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Marche des enseignants contractuels de Béjaïa à Boudouaou : une action légitime et un compromis positif
jeudi 28 avril 2016, par
Le 30 avril doit se tenir le concours national de recrutement de 28 000 enseignants pour les trois paliers de l’Education, primaire, moyen et secondaire.
La décision d’organiser un recrutement sur concours ouvert à tous les candidats sans distinction d’exercice, pour peu qu’ils remplissent les conditions de diplôme, a provoqué une inquiétude très légitime chez les quelque 25 000 enseignants qui occupent déjà des postes dans l’Education, depuis des années pour la plupart. Après tant d’attente pour être régularisés, ils sont abasourdis de prendre connaissance de la décision unilatérale du Ministère de les obliger à passer un concours pour être confirmés et titularisés dans leur poste.
Une décision qui a fait l’effet d’une bombe. Et naturellement leur inquiétude et leur incompréhension se sont vite transformées en protestation, grève, sit-in et marche. Réactions tout à fait légitimes quand on a commencé à maîtriser le métier, caressé le rêve d’une intégration rapide en entamant une carrière honorable d’éducateur et envisagé avec sérénité l’avenir personnel et familial. Apprendre que toutes ces aspirations vont être balayées par une simple décision d’en haut a de quoi pousser les plus réservés à des actions extrêmes. Fort heureusement les enseignants ont défendu leur droit à l’intégration sans céder aux dérapages suicidaires. Disons le crûment : les responsables de l’Education se sont comportés avec une désinvolture et un mépris inexcusables pour le destin de ces 25 000 enseignants, quand bien même, serait-on tenté de penser, telle ne fut pas leur intention tant l’objectif de relever le niveau et la qualité de l’Ecole algérienne est une préoccupation largement partagée.
Il est indéniable que le secteur de l’Education, comme celui de la Santé, et disons même celui de la domestication de l’énergie nucléaire, sont des secteurs extrêmement sensibles. Les parents de condition modeste sont les premiers à exiger que l’enseignement public soit pris très au sérieux autant par les responsables que par les enseignants. L’avenir de leurs enfants est à ce prix. Les plus riches ont les moyens d’assurer à leurs enfants les cours particuliers qui leur donnent des avantage sur les démunis. Mais, tout de même, n’y avait-il pas d’autres solutions que de faire planer sur la tête de ces milliers d’enseignants une épée de Damoclès ? La ministre de l’Education assure que la qualité de l’enseignement et le respect du principe d’ "égalité" des chances commandent que tout recrutement dans la Fonction publique passe par un concours.
Juste rappel. Elle a simplement oublié deux choses : d’abord les voies de recrutement dans la Fonction publique ne se réduisent pas seulement au concours ouvert à tous. Il y a, selon les situations particulières de chaque secteur le recrutement sur titre et le concours interne donnant priorité à ceux qui exercent. Ensuite et surtout, la moindre des choses eut été de prendre en considération le fait que 25 000 enseignants étaient déjà dans la place en tant que contractuels. La Ministre de l’Education a fait observer qu’il ne fallait plus répéter les faits accomplis antérieurs, telle que l’intégration automatique en 2011 de tous les contractuels en activité, fait selon elle dommageable. Soit, mais la décision la plus équitable et la plus rationnelle pour la réalisation de l’objectif de qualité au regard des recrutements ultérieurs, n’eut-elle pas été de prendre en compte les situations existantes, de faire fructifier l’expérience pédagogique accumulée par les contractuels et d’agir de façon autrement plus pertinente ?
Qu’est-ce qui a empêché durant toutes ces années les services du Ministère d’organiser au profit de ces 25 000 enseignants des stages de perfectionnement, de réduire leurs charges pour qu’ils eussent pu bénéficier des connaissances et de l’expérience de leurs aînés ? N’eut-il pas été plus fécond de les rassurer, de puiser dans ce vivier pour atteindre les objectifs de qualité visés plutôt que de décider sans état d’âme de les mettre sur le même plan que ceux qui n’ont jamais eu d’élèves en face d’eux ? En quoi le candidat au concours qui n’a jamais enseigné aurait-il manifesté de meilleures prédispositions que celui qui enseigne déjà depuis des années ?
Le fait de ne pas avoir accordé de l’attention à la vie, aux attentes légitimes de tous ces "contractuels", à leur besoin de reconnaissance, ne pouvait être vécu que comme la manifestation implicite d’une mentalité pour laquelle les "autres", les gens d’en bas, sont insignifiants.
Résultats, un traumatisme chez des milliers d’enseignants, et une preuve de plus infligée par le régime, à travers des personnalités pourtant les moins impliquées dans ses pratiques autoritaires, que la concertation rabâchée sur tous les tons pour régler les problèmes de société n’est qu’un vain mot. Qu’au fond, le modeste citoyen n’est qu’un pion à la merci d’une décision qui le met à la rue ou l’expose aux coups de matraque des corps de répression quand il s’élève à juste titre contre le peu de considération dont il est l’objet.
Finalement le ministère a dû rapidement lâcher du lest devant la détermination admirable des enseignants. Les contractuels auront droit à des points de bonification en fonction de leur ancienneté. Les épreuves écrites vont privilégier les pratiques pédagogiques et le concours se déroulera dans les mêmes conditions de rigueur que l’épreuve du baccalauréat. Une condition qui n’est pas superflue sachant que dans de nombreux examens professionnels les passe-droits et les pratiques frauduleuses, le comportement indigne de surveillants tout affairés à "aider" ostensiblement leurs protégés à rédiger leurs épreuves, sont devenus une plaie qui enfonce l’Ecole dans la médiocrité.
Pour arriver à ce "compromis" imposé ils ont dû marcher sur près de 200 km, de Béjaïa à Boudouaou. Ils ont bravé sur d’étroites routes nationales le danger des camions lancés à toute allure. Mais en retour ils ont été entourés de la grande sollicitude de la population des agglomérations traversées qui a témoigné de sa solidarité en leur offrant de l’eau, des aliments, des pansements pour qu’ils puissent reposer leurs pieds couverts de cloques et de plaies. Puis ont dû camper aux abords de la capitale devant les barrages formés par une police décidée à les empêcher de poursuivre leur marche et ensuite, en signe de protestation contre cette entrave à la liberté de manifester, observé une grève de la faim durant 13 jours, pour certains d’entre eux, avant d’être assaillis en pleine nuit par les services de police qui les ont embarqués dans des bus et dispersés dans 3 ou 4 villes loin d’Alger. Ultime et émouvante consolation, les services de la commune de Boudouaou ont rassemblé pieusement les affaires abandonnées par les marcheurs, sous la ruée des policiers, en attendant qu’ils reviennent pour les récupérer.
Il faut espérer que les organisateurs de la protestation qui, jusqu’au bout, ont refusé de s’inscrire au concours, par principe et pour donner l’exemple, soient admis à le passer malgré l’expiration des délais.
La quasi-totalité des contractuels avait saisi au vol ce compromis positif en s’y inscrivant sans attendre la fin des échéances, passant outre les consignes de boycott.
On notera aux dernières nouvelles que pour 28 000 postes ouverts, il y a 970 000 candidats ! C’est un signe qui ne trompe pas sur l’ampleur du chômage des diplômés.
Comme on aura noté que nombre d’organisations politiques qui habituellement ne se mobilisent jamais pour soutenir des ouvriers en grève, notamment dans le secteur privé, ont fait preuve de beaucoup d’excitation suspecte en exploitant la détresse des contractuels. Des journaux qui dénoncent régulièrement le "populisme" ont brillé par la surenchère, esquivant les problèmes de fond posés, se refusant à aborder la question de l’Ecole et des conditions d’enseignement avec la sérénité requise.
A Béjaïa, d’où cette marche a pris son départ, qui se souvient du silence de plomb de cette même presse quand, il y a quelques années, les syndicalistes faisaient une grève de la faim pour protester contre leur licenciement arbitraire par Rebrab ? Licenciés parce qu’ils avaient simplement réclamé le droit à créer un syndicat dans leur usine. Il est vrai que pour une certaine presse autoproclamée démocratique, le droit d’organisation doit s’arrêter au seuil des usines ou chantiers de ces nouveaux nababs. "Economie de marché", disent-ils !
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Z.B.
27.04.16