar au Salon International du Livre à Alger.
Lakhdar Benhassine a rejoint l’Université d’Alger en 1970 après son retour de la République démocratique allemande où il avait effectué l’essentiel de ses études universitaires. Le hasard avait fait de lui un adjoint efficace et rigoureux du regretté Destannes de Bernis qui enseignait alors le cours de "Fluctuations et croissance" dans la Faculté de Droit et de Sciences économiques d’Alger.
Parallèlement à ses activités scientifiques universitaires, il milite sans hésitation au Parti de l’Avant-Garde Socialiste clandestin. Il fait partie de cette catégorie d’enfants du peuple qui n’oublieront pas leurs origines. Son travail intellectuel et son engagement politique seront intimement liés.
Il met ses connaissances et ses analyses au service de son parti pour l’aider à mieux comprendre les contradictions de la société, du régime et du monde, à définir avec le maximum de justesse sa ligne économique et sociale.
Communiste convaincu, c’est en connaissance de cause qu’il affronte le risque de l’arrestation et des raffinements de la torture.
En 1992, malgré la disparition de l’URSS sous les coups de la contre-révolution, la vague de reniements qui submerge nombre de partis communistes, le PAGS y compris, Lakhdar Benhassine est de ceux qui résistent au défaitisme. Il n’acceptera pas la liquidation de son parti. Il milite pour sa reconstruction sur la base du retour aux fondements de la théorie de Marx, Engels et Lénine. Il se donne alors pour tâche de faire connaître leur enseignement pour armer les jeunes des connaissances indispensables à l’abolition du capitalisme, à la construction d’une société socialiste. Il insistait auprès des syndicalistes ouvriers pour qu’ils fassent l’effort de se cultiver, d’étudier les lois du capitalisme et du socialisme afin d’extirper les racines idéologiques de l’obscurantisme, de l’opportunisme et de préparer les changements révolutionnaires en concertation étroite avec le mouvement ouvrier à l’échelle internationale.
Lakhdar nous a indiqué le chemin à suivre. Il restera présent dans notre cœur et notre raison.
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Zoheir Bessa
1er juillet 2014