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Les classes laborieuses ne jouiront des fruits de leurs luttes que si elles s’organisent et marquent le mouvement du 22 février de leurs aspirations sociales et démocratiques révolutionnaires
samedi 14 septembre 2019, par
L’ enjeux le plus crucial demeure le même depuis le 16 février, date du début de l’éclosion du grand mouvement populaire pour le changement du régime, contre le 5ème mandat de Bouteflika. Cet enjeu est : quelle classe sociale en prendra-t-elle la direction politique ? Les courants libéraux de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie en conflit depuis des années avec un pouvoir despotique au service d’une oligarchie dont il avait fait prospérer les intérêts aux dépens d’autres fractions de la bourgeoisie et du reste de la société ? Ou bien les éléments qui expriment les aspirations sociales et politiques des classes prolétariennes et des catégories sociales qui leur sont proches de par la précarité de leur condition de vie ?
Sous l’écume de l’unanimisme apparent autour de la revendication du départ inconditionnel des hommes qui ont régenté et pillé le pays, ce sont ces enjeux de classe qui traversent les attentes des différentes catégories sociales entraînées dans le vaste mouvement de rejet du pouvoir.
Force est de noter que les diverses franges de la bourgeoisie, au pouvoir ou dans l’opposition politique, disposent encore d’une avance sur les forces populaires inorganisées de façon indépendante de ces classes dominantes. Ces franges possèdent une grande capacité de manoeuvre grâce à leurs partis au différentes couleurs et nuances - islamistes, modernistes, régionalistes, pseudo-nationalistes, éclectiques - partis pour la plupart agréés par le pouvoir depuis 30 ans pour donner l’illusion d’un jeu démocratique à armes égales. Leur capacité d’orienter le cours des luttes tire sa force de ce que leurs mots d’ordre sont relayés depuis des années par leurs journaux, leurs TV, leurs intellectuels médiatisés, leurs Imams prônant le respect de la richesse des heureux élus de Dieu, leurs organisations patronales et corporatives. Pour le moment ces franges ont tendance à agir en ordre dispersé. Pas besoin encore de se coordonner tant que les forces d’en bas ne leur feront pas peur du fait qu’elles manquent d’instruments collectifs organisés. Tant que les opprimés n’auront pas forgé leurs instruments de lutte, qu’ils hésiteront à exprimer leur volonté de prendre le pouvoir pour s’attaquer à la racine des inégalités et des injustices sociales, les divers partis de la bourgeoisie les regarderont de haut. Ils continueront à se concentrer sur l’affrontement qui les oppose aux groupes au pouvoir dans la lutte pour le partage du gâteau. Leurs intérêts communs de classe vivant du produit de l’exploitation des travailleurs et de la récupération d’une partie plus ou moins importante des revenus pétroliers se reflètent dans la perception commune qu’ils ont des questions économiques. Ils réclament encore et toujours plus de libéralisations et de privatisations, une rupture sans retour avec le « populisme » social, l’alliance sans fardage avec le capital financier international au nom de l’insertion soi-disant incontournable dans l’économie mondiale.
Les classes exploiteuses et affairistes exercent une forte et indéniable influence idéologique et politique sur les masses populaires, sur la classe ouvrière elle-même. Les fractions bourgeoises opposées depuis des années au régime issu de la dégénérescence de l’ancien parti unique corrompu par ses liens avec les affaires s’assignent un double objectif. D’abord conquérir une place dans les sphères de décision que leur déniait le système FLN-RND-DRS rendu omnipotent sous le règne de Bouteflika. Le rapport des forces créé par le mouvement de masse est de nature à mener à expurger les appareils d’Etat de ces deux partis à moins que l’autorité militaire ne considère que leur « rachat » est indispensable à « l’unité nationale » pour peu que des visages neufs émergent au sein de ces excroissances monstrueuses du pouvoir. Mais rien n’est encore gagné sur ce plan-là. Ensuite changer de méthodes de « gouvernance » pour faire avaler plus facilement la pilule amère aux classes populaires révoltées par la scandaleuse monopolisation des richesses aux mains d’une infime catégorie de la société.
Le climat de pré-insurrection né en février oblige à réadapter la tactique. L’objectif stratégique de garder le pouvoir entre les mains des classes économiquement dominantes, de l’élargir à l’ensemble de leurs fractions jusque-là tenues à l’écart, demeure le même. Comment faire pour y parvenir ? Principalement par l’installation d’une soupape de sécurité à travers les règles d’un « Etat de droit » respectueux des libertés et de l’alternance telles que pratiquées dans les pays capitalistes « démocratiques ». Craignant que la duperie ne prenne pas, certains rajoutent une couche de vernis à ces phrases creuses : « une République démocratique et sociale ». Grâce aux mécanismes qui ont fait la preuve de leur efficacité dans l’art de tromper les travailleurs dans ces vielles sociétés bourgeoises, le mimétisme de nos apprentis démocrates bourgeois et de leurs alliés sociaux-démocrates devrait rendre moins compliquée la tâche idéologique de légitimer les richesses d’une minorité et les fruits de l’exploitation. Ainsi le croient-ils.
Le mouvement populaire en est à son 7ème mois. Il a fait avorter le projet du 5ème et provoqué des purges au sommet.
L’emprisonnement de quelques oligarques ne trompera cependant personne. Il s’apparente à un nettoyage dont le seul but est de sauver les bases sociales du régime actuel après avoir désamorcé le mécontentement populaire. C’est la condition sine-qua-non au ravalement de la façade sans toucher en rien aux fondements du régime.
De fait, après 7 mois de marches, aucune loi, aucune circulaire antidémocratique n’a encore été abrogée. Les lois anti-grève que le « démocrate réformateur » Hamrouche avait fait passer en 1990 par le truchement d’une assemblée nationale héritée de l’ère du parti unique sous la présidence de l’islamo-FLN Belkhadem, sont toujours terriblement en vigueur. Dans les usines et les chantiers règne toujours la loi des patrons. L’ouvrier exploité, non déclaré à la sécurité sociale, réduit à un salaire de misère, à qui il est interdit de s’organiser dans un syndicat, fût-ce le syndicat-maison UGTA, court moins de risques à manifester le vendredi contre Gaïd Salah que de réclamer ses droits élémentaires au patron. Le licenciement, et son cortège de famine et de désespoir, sanction pire que le bagne, guette l’ouvrier. Le refus opposé par des lanceurs de mots d’ordre du « Hirak » à toute discussion sur le contenu économique et social de l’alternative est inadmissible. Il cache une volonté consciente d’empêcher les travailleurs et la jeunesse populaire de jouer un rôle décisif dans le mouvement actuel. Cette nouvelle tendance hégémonique doit être combattue fermement, sans compromis.
L’enjeu de la période à venir est que les mouvements prolétariens s’affirment comme mouvements indépendants des courants bourgeois et petits-bourgeois fussent-ils démocratiques. Qu’ils s’organisent autour d’une plate-forme qui traduit leurs aspirations, se battent avec énergie pour le maximum de libertés démocratiques sans séparer ces objectifs de la lutte pour une société socialiste.
Zoheir BESSA