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Le régime persiste dans ses manœuvres de diversion pour tenter de diviser le mouvement populaire
mardi 25 juin 2019, par
Il était prévisible que les directives surprenantes annoncées mardi dernier par Gaïd Salah contre les porteurs du drapeau amazigh, allaient provoquer des heurts avec la police.
Vendredi 21, des policiers en uniforme ou en civil se sont jetés sur les manifestants pour leur arracher l’emblème amazigh. Ils ont procédé à l’interpellation de dizaines d’entre eux qui tentaient comme à leur habitude de se rassembler tôt le matin devant la Grande-Poste. On parle de centaines d’interpellations à Alger et dans diverses autres villes. La plupart ont été remis en liberté dans la journée sauf 17 d’entre eux qui ont été déférés hier matin devant le tribunal de Sidi M’hamed à Alger. 13 des prévenus ont été placés sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach et enfermés, à en croire les informations diffusées par les réseaux sociaux, au milieu des détenus de droit commun.
Des dizaines de citoyens se sont rassemblés hier devant le siège du tribunal pour protester contre leur incarcération.
Selon leurs avocats ils sont accusés de « porter un drapeau qui porte atteinte à l’unité nationale ». Ils sont poursuivis en vertu de l’article 79 du Code pénal. Ses dispositions « sont lourdes, car il évoque l’atteinte à l’intégrité du territoire national, les personnes poursuivies encourent un emprisonnement d’une durée d’un à dix ans », précise Me Imasseoudène Saliha (Le Quotidien d’Oran du 25 juin). Les avocats réfutent les griefs des magistrats. Ils ne reposent sur aucun fondement juridique. « Ils n’ont pas brûlé l’emblème national, ils n’ont pas porté des armes, ils n’ont pas tenté de diviser le pays, au contraire la plupart avait les deux drapeaux … où est l’atteinte à l’intégrité territoriale ? »
Il est clair que le motif de ces inculpations est d’ordre purement politique. La justice qui les a prononcées montre qu’elle n’est pas indépendante. Elle continue à agir selon les ordres des autorités malgré les manifestations populaires ininterrompues qui ont bouclé leur quatrième mois depuis le 22 février pour exiger la fin d’un régime fondé sur la corruption et l’arbitraire. La lutte promet d’être dure et longue pour arracher les libertés démocratiques.
Où veulent en arriver ceux qui ont inséré de façon inattendue dans le discours de Gaïd Salah cette violente tirade contre les porteurs d’emblème « autre que celui de l’Algérie » ? Semer la discorde au sein du mouvement populaire, pousser certains éléments de la défense de l’amazighité à des actes susceptibles de diviser la contestation contre le régime et en fin de compte assurer la perpétuation de l’ordre des oligarques gravement menacés dans leur privilèges et leur diktat ? Il n’y a pas d’autre explication logique malgré l’existence dans l’armée, intuitivement attestée, de tendances acquises aux aspirations des masses populaires.
L’incarcération du pan des oligarques les plus discrédités, en raison de leur proximité avec Bouteflika, tend à montrer que chez une aile du régime les arrestations de hauts dignitaires corrompus et déchus s’inscrivent dans un plan pour sauver le règne des gros possédants en tant que classe. Tactique classique dans l’histoire universelle des luttes politiques et sociales pour désamorcer un grand mouvement populaire portant en lui la possibilité de passer des revendications démocratiques générales à la remise en cause même de ses bases de classe, à contester la domination des classes possédantes et exploiteuses, à se battre pour un régime politique émanant des classes économiquement dominées.
La manoeuvre a échoué. Les manifestants ont défilé en portant souvent dans une main l’emblème national et dans l’autre le symbole de l’amazighité. Il n’y a pas eu les affrontements secrètement souhaités entre les marcheurs. Les manifestants ont tenu consciemment à déjouer les petits calculs de ceux qui ont inspiré les consignes de répression. Les policiers n’ont pu endiguer la vague hérissée d’emblèmes entremêlés. De guerre lasse ils ont dû se résigner, dès la fin de la matinée, à assister impuissants devant un flot impossible à disperser.
Il n’en reste pas moins que cet épisode des manœuvres du pouvoir est révélateur du danger que représente une fraction du régime. Elle donne nettement l’impression qu’elle ne reculera devant aucun procédé pour tenter d’ épuiser le mouvement de masse, de l’affaiblir, de le diviser, tout en menant de façon intense des tractations dans le dos des masses populaires afin de parvenir à un compromis acceptable entre toutes les tendances politiques représentatives des diverses franges de la bourgeoisie et de leurs alliés dans la petite-bourgeoisie, qu’elles soient dans le pouvoir ou dans l’opposition. Ajustant au jour le jour ses opérations tacticiennes elle cherche à parvenir à un nouvel accord politique et social qui réconcilierait les différentes fractions de la bourgeoisie algérienne que le 5 ème mandat de Bouteflika - destiné à maintenir les privilèges insultants d’un clan d’oligarques aux dépens d’autres - et des divergences sur les méthodes politiques de direction de la société, sur le rythme de l’offensive contre les acquis sociaux des travailleurs, sur leur marge de « souveraineté » face aux pressions des Etats impérialistes, avaient sérieusement divisées.
La grande bourgeoise est effrayée par l’endurance du mouvement populaire, par le potentiel anti-capitaliste spontané réfréné pour le moment au sein des travailleurs et des couches populaires de la société, représentant la grande majorité du peuple. Pour le moment, ce potentiel est bridé par les lanceurs de mots d’ordre organisés à travers Facebook et d’organisations dites « représentatives de la société civile ». Ceux-ci sont bien décidés à limiter les revendications à la seule question de l’organisation d’une période de transition devant placer de nouvelles figures à la tête de l’Etat sans toucher aux bases économiques du régime existant fondé sur l’exploitation des travailleurs et l’accaparement des revenus pétroliers par une minorité de possédants. L’accaparement devrait simplement être moins « voyant », moins choquant, sous la couverture de l’économie de marché et des « réformes » menées par un gouvernement « légitime » disposant de tous les droits pour les appliquer dans cette fameuse 2ème République. Que ce soit les partis « d’opposition », les « personnalités » politiques mises en avant par ces réseaux et la presse, dans son ensemble acquise à la défense du capitalisme, ou « la société civile », tous jurent que les « réformes » seront relancées par la 2 ème République. Gaïd Salah lui-même insiste sur leur application après élection d’un nouveau chef d’Etat « dans le respect de la Constitution ». Mais tous se gardent bien de lever le voile sur leur contenu.
Pas besoin d’être un politique génial pour déceler la supercherie, comprendre que ces « réformes » ont pour seule substance concrète la mise au pas des travailleurs, la paupérisation des classes populaires, la satisfaction des revendications de la bourgeoisie « autochtone » alliée au capital international. Des franges numériquement non négligeables de la petite-bourgeoisie aspirent de leur côté à prendre leur part du gâteau sous l’égide de cette nouvelle république. Elles sont mues par des intérêts égoïstes, désireuses d’échapper, aux dépens des travailleurs, au choc de la crise financière actuelle et à venir, quitte à jouer le rôle de force supplétive des multinationales en échange de quelques miettes de la redistribution de la plus-value extorquée à la classe ouvrière. Les porte-parole de ces franges sont disséminés un peu partout, y compris dans les organisations auto-proclamées de la « société civile ».
Pour les forces de progrès véritables - pas celles qui revêtent ce qualificatif en compagnie du RCD, de madame Assoul et compagnie, des anciens tenants du « qui-tue-qui », complices politiques des hordes obscurantistes criminelles - pour ces forces, le travail politique doit consister à isoler ces franges en menant un travail politique intense pour que les prolétaires fassent entendre leur voix, s’organisent de façon indépendante des partis et associations exprimant idéologiquement et politiquement, la plupart du temps de façon rusée, les intérêts des classes exploiteuses, gagnent des alliés au sein des couches sociales intermédiaires. Pour que la République des producteurs de richesses naisse de ce mouvement populaire, que ce mouvement ne soit pas dévoyé par ceux qui s’activent à ravaler la façade du régime économique antipopulaire bourgeois actuel en la dissimulant sous des banderoles séduisantes mais trompeuses.
Zoheir BESSA