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Les raisons secrètes du limogeage de Cherouati , le P-DG de SONATRACH*

mercredi 21 décembre 2011

Nous sommes le 26 octobre 2008. Au moment où le président Bouteflika publie le code des marchés publics, Sonatrach défie la République en diffusant la R15 (document relatif à la passation des marchés), tout en ordonnant la stricte application de cette directive. Les cadres de Sonatrach ne savaient plus s’ils devaient appliquer le code des marchés publics ou obéir aux directives de leur employeur. L’incohérence va atteindre son paroxysme le 8 avril 2010. Alors que Meziane était déjà inculpé et Feghouli sous enquête, Sonatrach diffuse la R16, toujours en contradiction avec le code des marchés publics. A son installation, trois semaines plus tard, Cherouati était confronté d’abord à un problème de confiance.

Les cadres, qui découvraient quotidiennement des informations sur les déboires de leurs anciens P-dg, n’étaient pas en mesure de s’aventurer à signer quoi que ce soit. Cherouati commencera alors par réunir le conseil d’administration afin d’adapter la fameuse R16 à la réglementation régissant les passations de marchés publics. Cette mesure sera accompagnée d’un texte comportant un code d’éthique auquel doit se conformer le personnel de Sonatrach. Les cadres sont remobilisés et l’équipe dirigeante décide de créer une inspection générale du groupe et le renforcement des opérations d’audit interne. Cette nouvelle dynamique va également aboutir à la dissolution de Soprep (une filiale de Sonatrach) considérée auparavant comme l’agence de voyage de Chakib Khelil. La Soprep (Société de promotion, réalisation et développement des prestations de relations publiques et services liés), créée en 2006, était chargée d’assurer l’accueil, le protocole, le transport, l’hébergement et la restauration, ainsi que l’organisation et la gestion des foires, forums et manifestations nationales et internationales. Cette entreprise, qui aura été au cœur du scandale lié à la société anglaise CWC dans l’organisation de la 4e Semaine de l’énergie, s’occupait beaucoup plus du confort du ministre que des « relex » de Sonatrach.

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Des litiges en cascade

Mais la nouvelle équipe dirigeante devait également gérer tous les litiges laissés en héritage. A commencer par assumer les retombées de la mise sur « black list » de l’italien Saipem, impliqué dans les affaires de Meziane et ses enfants. La situation du Centre des conventions d’Oran et de l’hôtel Méridien devait également être assainie : Cherouati a renégocié les termes du contrat avec les Espagnols d’OHL et obtenu un rabais de 93 millions d’euros. Au passage, la société française (GL Event) qui avait obtenu un contrat sur-mesure pour la gestion du palais des expositions est écartée. Comme la liste des litiges était trop longue, Cherouati et son équipe devaient mettre un terme au bras de fer opposant, depuis 2007, l’entreprise publique algérienne d’hydrocarbures, la Sonatrach, et le groupement espagnol Repsol-Gas Natural sur les contrats de vente de gaz. Au bout du compte, Sonatrach obtient, à l’amiable, un montant de presque 1,7 milliard d’euros (3.8 du capital de Gas Natural, équivalent à 514 millions et 700 millions payés cash. En outre, Sonatrach devait accéder au capital de Medgaz à hauteur de 10%). « Une victoire retentissante remportée contre vents et marées qui allait coûter à Cherouati une campagne de déstabilisation », estiment des observateurs avertis qui précisent : « On racontait partout que le ministre de l’Energie aurait demandé au président de la République l’autorisation de limoger le P-dg de Sonatrach. » Les deux projets d’ammoniac qui devaient être réalisés à Arzew avec l’égyptien Orascom Construction Industrie et l’Omanais Souhail Bahwan allaient ajouter des soucis à la nouvelle équipe dirigeante de Sonatrach qui exigeait la révision à la hausse du prix du gaz intégré à cette industrie.

A cette même période, les raffineries constituaient un véritable casse-tête pour l’entreprise algérienne. Celle d’Alger, remportée pour un montant de 908 millions de dollars, devenait une arène dans laquelle l’équipe de Sonatrach affrontait son homologue de Technip. La société française tentait de substituer des composants et économiser, ainsi, une bonne centaine de millions d’euros sur la facture d’équipement. Le bras de fer engagé par Sonatrach sera décisif dans la gestion de ce dossier. Technip finira par comprendre les menaces qui pouvaient remettre en cause ses relations avec le partenaire algérien et procédera au changement du staff qui chapeautait la réalisation de la raffinerie algéroise.

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Les enjeux de l’emploi et du catering

Depuis plus d’une décennie, Sonatrach souffre de sa mauvaise gestion des ressources humaines. Consciente de ces enjeux, la nouvelle direction commencera par dénoncer le système en place. Elle ne pouvait comprendre comment un technicien supérieur, qui travaille dans des conditions extrêmes au sud du pays, était classé à la catégorie 17 alors que des secrétaires, en activité à Hydra, étaient positionnées à des échelles bien supérieures. Le changement ne manquera pas de « déranger » des enfants de hauts cadres de l’Etat… En parallèle, des ouvriers payés à 30 000 DA par des sociétés d’emploi étaient facturés à hauteur de 50 000 DA au groupe pétrolier. Aussi bien pour Sonatrach que pour les groupements, il a été mis un terme à « la mise à disposition du personnel » en décidant d’intégrer le personnel en place dans les effectifs de Sonatrach.

Cette décision a coûté la bagatelle de mille milliards que percevait annuellement une poignée de sociétés d’emploi. D’autre part, il faut savoir que le budget alloué au catering et la restauration de plus de 200 000 employés est loin d’être négligeable. Et ce sont quelques sociétés seulement qui se partagent ce trésor. A eux seuls, Al Bayat et l’italien Ligabue obtiennent depuis des années des contrats de plus 500 milliards par an. Quand Cherouati a tenté de créer une société de catering appartenant à Sonatrach, le ministère de l’Energie a jugé qu’il était trop tôt pour s’engager dans cette aventure.

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Les stations de dessalement

Jusqu’à ce jour, on ne sait par quel miracle Sonatrach a été impliquée dans les stations de dessalement de l’eau de mer. Le programme initié en 2001 prévoyait la construction de 43 stations de dessalement avant 2019, pour un investissement total de 14 milliards de dollars. Pour gérer ce gigantesque chantier, Sonatrach a créé, du temps de Chakib Khelil, la société mixte Algerian Energy Company (AEC), dont elle est actionnaire à hauteur de 50%. Les entreprises étrangères réalisent des stations de dessalement et l’eau produite est achetée par la filiale de Sonatrach (AEC) et l’Algérienne des eaux (ADE) à travers des contrats à long terme. Seulement, les dessous de ce dossier sont tout le temps orientés vers les prix proposés par les industriels de l’eau. A la station de Fouka, on achète l’eau à 54 DA le mètre cube, contre 59 DA proposés à la station de Hamma (Alger). A Magtaâ (Oran), les prix sont plus raisonnables et tournent autour de 34 DA seulement. En 2008, Chakib Khelil, qui a fait construire la majorité de ces stations de dessalement, déclarait publiquement que les tarifs de l’eau variaient entre 34 et 65 DA. Qui a décidé de ces prix ? Mystère et boule de gomme.

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Ministre de l’Energie ou ministre de Sonatrach ?

Depuis son arrivée au ministère de l’Energie, Yousfi a toujours considéré qu’il était ministre de Sonatrach. Il n’a touché à aucun des dossiers explosifs qu’il a hérités de Chakib Khelil. L’arnaque de GMA Ressources, dans l’histoire de l’exploitation des gisements d’Amesmessa et de Tirek, est restée impunie. Les titres miniers attribués du temps de Khelil aux entreprises étrangères n’ont toujours pas été traités par le ministre. Benyoub, l’ancien patron de l’ANPM (Agence nationale du patrimoine minier), en charge des titres miniers, a préféré partir à la retraite que d’observer la passivité de son ministre. Aujourd’hui, les grandes et moyennes mines sont presque paralysées alors qu’elles peuvent constituer une nouvelle source de richesse. Mais personne ne demande des comptes aux concernés.

En revanche, quand il s’agit des manifestations publiques de Sonatrach, le ministre est toujours présent. Y compris au moment d’une visite de Cherouati à l’IAP (Institut de pétrole de Boumerdès). Ce même ministre se laisse entraîner parfois dans des déclarations publiques qui en disent long sur sa gestion de certains dossiers. A titre d’exemple, au moment où certaines sociétés turques et françaises se battaient pour décrocher le contrat d’installation des stations de carburant sur le projet de l’autoroute Est-Ouest, Yousfi déclarait impassiblement que Naftal allait en réceptionner une bonne partie au courant du second semestre 2011. Peut-être qu’il ignorait à ce moment-là le fait que les plans de ces stations avaient passé des mois et des mois au niveau du CTC (Contrôle technique des constructions) et que GCB, l’entreprise de réalisation, n’était pas prête pour les travaux. Résultat : toutes les opérations ont été sous-traitées chez les privés et aucune station n’a été livrée à temps.

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Les enjeux de l’amont

Les récentes découvertes annoncées par Cherouati dans les quatre coins du pays faisaient peur au puissant clan qui a décidé depuis une décennie que Sonatrach ne pouvait réaliser des explorations en effort propre. En 2010, Sonatrach a développé un programme de forage de 621 puits en effort propre, notamment au niveau de Hassi Messaoud et sa périphérie, ainsi que sur les nouveaux gisements de gaz de Berkine et Tinhert. Ces forages ont mis en évidence 29 nouvelles découvertes dont 14 de gaz et gaz à condensat, 12 d’huile et 3 d’huile et de gaz. L’enjeu réside dans le fait que sur ces 29 découvertes, 27 ont été réalisées par Sonatrach en effort propre et deux seulement en partenariat avec Gazprom et Eon Rhurgas. Sur cette lancée, l’objectif inscrit pour Sonatrach en effort propre au titre de l’exercice 2011 était de l’ordre de 11 milliards de dollars.

La nouvelle politique « protectionniste » a permis de démontrer que des cadres algériens étaient en mesure de réaliser des miracles et que l’assistance étrangère ne devait être qu’un appui à cette dynamique. Il est évident que vu les enjeux colossaux, certains ont téléguidé des campagnes de déstabilisation pour faciliter l’accès des compagnies étrangères à ce trésor. Avant de quitter Sonatrach, Cherouati déclarait constamment que la priorité était à l’amont et à l’investissement en Algérie. Le clan qui a convaincu le président de l’évincer aspire à autre chose : développer le partenariat dans l’industrie pétrochimique et l’investissement à l’étranger. Les trois mégaprojets signés en partenariat avec les étrangers sont toujours gelés. Sonatrach a tout perdu en Irak et les investissements en Libye risquent de subir le même sort. Plus grave encore, les actifs de Sipex (la filiale de Sonatrach pour l’activité à l’étranger) étaient menacés par Anadarko qui mène depuis 2006 une bataille contre l’Etat algérien.

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Le dossier de la discorde

Le dossier Anadarko aura été l’une des raisons de la discorde entre l’ex-PDG de Sonatrach et certains décideurs. On ne voulait pas que Cherouati parvienne à un accord à l’amiable avec Anadarko. Car un accord pareil l’aurait rendu hors d’atteinte. A chaque fois que Cherouati engageait des négociations avec la société américaine, il devenait systématiquement victime de campagnes déstabilisatrices. Il n’en demeure pas moins que Cherouati était parvenu à un stade très avancé dans les négociations avec la partie américaine et l’accord sera signé bientôt par la nouvelle équipe dirigeante de Sonatrach.

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H. B.

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* Le titre est de la rédaction d’Alger républicain