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Le 1er Novembre 1954 n’a pas jailli du néant. Son levain : des décennies de luttes sous toutes les formes. Faits et mouvements sociaux 1950-1954
dimanche 8 novembre 2009, par
L’année dernière, nous étions quelques fidèles, communistes et patriotes de la guerre de libération nationale, à nous rencontrer au cimetière européen d’El Madania (ex-Salembier) pour rendre hommage au sacrifice d’Henri Maillot mort pour l’indépendance et la libération sociale de l’Algérie, son pays.
Un participant donna lecture de la lettre d’Henri aux journaux français pour expliquer le pourquoi de son choix. Un vétéran du combat national et de classe pris ensuite la parole. Le silence se fit autour de la tombe.
Mustapha Sâdoune, le dernier combattant du « maquis rouge » qui avait réussi à sortir indemne de l’accrochage où était tombé Maillot, parla d’une voix faible - il avait presque 90 ans - pour lancer un puissant message :
« Le 1er Novembre, n’a pas jailli du néant, il a été préparé par des décennies d’âpres luttes ».
Le hasard fait bien les choses, dit-on, et cet adage est parfois vrai.
Un livre magnifique m’était passé entre les mains, il y a de cela près de vingt-cinq ans. Impossible de le retrouver, puis il refait surface, comme ça, dans une bibliothèque.
Ce livre magnifique a pour titre :« Chronologie des faits et mouvements sociaux et politiques en Algérie : 1830-1954 » [1]. Il nous fournit, avec les informations politiques, une foule de faits (un demi-millier de dates) économiques, sociaux et syndicaux.
Il a été écrit il y 25 ans par Abderrahim Taleb Bendiab, moudjahid (très jeune), historien, fin connaisseur de la musique classique algérienne, militant communiste, membre du PAGS (Parti de l’avant-garde Socialiste d’Algérie) clandestin, qui connut d’ailleurs la répression pour cette raison.
Disparu trop tôt, il a pu, entre autres, nous léguer ce livre de valeur. Sous son apparence modeste ce livre se démarque de ce qui a été écrit par la plupart des historiens de la guerre de libération. Ce fut une nouveauté.
Taleb Bendiab a posé un problème de méthodologie historique fondamental :
« La plupart des ouvrages relatifs à l’histoire du mouvement national algérien centrent l’essentiel de leurs réflexions autour des classes dirigeantes et de leur état-major. Cette approche a conduit très souvent ces historiens à des positions beaucoup plus idéologiques que scientifiques ; ce qui par certains aspects pourrait nuire à la recherche historique.
Cette histoire qui centre toute sa réflexion autour de la vie politique peut nous amener parfois à des impasses dans l’étude que nous faisons sur le mouvement national ».
Laissons parler les faits pour voir comment nos fellahs, nos ouvriers, nos syndicalistes, nos femmes ont lutté pied à pied pour leurs droits et leur dignité et exprimé leur solidarité anticolonialiste et anti-impérialiste avec les peuples en lutte pour leur liberté : les cinq dernières années avant novembres 1954, la marmite était en train de bouillir.
Le précieux livre de Abderrahim mérite mille fois d’être réédité et mis à la portée de tous à un prix abordable.
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M. Nedjar
Extraits de “Chronologie des faits et mouvements sociaux et politiques
en Algérie : 1830-1954”
1950 : 225 grèves !
1950-janvier : grèves des dockers d’Oran, avec des manifestations auxquelles participent les femmes des dockers. La Maison du Peuple est saccagée par la police. Les partis et associations : PCA (Parti Communiste Algérien), UDMA (Union Démocratique du Manifeste Algérien), Association des Oulémas, CGT (Confédération Générale du Travail) ont voté un appel dénonçant les brutalités policières. Seul le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) ne s’est pas associé à cet appel.
Les syndicats algériens obtiennent une représentation autonome au sein de la FSM (Fédération Syndicale Mondiale). Leur autonomie vis-à-vis de la CGT s’accroît.
En avril : les travailleurs des banques engagent une grève qui va durer 53 jours
Au cours de cette année, il y eut 225 grèves avec la participation de 250 000 travailleurs, dont celle des employés de banque : 53 jours et celle des ouvriers mineurs de M’zalta dont la durée a atteint 90 jours.
1951 : hommage vietnamien aux dockers algériens
1951-23 mars-24 avril : grève nationale des gaziers et électriciens d’Algérie. La grève a duré 22 jours.
– 24 avril : un millier d’ouvriers agricoles de Ain Taya se mettent en grève.
– 1 mai : provocations policières contre les Nord-Africains à Paris.
– 8 mai :au cours du congrès de la CGT, « l’organisation syndicale
vietnamienne a rendu un hommage particulièrement chaleureux à l’action des dockers algériens contre la guerre impérialiste menée par le gouvernement français contre le peuple vietnamien ».
– 23 juin : grève générale à Ghazaouet, plus de 4000 travailleurs observent des arrêts de travail, le mouvement est total dans le bâtiment, chez les saleurs, les pêcheurs et le dockers.
– 11-16 septembre : des milliers d’ouvriers agricoles de la région de Ain Témouchent, Descartes (Benbadis), Sébdou, Tlemcen se mettent en grève.
- 30 octobre : les dockers d’Alger décident de ne plus charger ou décharger les bateaux à destination des forces anglaises d’Egypte.
– 11.12.13 novembre : première conférence algérienne des ouvriers agricoles qui adoptent la charte des travailleurs de la terre : 120 délégués y ont participé.
– au cours de cette année il y eut environ dans le pays 225 arrêts de travail regroupant approximativement 265 000 grévistes.
1952 : 1er mai, incidents sanglants à Oran
– 1er février : grèves et manifestations de solidarité avec le peuple tunisien à travers tout le pays.
– 22 mars : journée d’étude des travailleurs nord-africains à Paris en présence de 209 délégués. « Ils affirment leur volonté inébranlable de lutter de toutes leurs forces pour rendre à leur pays l’indépendance nationale. »
– 8 mars : manifestation des femmes d’Oran affirmant leur solidarité avec le peuple tunisien.
– 18 mars : grève générale de tous les salariés constantinois.
– 28 avril : Bachir Hadj Ali, secrétaire du PCA, Ferroukhi délégué MTLD à l’Assemblée Algérienne, devaient comparaître devant la cour d’appel d’Alger. A cette occasion une puissante manifestation a eu lieu à proximité du Palais de justice.
– 1er mai : incidents sanglants lors du défilé du 1er mai à Oran. Il y a eu plus de 60 blessés.
– Mai : plus de 3000 grévistes dans les territoires du Sud dirigés par Démene Abdallah, membre du CC du PCA.
– Au cours de 1952 on a enregistré 261 arrêts de travail avec la participation de 265 000 travailleurs.
1953 : fusillade contre les travailleurs émigrés à Paris !
– 16 avril : 4000 agents de l’électricité et gaz d’Algérie (EGA) observent une grève d’une journée.
– 8 juillet : La Région Economique d’Algérie émet un vœu pour la réglementation du droit de grève et s’élève tout particulièrement contre « les grèves de solidarité » et « grèves politiques ».
– 14 juillet : les ouvriers émigrés -40000- participent au défilé du 14 juillet dans les rues de la capitale française. Des incidents graves font 7 morts et 100 blessés.
– 17 juillet : arrêts de travail à travers toute l’Algerie pour protester contre les fusillades.
– 3 aoùt : près de 700 chômeurs de Khenchela se sont rendus à la mairie pour exposer au maire leur situation et présenter leurs revendications. ..
– 19 décembre : les travailleurs ont participé sous des formes diverses à la journée internationale pour la fin de la guerre du Vietnam décidée par le 3ème congrès de la FSM.
Au cours de l’année il y a eu 68 arrêts de travail dans le port d’Oran, pour l’essentiel : refus par les dockers de charger les bateaux à destination de l’Indochine (48 fois) et de charger ou de décharger les navires transportant du matériel militaire (16 fois) ; (in Echo du dimanche du 7 février 1954)
1954 : six mois de lutte des mineurs de Timezrit !
– 4 janvier : la grève de la mine de Timezrit dure depuis plus de 4 mois. L’administration tente une provocation.
– 29 janvier : 50 000 travailleurs algériens en grève, tandis que le lock-out de Timezrit se poursuit.
– 28 avril : grève d’une journée de tous les travailleurs algériens : 130 000 grévistes, « jamais la gare d’Alger, le port n’ont été désertés aussi totalement par les travailleurs.
– 30 avril : marche de la faim des mineurs de Timezrit.
– 4 mai : après un lock-out de six mois la mine de Timezrit reprend ses activités. La nouvelle direction de la mine signe un protocole d’accord avec les représentants des travailleurs.
– 5 juin : Pham Van Dong, ministre des Affaires Etrangères du Nord-Vietnam reçoit à Genève une délégation des syndicats algériens. Il fait la déclaration suivante : « notre combat est le même. La lutte des dockers algériens est considérée par nous comme le symbole de la solidarité de nos deux peuples ».
– 24-27 juin : constitution de l’Union Générale des Syndicats Algériens (UGSA). Les syndicats algériens affiliés à la CGT se transforment en Union Générale des Syndicats Algériens tout en conservant des liens avec la centrale française pour ne pas donner pretexte à une interdiction. Sur les 361 congressistes, il y avait 236 Algériens et 125 Européens.
– 20-21 juillet : Alger républicain est saisi par deux fois consécutives pour publication d’un reportage mettant en cause la présence française en Algérie.
– 9 septembre : tremblement de terre de la région d’El-Asnam : plus de 1 000 morts. Un grand mouvement de solidarité se développe dans le pays et auprès de l’émigration.
Après les lutte et le levain, le 1er novembre 54 !
[1] Imprimé en 1983- Imprimerie du Centre – Alger.