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Mali ou la Martinique du Sahel ? Par Babacar Justin Ndiaye, analyste politique et social
vendredi 2 août 2013
Hier, 28 juillet 2013, les élections franco-maliennes se sont déroulées (presque) sur l’ensemble du territoire de l’ex-Soudan français. Vous lisez bien : franco-maliennes. Les mots n’ont pas dépassé ma pensée ; c’est plutôt la réalité qui dépasse la fiction et la caricature. Qui, elles-mêmes, (fiction et caricature) sont lourdement taclées par la boutade de l’ancien ministre Tiébilé Dramé : « Laurent Fabius est le directeur des élections au Mali ».
Ne riez pas ! Car la boutade est le prolongement des pensées sérieuses par la plaisanterie. Notamment dans ce Mali mâtiné de malheurs, où il y a forcément un avant et, surtout, un après-Serval qui commande la suite, c’est-à-dire la légitimation par les urnes, de l’influence hégémonique – jusqu’au seuil de la recolonisation – de la France.
Le décor d’un scrutin franco-malien est déjà planté. François Hollande a donné le ton de la chanson – que dis-je – de la vassalisation : « Je serai intraitable sur la date des élections au Mali ». On se croirait à Mayotte ou en Martinique. Et pourtant, on est au Mali de Soundiata Keita, de Biton Coulibaly et, plus près de nous dans le temps, de Modibo Keita. Bref, il s’agit d’un pays qui est allé à l’indépendance, en duo avec le Sénégal, par la voie fédérale.
La classe politique malienne a encaissé l’injonction brutale de l’Elysée, la CEDEAO a opiné et l’UA a avalé son propre avis. Le rapport de forces – la puissante force Serval domptant de facto la junte militaire de Kati – a triomphé de la volonté des Maliens auparavant majoritairement enclins à voter après le Ramadan, après les travaux champêtres et après l’épilogue du feuilleton intrigant et antinational de Kidal.
« Il y a toujours une facture à payer quand quelqu’un vous fait gratuitement le travail » dit l’adage. Il fallait être le roi des naïfs pour espérer des élections vraiment nationales après la libération ou, plus exactement, après l’inféodation du Mali. La France ne peut pas financer et gagner une guerre de cette envergure, sans prendre le contrôle du pays. Les dés sont donc jetés et …pipés. Du coup, le scrutin le plus ouvert à la surface (images de meetings et guerre des foules) est aussi l’élection la plus fermée. Voire manipulée dans les coulisses.
Au Mali, Paris n’improvise pas. Bien au contraire. Elle planifie tout, suivant une méthode et une méticulosité qui ont débouché, le 25 avril dernier, sur le vote de la très astucieuse résolution 2100 de l’ONU. Laquelle a transformé la MISMA (mission ouest-africaine plus le Tchad) en MINUSMA (opération onusienne moins la France, mais avec la France). En clair, la MINUSMA fait figure d’excroissance onusienne de l’opération Serval plus dotée en puissance de feu et en moyens de mobilité que l’ensemble des contingents de Ban Ki-moon.
En effet, le Quai d’Orsay a pu, par un tour de passe-passe, placer Serval sous la bannière de Nations-Unies, tout en la maintenant sous le commandement français du Général Grégoire de Saint-Quentin. Des micmacs qui ont choqué et incité le Nigéria à retirer progressivement ses troupes du Mali. Abuja étant furieuse, par ailleurs, de voir le commandement des casques bleus échapper aux 15 armées de la CEDEAO, pourvoyeuses des effectifs les plus nombreux.
Sur le terrain politique, la carte électorale est très bariolée (à l’image d’une peau de léopard) avec les 27 candidats issus de Partis, eux-mêmes, déchirés par des dissidences découlant plus des ambitions gênées et des frustrations accumulées que des divergences programmatiques.
Toutefois, il existe bel et bien des viviers historiquement identifiés et des milieux traditionnellement catalogués sur lesquels les conseillers de Hollande et les experts de Fabius ont longuement travaillé en rapport avec le nouvel ambassadeur de France à Bamako, Gilles Huberson, très proche des services secrets. Un travail qui permet à la France de garder, au moins, deux fers au feu, c’est-à-dire deux candidats bien adoubés par elle.
Du reste, les dépouillements en cours préfigurent un schéma oscillant entre une victoire (possible mais invraisemblable) au premier tour et un duel au second tour, entre Ibrahim Boubacar Keita du RPM et Soumaïla Cissé de l’URD. Un scénario de confrontation entre un ancien directeur de la Compagnie Malienne pour le Développement du Textile (CMDT, vivier des cadres adoubés par la France) et un acteur du changement démocratique de 1991 (contre Moussa Traoré) soutenu alors par la Fondation France-Libertés de Mme Danielle Mitterrand, sponsor des démocrates maliens – parmi lesquels on dénombre IBK – au lendemain du Discours de La Baule.
Si un deuxième tour survient, l’arbitrage Français et les manigances de la junte (le Colonel Moussa Sinko Coulibaly, saint-cyrien et copain de Sanogo, est aussi ministre de l’Administration territoriale et patron des préfets) seront alors déterminants à travers les alliances et / ou les reports de voix qui seront téléguidés. Nul doute que, la France – capable d’une fine lecture des réalités maliennes – favorisera l’accession au pouvoir du candidat, à la fois, le plus nationaliste dans la malléabilité et le plus malléable dans le nationalisme. Dans un Mali où elle a plus besoin d’un pantin que d’un Président.
Avec sa ferveur patriotique et sa fierté contagieuse, le social-démocrate IBK (soutenu par le clergé catholique) a le profil de l’emploi. Ce qui ne l’a pas empêché de tranquilliser les Algériens via son allié Soumeyla Boubèye Maiga, ancien directeur de la Sécurité d’État sous l’ère Konaré, et homme-lige d’Alger.
Enfin, derrière l’écran du scrutin, se cachent des enjeux de taille autour de l’immensité malienne (1 240 000 km2) parfaitement à cheval sur le Sahara et le Sahel. Une base terrestre à Mopti et une annexe aérienne à Tessalit – les deux formant une sorte de porte-avions fixe au cœur du Sahel – combineront et supplanteront tous les atouts stratégiques des installations militaires de Dakar, d’Abidjan et de Ndjamena. Et, à ce titre, pèseront sur la balance des intérêts davantage que les vertus fumeuses de la démocratie malienne. Sans oublier l’Azawad ou Nord-Mali (capitale, Kidal) qui a vocation à devenir un département français d’outremer – que dis-je – d’outre sahel.
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Babacar Justin Ndiaye
Analyste politique et social