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La décolonisation de notre agriculture : un acte majeur de souveraineté nationale
vendredi 17 juillet 2020
par Mahmoud Chabane*
La rédaction d’Alger républicain a jugé très utile de signaler à nos lecteurs cette intéressante et instructive contribution publiée dans le Quotidien d’Oran du 16 juillet. Homme de terrain armé d’un fécond recul intellectuel, Mahmoud Chabane, son auteur, sait de quoi il parle. Afin que l’attention du lecteur soit concentrée sur la question de l’indépendance alimentaire, objet principal de sa contribution, nous n’avons retenu que la partie qui aborde ce sujet. Qu’il nous en excuse.
Il va de soi qu’Alger républicain est sensible à l’hommage rendu par l’auteur aux martyrs dont les restes ont été rapatriés lors des cérémonies du 58 ème anniversaire de l’indépendance. Nous le sommes d’autant plus qu’Alger républicain a été un des premiers à relayer dès 2013 les révélations de l’’historien et anthropologue Ali Belkadi.
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" MÉFAITS » DE LA LONGUE NUIT COLONIALE SUR NOTRE AGRICULTURE
En effet, peut-on parler de développement agricole en Algérie sans évoquer l’impérialisme français et prendre le risque de passer sous silence par perte et profit les méfaits multiples et diversifiés qu’il a perpétrés durant 132 ans à l’endroit d’un peuple qui ne l’a jamais invité ou sollicités ? Ne pas le convoquer, c’est quelque part, parler de la vie sans parler de la mort !? L’objectif premier de cette modeste contribution n’est pas de faire le bilan de ses actes barbares au demeurant innombrables, mais tout juste pour rappeler à ceux qui l’auraient oublié, que l’impérialisme français est venu chez-nous pour semer la mort, pour remplacer un peuple par un autre importé, et tout ce qui le caractérise et fonde sa personnalité.
L’impérialisme français est par nature prédateur, pilleur, destructeur, esclavagiste,.... C’est sa façon à lui de civiliser les indigènes qu’étaient nos aïeux, ainsi qualifiés, pour donner du crédit à son invasion du pays, de barbares à humaniser. Exterminer le maximum d’indigènes pour les remplacer par des « évolués » (souvent des repris de justice français, d’européens lambda) effacer tout ce qui pourra rappeler que ce pays était (il l’est toujours) habité par des hommes libres, tel était son mot d’ordre et son crédo.
Il concéda tout de même, dans sa « grande mansuétude » et par charité chrétienne, qu’il est nécessaire de garder, en esclavage évidemment, des indigènes domestiqués pour réaliser certaines fâches pénibles et dégradantes. Et tout ceci au nom des droits de l’humain dont il se targue d’en être à l’origine et s’autoproclame promoteur. Découvrant un pays qu’il avait tenté de conquérir depuis le 17 ème siècle, paradisiaque réunissant des conditions climatiques et de richesses naturelles insoupçonnées, que même les récits de voyages avaient sous estimées, les impérialistes français avaient décidé de chasser par la force de la baïonnette et des lois scélérates promulguées à cette fin et pour couvrir les exactions des militaires dans leur entreprise d’expulsion des indigènes des terres qu’ils travaillaient et qui les nourrissaient.
La colonisation française s’est attelée à mettre en place sur les terres les plus fertiles spoliées à notre paysannerie, un plan de cultures complémentaire à celui de la métropole dont la finalité était de produire des fruits et légumes gorgés de soleil, aux goûts et senteurs raffinés, destinés à la bourgeoisie française. Ce plan de cultures, installé au fur et à mesure de l’avancée foudroyante de la colonisation, a conduit inexorablement à l’introduction de nouvelles cultures et ce, bien évidemment au détriment des espèces et variétés végétales autochtones (sélectionnées et élevées en Algérie) adaptées au milieu pédo-climatique, aux habitudes culinaires et culturels de ses habitants.
Il convient de rappeler, à toute fin utile, que les plats traditionnels (couscous, metlou3, m’hajeb, et diverses pâtes alimentaires) qui ont, grâce à la volonté individuelle et collective de tout un peuple, échappé à l’action de déculturation des algériens, sont faits à base de semoule de blé dur. Les asiatiques ont leur riz, les algériens ont leur blé dur (Med Belbachir, Blidi 17, Oued Zenati ...). Ils exploitaient et consommaient ce que la nature permet de cultiver, en veillant sur elle, sans la déséquilibrer. Parmi les espèces introduites, en remplacement des cultures autochtones qui ont bouleversé nos habitudes alimentaires et notre modèle traditionnel de consommation, il y a lieu de citer principalement le blé tendre utilisé (comme blé de force pour améliorer la piètre qualité boulangère du blé tendre produit en France) et la vigne de cuve dont le vin servait pour améliorer l’assemblage des vins et, bien entendu, toute la variété de fruits et légumes cultivés pour être exportés.
À elles seules, les deux principales cultures installées au détriment des cultures ancestrales (blé dur, orge, seigle, légumes secs, etc...,) ont, avec les actions de déforestation opérée par les bucherons et le napalm, la destruction des vergers de montagne (constitués d’oliviers souvent centenaires, de figuiers, de caroubiers, etc....) perturbé dangereusement, voire irrémédiablement, le milieu naturel de la faune et de la flore autochtones. Au fil des années de colonialisme barbare, la biodiversité de ce magnifique pays qu’est l’Algérie, s’en est trouvé drastiquement appauvri. De même, les sols exploités de façon minière sans souci de les restaurer ont perdu de leur fertilité et la faune s’en est trouvée considérablement réduite, du fait de la destruction de son milieu naturel.
En outre, cette entreprise impérialiste d’exploitation minière des terres et des hommes au profit de la métropole a modifié quelque peu les traditions culinaires des algériens et créer des besoins nouveaux, une façon pour l’impérialisme français de créer un marché pour écouler les surplus de production agricole métropolitaine. Aussi, avec la conquête de l’Algérie, l’impérialisme français venait de réaliser son rêve de puissance impérialiste pour améliorer son autosuffisance alimentaire, sécuriser ses approvisionnements, renforcer économiquement son empire, tout en améliorant sa place par la notoriété de certains produits agricoles (vins, agrumes, dattes, notamment) sur le marché international.
Et surtout, il n’a plus besoin de traiter avec des « sauvages » pour approvisionner en blé dur, ses troupes envoyées conquérir d’autres contrées, comme ce fut le cas avant l’invasion de l’Algérie décidée, en partie, pour ne pas honorer les factures de blé dur acheté à l’Algérie pour ravitailler ses expéditions militaires napoléoniennes. Pour réaliser ses objectifs stratégiques agricoles, l’impérialisme français s’est accaparé des terres les plus fertiles dont la superficie totale serait, selon les historiens sérieux, de trois millions d’hectares et réduit en esclavage tout un peuple fier et digne malgré la misère dans laquelle il a été plongé, à son corps défendant.
En 1960, c’est-à-dire à la veille de l’indépendance, le géographe H.ISNARD souligne que : « Les exportations algériennes comprennent 80% de produits agricoles et 20% de produits manufacturés. Plus des 2/3 de ces exportations, soit 68%, sont constitués par les sorties des vins, fruits et légumes. À eux seuls, les vins comptaient pour 53%. Plus de 90% de ces exportations agricoles étaient destinés au marché français. On comprend aisément les difficultés qu’éprouve la jeune République algérienne à se libérer de cette étroite sujétion. »
À l’évidence, il était pour moi, essentiel de convoquer cette page de l’histoire de l’impérialisme colonial français en Algérie pour mieux faire comprendre, les difficultés et les contraintes structurelles auxquelles est confrontée notre l’agriculture qui peine à satisfaire la demande nationale, ne serait-ce qu’en produits de première nécessité.
RECONSTRUCTION ET DÉCOLONISATION DE NOTRE AGRICULTURE
Au lendemain de notre indépendance nationale arrachée de haute lutte par tout un peuple d’insoumis, hormis les harkis et les indigènes assimilationnistes, alors que les partisans de l’Algérie française ont tout fait pour semer le chaos, provoquer l’anarchie, les ouvriers agricoles ont fait front et constitué un rempart pour faire échec aux multiples tentatives de détournement, de prédation et d’accaparement des productions agricoles pendantes, des matériels agricoles, des terres et des immeubles. C’était, la belle époque des biens vacants !
Par leurs actions patriotiques qui s’inscrivent en droite ligne des objectifs de la Révolution de libération nationale, force est de reconnaitre que les ouvriers ont posé là, sans le savoir ?, la première pierre pour l’édification d’une agriculture décolonisée au service de tout le peuple.
Pour apprécier la portée de ces actions historiques menées par ces travailleurs qui, il est utile de le rappeler et de le souligner, n’avaient pas succombé aux tentations de chapardage et de dilapidation, il y a lieu de les resituer dans le contexte de l’époque marquée par le départ forcé (la valise ou le cercueil slogan lancé par l’OAS) des colons, l’absence d’encadrement technique et administratif pour continuer à exploiter les trois millions d’ha abandonnés par les désormais ex occupants, assurer la récolte et la commercialisation des productions pendantes …
Il ne faut surtout pas perdre de vue que les impérialistes français avaient pris soin de priver les indigènes d’école et de formation. Mieux encore, ces ouvriers agricoles avaient jeté, à l’instar des ouvriers d’autres secteurs économiques, les bases d’un modèle de gestion révolutionnaire adapté aux conditions difficiles postindépendance que traversait le pays. Il fut consacré par la promulgation du décret de mars 1963 portant autogestion. Le défi ainsi relevé par ces algériens, enfin libres, est inestimable en ce sens qu’il a permis de décevoir les prévisions de l’ex puissance coloniale (elle tablait sur le déclenchement d’une guerre civile) et de démontrer à qui voudrait l’entendre que leur capacité de résilience reste forte.
Les pouvoirs publics en charge de la gestion du pays exsangue, transformé en champ de ruines par l’administration coloniale, sollicités de toute part, tant les besoins étaient énormes et les moyens très limités, étaient confrontés à la problématique suivante :
1. comment éviter et juguler les risques d’exodes rural et agricole qui menaçaient la poursuite de l’activité agricole dans nos campagnes en venant gonfler les bidonvilles déjà saturés, tout en faisant attention à ne pas priver le citoyen algérien de son droit à la liberté retrouvée ?
2. comment amener les algériens déracinés, fort nombreux, à quitter les bidonvilles et les centres de regroupement, pour se consacrer au travail de la terre dans des conditions de réinstallation humaine et les réhabiliter dans leur rôle d’acteurs économiques. Il est utile de rappeler que l’exode rural a été orchestré par l’administration coloniale pour vider les campagnes dans le but de priver les maquisards, du soutien que leur apportaient les paysans ;
3. comment assurer la protection et l’exploitation de l’important potentiel agricole devenu, en vertu du décret de mars 1963, propriété de l’État algérien, alors que les moyens : humains d’encadrement, matériels, financiers manquaient cruellement et que les inputs sont dans la quasi-totalité importés de la désormais ex métropole ?
Pour prendre en charge les éléments de cette problématique, les pouvoirs publics ont dû se résoudre à élaborer et mettre en œuvre des mesures à la hauteur des exigences de la situation de notre économie en général et de notre agriculture en particulier. Ces mesures ont fait l’objet d’un programme de développement cohérent formalisé sous la direction du Secrétariat d’État à la planification à travers des plans triennal et quadriennaux mis en œuvre durant les années 1960 et 1970.
La promulgation de l’ordonnance portant révolution agraire, faite entre autre, pour compléter le décret instituant l’autogestion, constitue indéniablement l’acte fondateur qui a marqué la rupture avec l’agriculture coloniale et un début de réponse aux légitimes attentes du monde rural. Sa mise en œuvre avait permis à des milliers de khemas (forme d’esclavage des plus inhumaines) de se libérer des chaines invisibles qui les liaient aux féodaux, de bénéficier d’un emploi agricole permanent et de quitter définitivement leurs misérables taudis pour des logements décents au niveau des villages agricoles pour y vivre dignement.
L’option indépendance alimentaire, déclarée urgence nationale et jugée incontournable pour conforter notre indépendance, a imposé aux pouvoirs publics l’utilisation de tous les leviers dont il disposait et la mobilisation de tous les moyens de la nation. Pour ce faire, il a dû :
1. engager le monde paysan et tous les secteurs économiques opérant en amont et en aval du secteur agricole à œuvrer pour réaliser cet objectif stratégique et consolider ainsi notre indépendance politique pour laquelle le monde paysan a consenti le lourd tribut ;
2. élaborer et concrétiser un plan de culture national axé sur la prise en compte de la satisfaction des besoins prioritaires de la population, et l’exploitation rationnelle des potentialités que recèle le considérable patrimoine foncier agricole ;
3. produire, récolter, commercialiser, stocker et transformer les produits agricoles essentiels pour garantir un approvisionnement régulier et sécurisé de la population et mettre ainsi fin à la sous-alimentation chronique datant de l’époque coloniale ;
4. produire les semences, plants, engrais pour se soustraire à la dépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale et sécuriser nos approvisionnements en intrants.
En soutien à cet objectif stratégique éminemment politique un certain nombre de complexes industriels ont vu le jour. En amont il s’agissait de produire et fournir les engrais, les produits phytosanitaires, les semences, les matériels agricoles (traction, récolte, aratoire, transport, traitement...), les services et appuis nécessaires à la réalisation des campagnes agricoles. En aval il fallait commercialiser, stoker et transformer les productions agricoles. Quant au volet appui à la production et organisation de la profession, il a été pris en charge par un encadrement technique, certes quantativement très limité, opérant dans des instituts spécialisés dédiés à cette mission et un tissu inédit de coopératives de services spécialisées et très décentralisées.
AU NOM DE L’INFITAH : CAP TOUTE SUR L’ULTRALIBÉRALISME
Faut-il rappeler que notre pays qui ambitionnait résolument de réaliser son indépendance alimentaire malgré les moyens limités dont il disposait durant les années 1960/70 et avait engagé pour ce faire, tous les acteurs économiques concernés par cette noble mission, s’est trouvé, avec l’avènement de la nouvelle équipe de décideurs, dès le début des années 1980, dévié de cette trajectoire. De fourmi laborieuse, le pays a été transformé, comme par enchantement, en cigale festoyeuse.
Ce changement brutal de cap opéré en violation de la constitution en vigueur, faut-il le rappeler, par l’équipe Chadli, assimilable à une déviance des objectifs clairement définis par le congrès de la Soummam, a marqué le début de l’entreprise de déconstruction de tout ce qui a été réalisé jusque-là, au prix d’énormes sacrifices consentis par les patriotes pour reconstruire leur Algérie. En fait, cette équipe (il suffit de voir sa composante pour comprendre son véritable projet et pour qui elle roulait) préparait dans ses « laboratoires » le démantèlement et le transfèrement du patrimoine de l’État, donc du peuple, au profit d’une clientèle prédatrice, insatiable, voire antinationale. Pour faire « avaler » au peuple ce changement de cap qui se décline sous l’habillage de l’INFITAH en vogue en Egypte de Sadat et son équivalent russe Perestroïka, pensé (ailleurs ?) pour installer le néolibéralisme dans les pays qui avaient osé un semblant de justice sociale, les décideurs en place avaient pris option pour un passage en force de leur INFITAH.
Pour y parvenir rapidement, ils ont imaginé un slogan racoleur et fallacieux « pour une vie meilleure ». Pour ce faire ils avaient dégainé une arme redoutable, en l’occurrence l’article 120 des statuts du FLN, utilisée pour écarter, broyer toute personne mouchaouche (cadre, ouvrier....) engagée dans la reconstruction de l’Algérie pour tous, rêvée par nos martyrs, qui oserait exprimer une opinion différente. Les mesures prises pour détricoter tout ce qui a été réalisé depuis l’indépendance par le peuple et pour le peuple et gommer une page de notre histoire récente ont été mises en place avec une cadence effrénée et un empressement de brigands venus dévaliser et piller tout un pays.
Dans le cadre de cette politique ultralibérale, les actions centrales structurant les plans quadriennaux de développement intégré basé sur l’équilibre régional et une répartition des richesses nationales, ont été stoppées pour être remplacées « séance tenante » illico presto par le PAP (plan anti pénuries). Sa mise en œuvre a permis l’émergence d’une faune d’importateurs chargés d’inonder le marché en produits made in (une large gamme de produits sont tout simplement inconnus des algériens) importés et commercialisés, comble de la provocation, par l’enseigne très populaire du souk el Fellah. Pour les décideurs, c’est ahurissant mais les déclarations sont assumées, le PAP avait comme objectif de casser les prix des produits locaux et d’instaurer une concurrence.
Pour la première fois de notre histoire, citées à titre d’exemple, des oranges ont été importées, pour concurrencer la production nationale. Les conséquences désastreuses du PAP, multiples et variées, avaient affecté négativement le moral des producteurs locaux, le niveau des investissements, la place et la réputation qu’avaient nos agrumes sur le marché mondial. Il a marqué aussi, le début du marché informel, l’abandon de certaines productions (exemple : la tomate industrielle, la production de semences, de lait...) et l’installation (durable ?) d’importateurs qui, en plus de contribuer à détruire notre économie productive, ont transformé notre immense pays en poubelle du monde industriel dit capitaliste pour y déverser leurs rebus. L’abrogation de l’ordonnance portant monopole sur le commerce extérieur et la parité du Dinar algérien maintenue artificiellement surcoté, une aberration de plus, sont des actes faits pour booster les importations en tout genre, au détriment de la production nationale.
De même, les opérations engagées au titre de la concrétisation des objectifs assignés à la Révolution Agraire, à savoir : la réalisation des villages agricoles, le renforcement et la consolidation du système coopératif de production et de mise en valeur des terres, services spécialisés, de commercialisation des productions agricoles et d’approvisionnements en intrants, ont été arrêtées en vue de les clôturer. La clôture de ces opérations a conduit à l’abandon puis au démantèlement de toutes ces réalisations structurantes destinées pour améliorer les conditions sociales et économiques des fellahs et lutter contre les exodes rural et agricole.
Simultanément à la clôture des opérations de la révolution agraire, les décideurs en charge du secteur agricole avaient engagé une opération dite de restructuration des domaines agricoles autogérés pour les rendre, affirmaient-ils, économiquement viables et humainement maîtrisables. Cette opération menée tambour battant par un personnel non formé à cette tâche, sans aucune étude ni concertation et que rien ne justifiait, a abouti à une démultiplication des domaines induisant des besoins supplémentaires en encadrement et en matériels que les décideurs n’avaient pas pris en charge. Elle est, et c’est le moins que l’on puisse dire, à contresens des objectifs affichés. Il convient de noter que pendant la durée de l’opération, nonobstant les actes répréhensibles de chapardage, de détournement de toute sorte, la production (du fait du manque d’entretien), avait décliné, les investissements arrêtés. Les DAS avaient l’allure de véritables pétaudières.
Dans le sillage de l’INFITAH, les maitres de céans, tout en instrumentalisant honteusement les privations connues par le peuple mobilisé pour reconstruire son pays, ont poussé l’outrecuidance jusqu’à gommer de leurs discours officiels, des mots qui semblaient les agacer tels : justice sociale, Révolution, impérialisme, développement, indépendance ..., (en fait tout ce qui rappelait la plateforme de la Soummam à laquelle tout le peuple est attaché) 1. Ils ont arrêté les actions de volontariat citoyen et estudiantin dont l’apport inestimable avait grandement contribué à éclairer le monde ouvrier en général et le monde agricole en particulier et aux volontaires de s’imprégner des réalités du terrain. La synergie créée par ce mouvement entre les producteurs et les universités, qui n’en finissait pas de prendre de l’ampleur a été perçue par les partisans de l’Infitah et de l’article 120, comme dangereuse.
Certes, le peuple (hormis certains privilégiés du système) qui a connu, vécu et subi à son corps défendant, les affres du colonialisme, ne mangeait pas de bananes payées par Hassi Messaoud et Hassi R’mel ces deux grands « patriotes » intègres. Ce n’était pas sa priorité du moment, loin de là. Il avait fait le choix de diriger cette aide précieuse vers le financement des investissements productifs créateurs de richesses partagées. Sa préoccupation majeure n’était pas de manger des bananes mais de retrousser les manches et réunir les moyens nécessaires pour reconstruire et développer son Algérie sociale et solidaire voulue par nos martyrs, débarrassée des stigmates du colonialisme.
En vérité, la mise en place du programme anti pénurie a servi d’opération diabolique de diversion destinée à éloigner le peuple de la chose politique et à faire passer le démantèlement des réalisations économiques (industrielles, agricoles et de services) pour ensuite les privatiser et ramener le pays dans le giron du capitalisme triomphant, mondialisé. Les décideurs en place avaient sifflé, en plein envol, la fin de la récréation (elle a duré dix-huit ans !), entrepris d’avilir et de dégrader l’image et l’aura de l’Algérie et de ses habitants.
DÉCRÉTER L’INDÉPENDANCE ALIMENTAIRE CAUSE NATIONALE
Il convient de préciser que la rédaction de cette modeste contribution nous est dictée par le besoin de briser, un tant soit peu, la culture de l’oubli mise en place et soutenue par des campagnes de dénigrement et de dévalorisation de notre glorieuse Révolution et hommes qui l’ont faite et des réalisations socio-économiques engrangées par notre pays, et à :
1. Rappeler que notre immense Algérie qui avait souffert des affres du colonialisme, a réalisé une Révolution, dont le prestige est reconnu mondialement (y compris par les puissants), qui a sonné le glas du colonialisme et lui a permis et à de nombreux pays de recouvrer leurs indépendances. Mais aussi de dénoncer la culture de l’oubli entretenue par les prédateurs ;
2. Dire que le poids des sacrifices consentis par les quelques cinq millions de victimes du colonialisme, du sang qui a irrigué la moindre parcelle de nos terres souillées par les impérialistes et du prestige de notre Révolution ont été pris en compte par tout un peuple (sauf les harkis) dans son généreux élan de reconstruction de leur pays empreint de fidélité et de considération à l’égard de ceux qui n’ont pas goutté aux délices de la liberté retrouvée ;
3. Donner un aperçu, certes sommaire, des pratiques usitées par les partisans de l’Algérie française infiltrés dans les rouages de l’État, pour occuper les centres de décisions et faire main basse sur les richesses du pays, le piller et l’empêcher de se développer. Ils ont mis leur génie maléfique pour faire payer chèrement le peuple pour avoir osé chasser « nos ancêtres les gaulois » en l’avilissant et en ramenant sournoisement le pays dans la giron de l’ex puissance coloniale. Cet état de fait, a accentué dangereusement notre dépendance alimentaire et agricole vis-à-vis de l’ex puissance coloniale au point où 58 ans après le cessez le feu, nous continuons à consommer de la baguette française dite la parisienne, faite de surcroit, avec du blé tendre importé de France. Ils ont abimé l’image de l’Algérie et de l’Algérien traité de minable, d’incapable et d’assoiffé de sang ;
4. Dire aux détracteurs de tout bord, que les algériens, endurants par nature, meurtris par tout ce qui leur est tombé, à leur corps défendant, sur leur tête, touchés dans leur amour propre, ont réagi dans un somptueux mouvement national, unitaire et exemplaire pour sonner le glas de la prédation et de l’avilissement de leur chère patrie. Ils ont, par la même, réhabilité avec panache l’image de leur patrie et émerveillé le monde entier.
L’INDÉPENDANCE ALIMENTAIRE : MÈRE DES BATAILLES
Pour capitaliser et donner de la profondeur à nos actions, la mère des batailles à mener reste incontestablement l’indépendance alimentaire qui passe nécessairement par la décolonisation de notre agriculture, trop dépendante des importations d’intrants et de matériels, jadis produits chez-nous. Cette bataille est à la portée du pays pourvu qu’elle soit déclarée CAUSE NATIONALE et que les leviers dont disposent les décideurs soient utilisés intelligemment pour faire aboutir ce projet. Pour mener à bon port cette bataille, les mesures opérationnelles jugées essentielles ci-après données à titre indicatifs, pourraient, après réflexion et maturation, être mises en œuvre :
1. identifier, évaluer et classer par ordre de priorité les produits agricoles essentiels de base dont a besoin la population, pour être pris en compte par le plan national de production. À titre indicatif la gamme de produits agricoles largement consommés par les ménages peut s’établir comme suit : les céréales (blé dur, blé tendre, orge, avoine), les légumes (secs pois chiche, lentille, fèverole), la pomme de terre, la tomate industrielle et le lait ;
2. élaborer et mettre en œuvre un plan national de culture axé essentiellement sur la production de produits retenus et reconnus prioritaires, produire les semences et plants des cultures classées stratégiques, l’exploitation rationnelle des potentialités hydro-agricoles, l’introduction de l’assolement rotation approprié à chaque zone de production, l’application et le suivi des itinéraires techniques pour chaque culture ;
3. Actionner les leviers dont disposent les pouvoirs publics, en l’occurrence l’eau, la terre, la réglementation, le financement, l’assistance technique pour amener les producteurs à adhérer et être partie prenante de ce plan de production d’intérêt général ;
4. Revoir le système des subventions directes dont l’efficacité est sujette à quotient, souvent détournées de leur destination initiale et décriées car ne profitant pas aux petits paysans, pour privilégier les aides indirectes sous formes d’assistance technique et scientifique, de travaux de laboratoire, d’études, de formation, de garanties de l’État, couverture sociale pour les producteurs engagés au titre du plan national de culture ;
5. Décréter la pomme de terre produit stratégique d’intérêt national au même titre que les céréales pour bénéficier des mêmes traitements et avantages de protection. Pour prendre en charge, en amont et en aval, le programme pomme de terre, les producteurs devront constituer des coopératives d’entraide et de services au niveau local avec lesquelles les pouvoirs publics dialogueront, via une union des coopératives, sur tout ce qui a trait à ce programme. Ces coopératives auront aussi à se doter de toute la logistique (matériels agricoles classique et spécialisé, matériel de transport, chambres froides et lieux de stockage détenus en toute propriété ou conventionnés, chaines de conditionnement,..., L’intérêt qu’il convient d’accorder à ce produit très prisé par la population, est dicté par le fait qu’il est consommé, sous différentes préparations, toute l’année. Produite en très grandes quantités (trois récoltes par an), la pomme de terre constitue indéniablement un moyen de réduire significativement la consommation des céréales et par conséquent des importations.
Toutefois, force est d’admettre que ce socle de mesures structurelles peuvent s’avérer insuffisantes, si toutefois les mesures d’accompagnement en direction des producteurs- acteurs du plan de production national qui doivent être motivés, s’ils ne sont pas accompagnées par un système coopératif d’entraide paysanne qui jouera entre autre, un rôle d’interface entre les producteurs et les services publics. Il s’agira aussi, de mise en place d’un réseau de laboratoires agro-pédologiques et un système de suivi et d’assistance techniques par un personnel formé pour prendre en charge les préoccupations des producteurs. Il va s’en dire que la refonte du système « statistiques agricoles » est à inscrire parmi les priorités en vue de donner aux planificateurs et aux décideurs des outils d’aide à la décision fiables.
La mobilisation des moyens de la nation en vue de réaliser dans les délais les plus raisonnables notre indépendance alimentaire, nous est dictée par notre histoire récente et la nécessité de mettre notre souveraineté à l’abri des dangers qui planent, telle une épée de Damoclès, sur nos approvisionnements en produits alimentaires de base et en intrants agricoles. La dernière déclaration de la porte-parole des nostalgiques de « l’Algérie française » gorgée de haine et de fiel, largement relayée par les médias français, à l’endroit de notre pays, de son peuple et de ses institutions, est là pour nous alerter. Ne jamais oublier aussi que notre pays, avait depuis l’indépendance, fait l’objet de campagnes de dénigrement, de boycott et de chantage de toute sorte, destinés à provoquer le désordre et l’asphyxie. Aujourd’hui plus que jamais, à l’heure où les fondations d’une République nouvelle sont en voie d’être posées à travers une nouvelle constitution, l’indépendance alimentaire est plus que jamais d’actualité et s’impose comme urgence nationale (2). C’est là, la meilleure façon de rendre hommage, d’honorer nos martyrs et de renforcer notre indépendance. "
*Agronome en retraite
** Revue de géographie des pays méditerranéens. Méditerranée, 10ème année, n°3, 1969.
Notes de la Rédaction d’Alger républicain :
(1) : C’est à notre avis le Programme de Tripoli de juin 1962 et, principalement, la Charte nationale de 1976 qui ont posé la question du développement économique sur des bases globalement justes. Cette question avait été explicitement reliée à l’impératif de l’achèvement du processus de libération nationale et de la réalisation de sa finalité : un développement au profit des masses populaires fondé sur le rejet de l’exploitation de l’homme par l’homme. Une telle vision nourrie par les immenses sacrifices populaires pour briser les chaines du colonialisme ne semblait pas s’inscrire dans les préoccupations des principaux rédacteurs de la Plate forme de la Soummam. Cette vision constituait au fond le déterminant à l’arrière-plan des « discordes » révélées au congrès de Tripoli. Elle avait d’autant moins de chances d’être retenue qu’en 1956 les dirigeants du FLN ne semblaient pas croire en la possibilité de vaincre le colonialisme sans confier des responsabilités importantes aux représentants de la bourgeoisie et de rallier les chefs de file des couches conservatrices. Parmi les principaux dirigeants de la guerre de libération nationale, c’est le martyr Ben M’hidi qui voyait le plus loin. Il avait livré ouvertement sa réflexion sur ce que devait être l’Algérie indépendante. Il exposa sans fard ses convictions socialistes, comme en atteste un de ses écrits dans le journal El Moudjahid. L’historien Téguia souligne ce fait en concluant que c’est à cause de cette position que les services français le considéraient comme le dirigeant le plus dangereux et avaient décidé de l’exécuter.
(2) Les propositions pertinentes de l’auteur de cette contribution peuvent-elles être concrétisées sans un changement radical de la nature de classe du pouvoir ? Toute l’expérience de l’Algérie en matière agraire indique que ces changements les présupposent. Les promesses verbales valent ce qu’elle valent, nouvelle Constitution ou pas. Exprimant les intérêts de couches sociales exploiteuses et parasitaires mues pas la satisfaction de leurs intérêts égoïstes, les dirigeants des années 1980 bavardaient sans fin sur la nécessité de l’indépendance alimentaire et la préparation de « l’après-pétrole ». Dans les faits, comme le montre très bien et de façon indiscutable Chabane dans son analyse et ses rappels historiques - indispensables à la génération nouvelle - le pouvoir prenait sciemment des décisions qui allaient dans le sens contraire. Dans les conditions de la domination impérialiste, le « nationalisme » verbal des couches bourgeoises ne dépassent pas les limites tracées par leurs intérêts de classe. Ces intérêts les poussent à chercher les rapports les plus avantageux pour elles avec les Etats impérialistes et les multinationales. Elles ne peuvent aller à l’affrontement avec les puissances impérialistes.
Elles ont au contraire besoin d’entretenir les meilleurs liens avec lui pour se protéger contre leurs propres peuples en révolte contre leurs privilèges et leur système d’exploitation.